‘‘Hébron, un massacre annoncé’’: la face véritable de l’occupation israélienne’’

Ce livre écrit en 1994 par le journaliste et écrivain franco-israélien Amnon Kapeliouk pénètre dans les racines du conflit israélo palestinien, à savoir la situation coloniale qui continue de prévaloir en Cisjordanie dans les territoires palestiniens occupés et dont la dernière et récente explosion à Gaza n’est que la conséquence. (Illustration: le sang des fidèles musulmans tués par Baruch Goldstein sur les tapis de prière de la mosquée d’Hébron).

Par Dr Mounir Hanablia *

Depuis 1967, date du début de l’occupation israélienne, la mosquée d’Hébron, Al-Khalil en arabe, a vu une partie de plus en plus importante de ses locaux consacrée au culte israélite, c’est-à-dire aux colons juifs, le reste étant dévolu aux musulmans. Cela a provoqué de nombreux incidents, notamment du fait de l’usage du vin dans les cérémonies juives, et la prière aux morts musulmane avant leur enterrement. 

En 1993, à la veille des accords d’Oslo, un médecin israélien, le docteur Baruch Goldstein,  d’origine américaine, pénètre à l’heure de la prière de l’aube un jour du Ramadan qui correspondait à la fête juive du Pourim, la plus chauvine parmi toutes, dans la mosquée dite le Caveau des Patriarches à Hébron, plus exactement dans la salle Isaac, et ouvre le feu grâce à un fusil mitrailleur M16 sur les fidèles musulmans en train de prier. Il vide deux chargeurs avant d’être désarmé et tué alors qu’il s’apprêtait à recharger une nouvelle fois son fusil. 150 personnes sont atteintes par les tirs, dont une quarantaine décède.

Selon le rapport officiel publié par la commission d’enquête dirigée par le président de la cour suprême israélienne Shamgar, il s’agit d’un acte imprévisible commis par une seule personne opérant pour son propre compte. Le rapport exonère ainsi le gouvernement, l’armée, et les colons de toute responsabilité dans le massacre.

Un tireur forcené pas si isolé que cela

Néanmoins les faits sont loin de confirmer la version officielle, celle du coup de tonnerre dans un ciel serein. Baruch Goldstein, un militant actif du parti raciste Kach du rabbin Kahane dont le programme est l’expulsion de tous les Palestiniens, et demeurant à Kyriat Arba, le fief le plus virulent des colons juifs, s’était déjà rendu coupable de vandalisme dans la même mosquée en détruisant des armoires remplies d’exemplaires du Coran et en les déchirant. Durant son service militaire, lors de la guerre du Liban, il avait refusé de soigner des Arabes, malgré les ordres de ses supérieurs. Il était donc connu comme un colon extrémiste indiscipliné dont certains de ses amis avaient tué des Palestiniens. Au moment des faits il était officier de réserve avec des astreintes en tant que médecin de la dite colonie.

La veille du massacre, un speaker de la radio des colons avait annoncé qu’un événement important allait se produire qui ferait capoter le processus de paix. Le jour suivant, Baruch Goldstein appelle à l’aube le véhicule d’accompagnement du service médical de l’armée, il sort de sa maison vêtu de sa tenue de combat et armé d’un pistolet mitrailleur. Il est accompagné jusqu’à la mosquée par l’officier du service médical qui le dépose et le soldat de garde le laisse entrer, étant habitué à le voir débarquer à l’aube pour la prière juive.

Ce matin-là, fait tout à fait inhabituel, 5 des 6 soldats de service ne sont pas encore arrivés. Dix minutes après son départ de la maison, sa femme téléphone à deux reprises à l’officier de garde au central de l’armée, dans un état hystérique, et lui demande de localiser d’urgence son mari, et de l’arrêter. A ce moment-là, Goldstein est déjà entré.

Quand la tuerie commence, l’officier israélien responsable de la mosquée entre dans la salle réservée aux juifs et demande de continuer de prier et de faire comme si rien ne s’est passé, et les colons présents s’exécutent et continuent de prier malgré le vacarme et les détonations dans les salles attenantes. Les Palestiniens essaient de s’enfuir mais les soldats postés hors de la mosquée leur tirent dessus. Les tués et les blessés sont amenés par dizaines à l’hôpital, la population ayant été ameutée par les haut-parleurs des mosquées. Mais des compagnies de soldats israéliens les rejoignent et plusieurs habitants transportent alors directement leurs morts aux cimetières pour les enterrer de peur que les soldats ne séquestrent les cadavres comme ils ont l’habitude de le faire, «afin d’en prélever des organes», ainsi qu’ils en sont souvent accusés. Plusieurs habitants venant porter secours tombent sous les balles israéliennes.

Rapidement, les Palestiniens sont soumis au couvre-feu, mais pas les colons; il durera 5 semaines.

Pour les colons juifs, tuer les Arabes est un acte méritoire

Sur les lieux de la tuerie, l’armée ramasse rapidement les douilles, 105, alors que le nombre total des victimes est de plus de 150, et bouche les impacts de balles dans les murs avant l’arrivée des experts.

Les balles proviennent du fusil de l’assassin, quelques-unes des soldats placés à l’extérieur. Une seule balle demeurera d’origine inconnue. Cela n’empêchera nullement la thèse du tireur isolé de prévaloir.

Pourtant selon les témoignages des soldats de garde, un  juif qu’ils ne connaissent pas est entré dans la mosquée, témoignage corroboré par les Palestiniens présents qui signalent un deuxième tireur dans la salle au moment du carnage.

Pour les colons Goldstein est un héros et un juste qui a donné sa vie pour sauver le peuple juif. Une personnalité de Kiryat Arba, interrogée par un journaliste sur le massacre, répond en levant son verre: «Joyeux Pourim !» Un mémorial est établi à Kiryat Arba en son honneur, et même les enfants viennent y apprendre que tuer les Arabes est un acte méritoire parce que «ce sont des assassins».

Le gouvernement israélien n’a pas voulu ou pu contraindre les colons à renoncer à ce mémorial malgré la gêne occasionnée dans les discussions avec Arafat et l’OLP. Mais il n’y a pas que les colons, il y a aussi l’armée. Et les colons en sont presque tous soit en service actif, soit en tant que réserve. Ainsi la notion de civils non combattants n’a pas beaucoup de sens dans les territoires occupés. Mais à Hébron la situation est plus explosive qu’ailleurs parce que les colons se sont installés au cœur de la ville arabe, protégés par le dispositif militaire de l’armée israélienne, et qu’une synagogue a été installée au cœur de la mosquée, accordant un espace toujours plus important aux juifs, aux dépens des Palestiniens. Des attentats contre les colons se produisent régulièrement, le plus mémorable étant celui qui en 1980 a tué les membres d’une école rabbinique, dont un Américain converti au judaïsme, Eli Hazeev, qui s’est avéré être un agent de la CIA chargé d’infiltrer les extrémistes juifs. Et leur but à Hébron est de chasser les Arabes. Et pour cela toutes les exactions contre les biens et les personnes sont tolérées. Ainsi un comité de sécurité des routes se charge d’attaquer les voitures palestiniennes à coups de pierres afin, en en blessant les conducteurs, de provoquer des accidents. Et ces actes terroristes ne donnent pratiquement jamais lieu à des enquêtes même quand il en résulte des homicides. Et les rares colons, condamnés à des peines légères généralement sans commune mesure avec la gravité des faits, sont  rapidement relâchés.

Racisme dans l’armée et parmi les colons

Ainsi dans le conflit avec les Palestiniens, la Justice israélienne ne se comporte que comme le bras judiciaire de l’Etat d’Israël. Abstraction faite de la différence de régime juridique auxquelles les deux populations sont soumises, la loi civile pour les colons juifs, et les ordonnances militaires pour les Palestiniens, l’interrogatoire des soldats de garde à la mosquée le jour du massacre par la commission d’enquête révèle des réalités beaucoup plus inquiétantes reflétant le climat raciste qui règne à tous les échelons des forces d’occupation, armée et colons unis. A la question de savoir pourquoi ils n’avaient pas essayé d’empêcher le forcené de perpétrer son forfait au moment des tirs, les militaires, soldats et officiers confondus ont répondu que les ordres reçus stipulaient qu’en aucun cas ils ne devaient tirer sur un juif, même s’il représentait un danger pour leur propre sécurité. S’il tirait, ils devaient s’abriter et attendre qu’il vide son chargeur avant de tenter de le désarmer.

Si on veut chercher les raisons de l’explosion qui secoue Gaza aujourd’hui, l’éventuel antisémitisme musulman n’est que l’alibi commode des sionistes. En réalité, la perpétuation du régime colonial inhumain et raciste, qu’Israël exerce contre les populations dans les territoires occupés depuis 1967, exonère les Palestiniens de toute responsabilité dans la perpétuation d’un conflit sanglant où la haine fait inévitablement office de mobile.

* Médecin de libre pratique.  

‘‘Hébron, un massacre annoncé’’ de Amnon Kapeliouk, éd. Arléa, Paris, 1er janvier 1994, 173 pages.    

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.