‘‘Holocaustes. Israël, Gaza, et la guerre contre l’Occident’’ : une épuration ethnique politiquement correcte

A l’instigation de la frange la plus cultivée de sa jeunesse, l’Occident semble ne plus pouvoir différer plus longtemps le débat sur son héritage colonial, ni l’occulter en présentant l’antisémitisme comme le mal absolu, et le soutien à Israël comme le viatique rédempteur. La névrose issue de la mémoire des souffrances infligées aux peuples allogènes, comme celles imposées aujourd’hui par Israël aux Palestiniens, ne trouve plus dans l’immigration ni même dans son corollaire, l’insécurité, un exutoire suffisant pour justifier le déni de justice.

Dr Mounir Hanablia *

Il est certes encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives d’une Histoire qui s’accélère sans que l’on n’en perçoive encore la fin, depuis ce 7 octobre 2023. Cet ouvrage d’un grand spécialiste de la politique du monde arabe et musulman a le mérité de constituer un jalon dans la compréhension de la dernière flambée du conflit israélo-palestinien, même si depuis sa parution, le bombardement de l’ambassade iranienne et la salve de missiles tirée en riposte contre Israël neutralisée par les Anglo-saxons et les Français ont constitué de nouveaux développements significatifs.

On en  contestera le crédit accordé aux thèses israéliennes, selon lui en accord avec une vision occidentaliste de la question palestinienne qu’il fait sienne. Ainsi l’attaque sur une grande échelle contre des civils, un terme très relatif en Israël où la population est armée, tout comme l’est la notion de village, bien souvent un point d’appui ayant également une vocation militaire, ne fut certainement pas un pogrome, terme réservé aux massacres de juifs dans la Russie tsariste, et plus spécifiquement en Ukraine, commis bien souvent par l’Etat par le biais de la police ou de l’armée.

Dans le cas qui nous intéresse, l’Etat, la police et l’armée étaient tous israéliens.

Holocaustes? Encore un terme impropre pour décrire la situation, Auschwitz et Dachau se situant en Europe, et comme toujours, il établit une responsabilité équivalente entre deux parties antagonistes.

Autrement dit, sur le massacre du 7 Octobre se serait greffé un autre, celui de Gaza, dont les victimes, les tués, ainsi que le reconnaît l’auteur, étaient au moment de la parution du livre, 20 fois plus nombreuses, abstraction faite des blessés.

Le massacre en cours à Gaza ne serait donc rien d’autre qu’une riposte à une «ghazoua», un acte d’essence religieuse musulmane, autrement dit inspiré par des valeurs différentes de celles judéo-chrétiennes, un acte  terroriste meurtrier de grande ampleur accompagné d’horreurs (viols non prouvés à ce jour) et de prises d’otages, ainsi que ne cessent de le répéter les sionistes pour rejeter toute la responsabilité de ce qui est arrivé sur les auteurs de l’attentat, en l’occurrence le Hamas, et plus particulièrement son aile militante pro-iranienne dirigée par Yahya Sinwar.

La réalité coloniale israélienne totalement occultée

Ainsi selon l’auteur, la riposte disproportionnée de la victime face à l’horreur se trouverait justifiée par la barbarie de l’agresseur, sciemment planifiée dans le cadre culturel musulman l’accompagnant, la «ghazoua» ou autrement dit le jihad.

Mais abstraction faite de la réalité de faits qui n’ont pas encore été établis précisément par des instances judiciaires internationales peu enclines autant que les autorités israéliennes à établir les responsabilités, pourquoi le martyr des Palestiniens de la Cisjordanie et de Jérusalem subissant les méfaits quotidiens de l’occupation et de la colonisation dans toute leur horreur depuis 57 ans a-t-il été ainsi occulté dans la genèse de la crise actuelle?

Là se situe la carence fondamentale du récit. Car une question clé est de savoir pourquoi depuis les accords d’Oslo en 1994 le nombre de colons israéliens dans les territoires occupés a quintuplé avec l’expropriation conséquente des terres palestiniennes.

Il est à cet égard très significatif que les cartes géographiques documentant cet ouvrage n’aient pas inclus celles démontrant le morcellement du territoire palestinien, réduit comme une peau de chagrin par le mur l’enfermant, les colonies juives l’encerclant, et le réseau de routes les reliant les unes aux autres.

Dernièrement encore alors que le calvaire de Gaza se poursuivait, les Etats-Unis ont opposé leur véto au Conseil de Sécurité à la demande de reconnaissance internationale d’un Etat palestinien. Les accords d’Abraham n’avaient fait que jeter de l’huile sur le feu et la normalisation projetée par Israël avec l’Arabie Saoudite consacrée par la visite de deux ministres israéliens immédiatement avant le déclenchement des hostilités menaçait d’enterrer définitivement les aspirations nationales d’un peuple désormais privé de la terre nécessaire pour établir un Etat viable conformément au Droit International.

Mais c’est justement de cela qu’il s’agit, de la lutte contre une entreprise coloniale soutenue par les grandes puissances, Amérique et Royaume Uni en tête. Et le rôle de l’Iran, puissance régionale en mal de reconnaissance, et de ses alliés, Hezbollah et Houthis, n’explique pas tout.

La montée d’un suprémacisme judéo-chrétien

Pourquoi incriminer dans le conflit actuel l’ascension d’un suprémacisme juif forcément conjoncturel tributaire des résultats électoraux, une façon édulcorée de qualifier le racisme caractérisé désormais au pouvoir en Israël, alors que la politique de cet Etat sous la houlette de ceux qui se qualifient de socialistes ou de nationalistes a été depuis le début chauvine, agressive, expansionniste, que son histoire a débuté par une épuration ethnique de grande ampleur, et que ses objectifs ont été invariablement l’expropriation des terres palestiniennes au profit des colons juifs et l’expulsion de leurs propriétaires afin d’obtenir un territoire ethniquement vide d’Arabes («arabenrein»)?

A travers l’argumentaire biaisé développé par l’auteur transparaît la mutation des gouvernements occidentaux, ou plus précisément leur involution, vers une idéologie néocoloniale, prétendant détenir le monopole de l’usage des valeurs morales universelles à leur bénéfice exclusif, réservant les prébendes de la civilisation ainsi qu’un soutien sans failles au profit de ceux en qui ils se reconnaissent (Ukraine, Israël), et en excluant tous les autres, perçus au mieux comme inassimilables, au pire comme hostiles (musulmans, arabes).

Naturellement dans les conflits qui en résultent, le droit International ne sert de référence que lorsqu’il sert la «bonne» cause, celle que ces gouvernements jugent conforme à leurs intérêts.

Il est heureux que le sursaut actuel des étudiants des universités les plus prestigieuses d’Amérique, du Royaume Uni, et de France, malgré la répression qui l’accompagne en contradiction avec tous les principes de la démocratie et de la liberté d’expression, témoigne à tout le moins du refus de la jeunesse la plus cultivée, la plus mondialisée, de cautionner l’aide apportée à l’oppression, à l’injustice, et au génocide, par leurs gouvernements.

Il faudra désormais d’autres arguments aux politiciens, hormis l’immigration, pour justifier l’injustice sociale et la misère prévalant dans leurs pays, l’argent dilapidé en fleuves et en ruisseaux dans des guerres meurtrières et illégales menées à l’étranger dont les plus nécessiteux sont privés.

La découverte de charniers contenant des centaines de cadavres les mains liées près du tristement célèbre hôpital Shifa de Gaza, un haut lieu de crimes contre l’humanité, a conféré une dimension supplémentaire à l’horreur. Et dans un scénario de l’arroseur arrosé, c’est désormais Benjamin Netanyahu lui-même qui est dans le collimateur de la Cour Pénale Internationale (CPI), mise sous l’éteignoir par Trump qui en avait menacé les juges de mesures de rétorsion, et réactivée par Biden afin de conférer un semblant de légalité internationale aux mesures frappant en principe les régimes politiques perçus comme hostiles à l’Occident; à commencer par Vladimir Poutine.

C’est déjà une autre preuve de l’inadéquation du cadre conceptuel choisi pour situer le conflit israélo-palestinien ailleurs que dans les luttes de libération nationale, parfois dans le Choc des Civilisations, d’autres fois dans celui d’un affrontement entre le Sud Globlal mené par le Brics emmené par l’Afrique du Sud, et l’Occident.

En réalité ce dernier à l’instigation de la frange la plus cultivée de sa jeunesse semble ne plus pouvoir différer plus longtemps le débat sur son héritage colonial, ni l’occulter en présentant l’antisémitisme comme le mal absolu, et le soutien à Israël comme le viatique rédempteur. La névrose issue de la mémoire des souffrances infligées aux peuples allogènes ne trouve plus dans l’immigration ni même dans son corollaire, l’insécurité, un exutoire suffisant en justifiant le déni. Est-ce à cause de cela que l’auteur du livre définit Israël comme élément constitutif de l’identité occidentale? Rarement ouvrage se sera situé autant dans un orientalisme périmé. 

* Médecin de libre pratique.

‘Holocaustes: Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident’’, de Gilles Kepel, éd. Plon, Paris, 21 mars 2024, 216 pages.

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