Exposition à El Teatro  | Udmawen (ⵓⴷⵎⴰⵡⴻⵏ) ou les visages du signe  

L’exposition ‘‘Udmawen : Figures de Hakou’’ de Abdelhak Djellab, qui se tient, sous la férule de l’agitateur artistique Mahmoud Chalbi, à la galerie Aire Libre de l’espace El Teatro, à Tunis, jusqu’au 31 mars 2025, n’est pas une simple rétrospective d’un peintre algérien; c’est un événement nécessaire, une résurgence, un rappel. Un retour aux signes primordiaux, à cette écriture pré-langagière qui survit aux siècles et aux conquêtes. 

Manel Albouchi  

L’art ne se réduit pas à une simple quête esthétique. Il est, avant tout, une nécessité. Une nécessité pour l’artiste, qui tente de capter l’indicible. Une nécessité pour le spectateur, qui y trouve un miroir, un espace de résonance avec ses propres blessures et aspirations. Et surtout, une nécessité pour la mémoire collective, qui résiste à l’oubli par le biais du signe, du trait, de la couleur. 

Dans un monde où la destruction s’opère à une vitesse fulgurante : des langues qui disparaissent, des identités effacées, des récits censurés, l’art devient une dernière ligne de défense.

Face aux bombes réelles ou symboliques, qui pulvérisent les histoires et les subjectivités, l’artiste érige un rempart de signes. Il trace, inscrit, grave, écrit encore, comme un scribe hanté par l’urgence de préserver ce qui ne peut être dit autrement. 

L’exposition ‘‘Udmawen Figures de Hakou’’ s’inscrit dans cette logique : elle n’est pas une simple rétrospective d’un peintre algérien; c’est un événement nécessaire, une résurgence, un rappel. Un retour aux signes primordiaux, à cette écriture pré-langagière qui survit aux siècles et aux conquêtes. 

Car face à l’oubli, il n’y a qu’une seule riposte : la mémoire. Mais la mémoire n’est pas qu’un récit ; elle est un geste, une empreinte, un symbole qui s’imprime au-delà des mots. Quand tout est effacé, il reste le signe. Et quand il n’y a plus rien à dire, il reste la peinture. 

Une convocation de l’invisible 

L’écriture est une trace. Une mémoire inscrite. Une parole qui refuse de se taire. Dans ‘‘Udmawen’’, la calligraphie ne se limite pas à une esthétique raffinée, elle est un cri muet, une prière codée, un chant antique gravé dans le présent. 

Le mot «Udmawen» renvoie à une pluralité de masques ou figures, à des visages perdus ou retrouvés, à des identités éclatées qui cherchent à se recomposer à travers le signe. Il évoque aussi l’idée d’une écriture pré-linguistique, d’un langage perdu ou à redécouvrir, une langue des ancêtres inscrite dans les fibres mêmes de la toile. 

Les œuvres de l’exposition semblent flotter entre l’histoire et l’abstraction, entre la souffrance et la lumière. Les lettres, répétées à l’infini, deviennent des incantations, des clés d’un monde invisible que l’artiste tente de matérialiser. La couleur, vibrante et contrastée, épouse la calligraphie comme une onde de choc, une impulsion vitale. 

Ce n’est pas une simple mise en scène du texte. C’est un langage codé, un rituel visuel où chaque lettre est une vibration, un battement de cœur, une empreinte de l’âme. 

Calligraphie et identité : quand le trait devient un cri                                                               L’écriture, chez l’être humain, précède souvent la parole. Avant de savoir parler, l’enfant trace. Il gribouille. Il inscrit sur le papier une danse primitive du sens. Les civilisations anciennes ont suivi ce même chemin : des gravures rupestres du Nord d’Afrique aux premières formes d’écriture cunéiforme, l’humanité a toujours eu besoin de laisser une trace avant de formaliser le langage. 

La calligraphie, en tant qu’art, porte cette mémoire de l’origine. Elle est le dernier lien entre l’écriture et le sacré, entre le texte et le rituel. Mais quand une identité est menacée, le trait cesse d’être seulement esthétique : il devient un cri. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, chaque ligne tracée semble porter une charge émotionnelle profonde, comme une cicatrice inscrite dans la toile. Le mot  «عشق» (Ishq), répété, s’est métamorphose en métaphore : il est à la fois amour mystique et résistance, une invocation, un acte de rébellion contre l’effacement. 

Face à ces œuvres, une question m’a hanté : Que reste-t-il quand tout semble détruit? 

La réponse est là, devant vous, entre les lignes, dans la vibration du signe. 

L’art est une transmission silencieuse 

L’histoire de l’humanité est jalonnée d’effacements. Des langues disparaissent, des cultures s’effacent, des récits s’interrompent, souvent sous la violence des conquêtes et des idéologies dominantes. Pourtant, quelque chose survit toujours : le signe. Là où la parole est censurée, où les traditions sont brisées, l’art demeure une transmission silencieuse, une résistance inscrite dans la matière même du monde. 

Le signe, dans sa forme la plus primitive comme dans ses déclinaisons les plus contemporaines, est un passeur de mémoire. Il transporte avec lui les voix du passé, les douleurs d’une histoire occultée, les espoirs d’un avenir à reconstruire. Il est ce qui reste quand tout le reste a disparu. 

Dans l’exposition ‘‘Udmawen Figures’’, l’écriture et le symbole se rejoignent dans une même quête : faire parler l’oubli, réactiver une mémoire enfouie, donner une voix à l’indicible. 

Aouchem : la première écriture de l’oubli 

Bien avant les alphabets et les systèmes d’écriture formalisés, l’humanité a utilisé un langage fait de signes, de griffes, de marques tracées sur la pierre. L’un des plus anciens systèmes de symboles connus en Afrique du Nord est l’Aouchem. 

Le mot «aouchem» signifie «tatouage» en tamazight. Il désigne un ensemble de signes graphiques, utilisés aussi bien sur la peau que sur la pierre, formant une sorte de langage premier, à la croisée de l’écriture et du rituel. Ces motifs, souvent géométriques, servaient autant à communiquer une appartenance qu’à sceller un pacte sacré avec l’invisible. 

L’Aouchem est une écriture de l’oubli : oubliée par l’histoire dominante, réduite à une ornementation folklorique, mais toujours vivante dans les traces laissées sur les corps et les territoires. Un signe qui refuse de disparaître.        

Dans le désert du Sahara, autrefois vert, des peintures rupestres vieilles de plusieurs millénaires racontent une histoire que les livres n’ont jamais écrite. Des figures humaines stylisées, des animaux, des signes gravés sur la pierre, autant de vestiges d’un monde où l’image et le symbole précédaient l’écriture telle que nous la connaissons. 

Ces grottes sont les premiers livres de pierre de l’Afrique du Nord, les premiers récits visuels d’une civilisation qui communiquait par le trait avant d’utiliser des mots. 

Dans les œuvres contemporaines, tels que ceux d’‘‘Udmawen Figures’’, cette mémoire refait surface. La calligraphie devient, dès lors, une archéologie du sens, une réécriture des signes disparus. Ce qui était inscrit sur la roche est désormais tracé sur la toile, ce qui était gravé dans le désert est transposé sur des surfaces vibrantes de couleurs et de matières. 

L’artiste, en revisitant ces signes anciens, les libère de l’oubli, les réactive dans le présent, leur redonne une voix à travers la peinture et l’encre. 

Entre occultation et résurgence : un langage oublié 

Les civilisations imposent leurs langages, effacent ceux des autres. C’est ainsi que naissent les langues mortes, les écritures interdites, les signes qui s’effacent sous la poussière du temps. 

Mais les signes ont une mémoire propre. Ils réapparaissent là où on ne les attend plus, se glissant dans un motif, une ligne, un tracé. 

La calligraphie contemporaine, notamment celle explorée dans ‘‘Udmawen Figures’’, n’est pas qu’une célébration esthétique des lettres. C’est une renaissance d’un langage occulté. Une manière de réinscrire dans le présent ce que l’histoire a tenté d’effacer. 

Entre les grottes et les œuvres d’aujourd’hui, entre les tatouages berbères et les calligraphies vibrantes des artistes contemporains, une même urgence demeure : faire parler le silence, survivre l’invisible… Inscrire l’oubli dans la lumière. 

La mise en scène du soi 

L’identité n’est pas une donnée fixe, mais une mise en scène constante, un jeu d’apparences façonné par les normes et les structures sociales. Pierre Bourdieu, dans ses travaux sur l’habitus et la distinction, montre comment nous jouons nos rôles selon les attentes du monde social, parfois en les incarnant, parfois en les bousculant. 

Dans ce théâtre social, le corps devient texte, les gestes deviennent discours, et l’appartenance à un groupe se lit dans les habits, les accents et les postures. Mais que se passe-t-il lorsque l’identité est en crise ? L’art devient refuge.  

En tant qu’espace de déconstruction et de réinvention, il offre un lieu pour que les tensions trouve un lieu d’expression. Justement, l’exposition ‘‘Udmawen Figures’’ interroge ces mises en scène identitaires, en explorant comment l’image et la mémoire collective peuvent devenir des terrains de résistance. 

El Teatro, un lieu qui en dit long 

Le mot «théâtre» signifie à l’origine «lieu où l’on regarde». Mais que voit-on réellement quand on regarde une scène? Une fiction? Une vérité maquillée? Une exagération ou un effacement? 

En Kabylie comme ailleurs, le théâtre a souvent servi de laboratoire identitaire, un lieu où l’on rejoue l’histoire et où l’on déconstruit les représentations imposées. 

El Teatro, en tant qu’espace symbolique et réel, devient alors le miroir des tensions identitaires : 

Quand l’identité est réduite à des stéréotypes exotiques, le théâtre peut la réinscrire dans une histoire plus vaste. 

Quand la parole est muselée, la scène devient un lieu de contestation. 

Quand les récits dominants invisibilisent les cultures minoritaires, le jeu théâtral ravive les voix perdues. 

Dans l’univers pictural de ‘‘Udmawen Figures’’, cette dimension théâtrale transparaît dans l’usage du signe, du geste calligraphique, du trait qui oscille entre figuration et abstraction. 

Le masque : entre effacement et exagération 

Dans de nombreuses cultures, le masque joue un double rôle : il cache l’individu tout en lui permettant d’exister autrement. Et, il exagère certains traits pour mieux en révéler la nature profonde. 

Le masque kabyle illustre parfaitement cette dialectique : il raconte l’ambivalence d’une identité souvent contrainte à la dissimulation. 

Face aux politiques d’acculturation, la culture amazighe a souvent été contrainte à une présence masquée, invisibilisée dans l’espace public mais résistante dans l’espace intime. Le signe graphique devient alors le masque moderne : il dissimule et révèle à la fois, comme une parole cryptée qui attend d’être déchiffrée. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, l’artiste joue de cette même ambiguïté : les lettres semblent tantôt s’effacer, tantôt hurler leur présence, en un équilibre fragile entre effacement et réaffirmation. 

L’art déconstruit les représentations imposées 

Les récits dominants ont toujours cherché à fixer les identités, à les enfermer dans des cadres rigides. L’art, lui, fait exploser ces cadres : il questionne ce que l’on croit savoir sur une culture. Il réinvestit des formes anciennes pour leur donner un sens nouveau. Il rend visible l’invisible, en offrant des espaces d’expression là où la parole était interdite. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, le travail autour du signe et de la calligraphie n’est pas qu’un jeu esthétique : c’est une remise en question des catégories identitaires figées. C’est un acte politique et poétique, une manière de dire sans dire, de réinscrire dans l’espace contemporain une mémoire trop souvent effacée. 

Ainsi, le théâtre social de l’identité devient un lieu de lutte. Un espace où le soi peut se réinventer, entre héritage et modernité, entre effacement et affirmation, entre masque et révélation. 

Hakou et son Aouchem en forme d’oiseau bleu 

L’artiste n’est pas seulement un créateur, il est lui-même un signe vivant, une incarnation de ce qu’il exprime à travers son art. Hakou porte sur son cou un tatouage en forme d’oiseau, inscrivant ainsi son identité dans sa chair, transformant son corps en un espace de mémoire et de transmission. 

Dans de nombreuses traditions, l’oiseau est un symbole ambivalent: il évoque la liberté et l’errance, l’impossibilité d’être fixé à un seul lieu, à une seule langue. 

Il est aussi messager, porteur de savoirs anciens, reliant les vivants et les morts. 

En gravant cet oiseau sur sa peau, Hakou est devenu à son tour un signe, une passerelle entre le visible et l’invisible. Son tatouage est une manière d’affirmer que l’identité, comme un oiseau, ne peut être enfermée. 

Dans le travail de ‘‘Udmawen Figures’’, cette idée de l’artiste comme corps-signifiant se retrouve dans l’usage du geste calligraphique, qui semble tatouer la toile, marquer l’espace de signes vivants, témoins d’une mémoire en mouvement. 

Du nom au mythe : s’écrire soi-même  

Tout artiste écrit une histoire à travers son œuvre. Mais parfois, cette histoire dépasse la simple autobiographie pour devenir mythe. 

Dans les sociétés amazighes, le nom n’est jamais un simple mot, il porte une charge symbolique forte. Le nom d’un individu est souvent lié à son histoire familiale, à son appartenance tribale, et à la manière dont il s’inscrit dans la communauté. 

Mais que se passe-t-il quand l’écriture du nom devient un acte de rébellion? Quand elle s’ouvre au mythe, transcendante et universelle? 

L’artiste, par son travail, devient plus qu’un individu : il devient une légende vivante, une figure qui incarne un récit plus vaste que lui-même. C’est ce que l’on retrouve chez les peintres-calligraphes, dont l’œuvre ne se contente pas d’exprimer une identité, mais la réinvente, la fait muter. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, cette idée de l’artiste comme scripteur de sa propre existence est omniprésente : les lettres, les formes, les figures ne sont pas de simples représentations, mais des fragments d’une auto-écriture, où chaque trait est une déclaration d’existence. 

L’artiste : un pont entre les mondes 

Le peintre-calligraphe relie le texte à l’image, la parole au silence. Il inscrit l’histoire dans le présent, en invoquant des formes anciennes sui oscillent entre l’invisible et le tangible. 

La calligraphie amazighe, dans ce contexte, est bien plus qu’un art décoratif : C’est une mémoire qui refuse l’effacement, un cri silencieux qui dit l’indicible, une langue secrète qui échappe aux classifications figées. 

Hakou joue précisément ce rôle : il réactive un langage ancien en lui redonnant une force contemporaine. Ses signes sont vivants, en mouvement, toujours en équilibre entre le passé et l’avenir. Ainsi, l’artiste devient lui-même un oiseau bleu, un corps écrit qui traverse le temps, portant en lui les traces d’une mémoire insoumise. 

Le langage des oiseaux  

Dans de nombreuses traditions, le langage des oiseaux est un langage sacré. On le retrouve dans le soufisme, chez Attar, dans ‘‘La Conférence des Oiseaux’’. Pour les Berbères, les oiseaux sont souvent perçus comme des messagers entre les mondes, porteurs de nouvelles venues d’ailleurs. 

Mais à qui parlent ces oiseaux?  

Si l’on suit une lecture mystique, leur langage est une langue divine, une écriture céleste qui échappe aux lois humaines. 

Mais si l’on adopte une approche plus anthropologique, ces signes ailés pourraient bien être les voix du passé, des ancêtres qui tentent encore de se faire entendre. 

Dans la calligraphie amazighe et arabe, la fluidité des lettres, leur élévation, leur mouvement, rappellent parfois le vol des oiseaux. Les artistes qui travaillent ces formes semblent écouter une langue ancienne, une voix enfouie dans le silence de l’Histoire. 

Le projet ‘‘Udmawen Figures’’, en réactivant ces signes, joue avec cette double interprétation : il donne corps à une langue oubliée tout en la transformant en un chant contemporain, entre mémoire et révélation. 

Ishq (عشق) : amour ou initiation ? 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, le mot «عشق», qui signifie amour intense, passion mystique, est répété jusqu’à l’obsession. Mais cette répétition est-elle simplement un cri d’amour ou bien un processus de transformation ? 

En psychanalyse, la répétition n’est jamais anodine. Elle peut être : 

– une tentative de fixation, comme si l’artiste cherchait à capturer une émotion insaisissable;

– un rituel, une manière d’entrer en transe, de franchir un seuil vers une autre dimension;

– une signature inconsciente, un désir d’inscrire un manque, une quête qui ne trouve pas de fin. 

Dans cet œuvre, la répétition des motifs et des signes calligraphiques fonctionne comme une prière secrète, une incantation qui transforme le spectateur en témoin d’une quête intérieure. 

Ainsi, l’amour n’est plus seulement un sentiment, mais une épreuve, une écriture de l’âme sur la toile du monde. 

Calligraphie : écrire le non-dit 

Carl Gustav Jung parlait de l’inconscient collectif comme d’un réservoir d’archétypes et de mythes anciens qui se réactivent à travers l’art, les rêves, les rituels. La calligraphie, en tant que langage visuel et symbolique, est l’un des médiums les plus puissants pour exprimer l’inexprimable. 

Chaque lettre porte une mémoire collective, une charge historique qui dépasse l’individu. 

Chaque trait est une trace d’un passé refoulé, un fragment d’une langue perdue qui cherche à revenir à la surface. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, la calligraphie amazigh, arabe et abstraite joue ce rôle de réactivation inconsciente : Les formes évoquent des visages oubliés, des rites enfouis. 

Les superpositions rappellent le palimpseste de l’Histoire, où chaque époque tente d’effacer la précédente tout en la laissant transparaître. Le vide et le plein, l’équilibre entre l’écrit et le non-écrit, entre le signe et son effacement, évoquent le processus même de la mémoire. 

Ainsi, l’artiste devient le scribe d’un inconscient collectif, un archéologue des âmes qui inscrit sur la toile les traces d’une identité en mutation. 

Entre cryptage et révélation : le signe est un secret  

L’art de la calligraphie oscille entre ce qui est caché et ce qui est révélé. Le signe est là, à la fois pour être compris, et pour dissimuler une vérité.  Ainsi le secret doit rester voilé, car il ne peut être saisi que par ceux qui ont les clés. 

En psychanalyse, le secret refoulé finit toujours par se manifester, sous forme de symptôme, de lapsus ou d’image inconsciente. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, la calligraphie et les symboles ne sont pas seulement décoratifs : ils sont des codes, des fragments d’un langage qui semble à la fois vouloir se dire et se cacher. 

La tension entre cryptage et révélation est au cœur du processus artistique : certaines formes sont claires et lisibles, d’autres semblent volontairement dissimulées, brouillées, rendues illisibles. 

Le spectateur est mis face à un défi : comprendre ce qui est écrit, ou accepter de ne pas tout saisir. 

L’œuvre devient alors un mystère, une porte entrouverte sur un savoir perdu ou à venir. 

Finalement, le signe n’est ni entièrement un secret, ni complètement une révélation : il est un passage, un seuil entre l’oubli et la mémoire, l’absence et la présence. 

C’est dans cette ambiguïté féconde que réside toute la puissance de l’art, et plus largement, de l’écriture comme acte de transmission et de transformation. 

La création est la seule révolte authentique 

Dans tout acte de création, il y a une tension entre présence et effacement. L’artiste, en inscrivant son geste sur la toile, y dépose une part de lui-même, mais en même temps, il s’efface. Son œuvre devient un autre lui-même, un prolongement autonome qui le dépasse et lui survit. 

Cet effacement peut prendre plusieurs formes : 

l’anonymat du signe : lorsque l’œuvre n’est plus perçue comme l’expression d’un individu, mais comme un langage qui parle au-delà du moi; 

– le don pur : dans la calligraphie, le trait est un geste, une respiration : un air qui inspire et qui s’exprime en encre. Une fois tracé, il existe par lui-même, indépendamment de celui qui l’a initié;

– la dissolution : quand l’artiste choisit de ne pas signer, en laissant le travail s’inscrire dans une continuité qui dépasse son propre nom. 

Dans ‘‘Udmawen Figures’’, ce processus est visible dans la manière dont les signes anciens semblent renaître sans appartenance fixe. Quand l’identité même de l’auteur se fond dans celle du signe, dans la mémoire qu’il réactive. 

Car en fin de compte, l’artiste n’est qu’un passeur, un canal par lequel une écriture oubliée trouve à nouveau un espace pour exister. 

Udmawen, le signe retrouvé 

Le terme «udmawen» (ⵓⴷⵎⴰⵡⴻⵏ), qui signifie masques, résonne comme une redécouverte, une résurgence du passé dans le présent. Ce qui avait été occulté, effacé par l’Histoire, refait surface à travers l’art, non pas sous sa forme originelle, mais transformé, réinterprété, réactualisé. Le signe, longtemps enfoui sous les couches de l’oubli, retrouve sa force non seulement comme un symbole identitaire, mais comme une écriture vivante, en perpétuel mouvement.  

Des lignes qui continuent à parler, même après le silence de l’artiste. 

Des formes qui, bien qu’anciennes, portent en elles une énergie nouvelle, une invitation à penser autrement l’Histoire et l’identité. 

Un langage retrouvé, mais qui ne demande qu’à être réinventé encore et encore. Car retrouver un signe, ce n’est pas seulement le reconnaître. C’est aussi accepter qu’il nous échappe, qu’il continue à se métamorphoser à chaque regard posé sur lui. 

L’ultime trait n’est jamais vraiment le dernier. Il est le commencement d’une autre lecture, d’une autre main, d’un autre souffle. 

* Psychologue, psychanalyste.

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