Le paradoxe marocain | «Investment grade» et malaise social

Au moment où le Maroc se voit relever sa note souveraine par l’agence de notation américaine Standard & Poor’s (S&P) à BBB-/A-3 et attribuer ainsi la note très convoitée d’«investment grade», perdue en 2021, pendant la pandémie de Covid-19, les grandes villes du royaume s’échauffent et voient défiler des centaines de milliers de jeunes de la GenZ protestant contre la détérioration des services publics, notamment ceux de l’éducation et de la santé.  «Nous voulons des hôpitaux pas des stades», criaient les protestataires, marquant un début de rupture entre la société et le Makhzen, c’est-à-dire le gouvernement du roi.

Latif Belhedi

Pour revenir à la notation, déjà, en mars 2024, la perspective était passée de stable à positive, un signal qui a précédé son relèvement la semaine dernière.

Cette décision fait suite à une mission menée au Maroc en septembre. S&P a souligné les réformes structurelles et les politiques macroéconomiques du Maroc, qui ont contribué à stabiliser les finances publiques et à diversifier l’économie.

Ce relèvement de sa note place le Maroc parmi les gouvernements considérés comme sûrs par les marchés obligataires internationaux, alors qu’une grande partie du continent africain reste en dessous de la note «investment grade».

Pour le Maroc, le passage à la note «investment grade» s’accompagne d’une baisse des rendements des prêts étrangers et d’un regain de confiance des investisseurs, avec un potentiel d’augmentation des investissements directs étrangers, notamment compte tenu du financement par le gouvernement des infrastructures, des projets de transition énergétique et des initiatives de politique industrielle.

S&P prévoit une croissance moyenne du PIB réel du Maroc de 4% entre 2025 et 2028, avec un déficit budgétaire se réduisant à 3% du PIB d’ici 2026 et un déficit du compte courant contenu à environ 2 % du PIB sur la même période.

Ces performances, rappelons-le, étaient celles de la Tunisie de Ben Ali, la veille de la chute de son régime le 14 janvier 2011. Le contraste était alors également criard entre une économie relativement prospère et un malaise social grandissant, marqué par de grands écarts dans la distribution des richesses nationales.

Aussi la séquence que vit aujourd’hui le Maroc rappelle-t-elle celle vécue par la Tunisie il y a 15 ans, et qui signifie que le libéralisme économique peut créer une prospérité passagère et trompeuse mais que seule une politique sociale redistributive peut corriger les écarts et apaiser les tensions.

D’ailleurs, les experts de S&P ont pris la précaution de préciser dans leur analyse que «la volatilité du secteur agricole au Maroc liée au changement climatique, les inégalités persistantes et la viabilité de la dette sont des facteurs qui pourraient mettre en péril le statut d’investment grade retrouvé.»

Ils ne s’attendaient sans doute pas à ce que leur avertissement soit aussi rapidement confirmé par les faits.

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