Alors que la population de Gaza a subi pendant deux ans un effroyable génocide commis par Israël et qu’elle continue d’endurer les pires souffrances, le Hamas vit actuellement un sursaut de popularité qui avait connu une baisse durant le conflit.
Imed Bahri
Le mouvement, qui existe depuis plus de 40 ans et qui a réussi à s’imbriquer fortement à la population, est dans le viseur de la communauté internationale et à sa tête les États-Unis qui veulent le désarmer et lui confisquer tout pouvoir de contrôle sur la bande de Gaza, mais en l’absence d’une alternative crédible qui puisse garantir l’ordre public, le Hamas est loin d’être lâché par la population. Il faut dire que les gangs financés et armés par Israël se sont comportés comme des ennemis de la population en pillant les aides, tuant et semant la terreur, et ce sont les combattants du Hamas qui sont venus au secours des victimes et puni les agresseurs.
Le Wall Street Journal a publié une enquête de Sudarsan Raghavan et Suha Ma’ayeh consacrée la popularité croissante du Hamas à Gaza, un phénomène qui est de nature à compliquer la tentative du président Donald Trump pour désarmer ses combattants. Il indique que la popularité du mouvement a augmenté depuis l’accord de cessez-le-feu négocié le mois dernier par le président américain Donald Trump et son plan en 20 points dont l’un prévoit le désarmement du Hamas dans le cadre des arrangements d’après-guerre.
Le journal américain note que si de nombreux Gazaouis souhaitent le départ du Hamas du pouvoir, ils saluent ses efforts pour lutter contre la criminalité et assurer la sécurité.
Un rôle crucial contre la criminalité
Suite à l’accord de cessez-le-feu, des combattants du Hamas ont investi les rues en tant que forces de police et de sécurité intérieure, patrouillant dans les routes et ciblant les criminels, les rivaux et les détracteurs du mouvement. Malgré la perception négative du Hamas parmi certains Palestiniens de Gaza, nombreux sont ceux qui ont salué son rôle crucial dans la réduction de la criminalité et le maintien de la sécurité.
Le journal cite Hazem Srour, 22 ans, qui déclare : «Même ceux qui s’opposent au Hamas veulent la sécurité car nous souffrons d’une grave insécurité due aux vols, aux actes de violence et à l’anarchie. Seul le Hamas peut arrêter cela, et c’est pourquoi la population le soutient».
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (Ocha) relevant des Nations Unies, avant le cessez-le-feu, plus de 80% de l’aide humanitaire fournie par les Nations Unies et ses agences partenaires était interceptée et pillée par des habitants de Gaza désespérés ou confisquée par des gangs armées.
Le mois dernier, les vols ciblant les camions ont chuté à environ 5%, d’après l’agence onusienne. Un porte-parole de l’Ocha attribue cette baisse à l’augmentation du flux d’aide et à l’action de la «police bleue» du Hamas pour lutter contre la criminalité.
Le WST rapporte que la baisse de la criminalité et le soutien continu à la résistance armée contre Israël ont permis au Hamas de redorer son image et d’exercer un contrôle plus strict sur la bande de Gaza. D’après des chercheurs, des sondeurs, des analystes et des habitants de Gaza, nombreux sont les Palestiniens qui parlent désormais du groupe armé en des termes plus pragmatiques.
41% des Gazaouis voteraient pour Hamas
Dans un sondage publié le mois dernier par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages d’opinion de Ramallah, 51% des habitants de Gaza interrogés ont exprimé une opinion positive sur l’action du Hamas pendant la guerre, contre 43% en mai et 39% il y a un peu plus d’un an. La marge d’erreur du sondage est de 3,5 points.
À une question distincte portant sur le soutien aux partis politiques lors d’élections hypothétiques, 41% des habitants de Gaza ont déclaré soutenir le Hamas soit une hausse de 4 points par rapport aux cinq mois précédents et c’est le niveau de soutien le plus élevé depuis décembre 2023.
Le journal rapporte aussi que la réalisation de sondages est difficile dans les villes dévastées de la bande Gaza. Toutefois, les chercheurs ont mené des entretiens en face à face avec des personnes vivant du côté contrôlé par le Hamas, le long de la ligne de cessez-le-feu. Pour les autres Gazaouis, Khalil al-Shaqaqi, directeur du centre ayant mené le sondage, a indiqué que les enquêteurs les ont interrogés dans leurs tentes à l’aide de tablettes et de téléphones portables et que les résultats ont directement été transmis aux serveurs informatiques du centre.
Le nombre des Gazaouis interrogés étaient critiques envers le Hamas. La tendance observée au cours des 12 derniers mois, comme le reflétaient les sondages précédents, était à un déclin de la popularité du mouvement islamiste, en particulier à Gaza.
Al-Shaqaqi a déclaré à propos du groupe armé: «Cette guerre a prouvé, dans une certaine mesure, aux habitants de Gaza et à d’autres, qu’Israël n’est pas parvenu à le vaincre. Le Hamas ne disparaîtra pas demain et nous devons vivre avec cette réalité».
Plus tôt cette année, des centaines de Gazaouis, épuisés par le déplacement et la faim, ont manifesté contre le Hamas, qui a mené l’opération Déluge d’al-Aqsa le 7 octobre 2023. Nombre d’entre eux ont reproché au Hamas sa lenteur à mettre fin à ce conflit qui dure depuis deux ans. Beaucoup restent frustrés par le Hamas et horrifiés par sa répression brutale. Le journal a cité Mohammed Burno, 33 ans, militant anti-Hamas et partisan du Fatah, mouvement rival : «C’est le Hamas qui crée ce chaos. De leur point de vue, ils appellent cela maintenir la sécurité mais la véritable sécurité ne s’obtient pas par la brutalité».
Le Hamas contrôle actuellement environ 47% de la bande de Gaza, la zone située à l’ouest de la ligne jaune qui marque le point de retrait des forces israéliennes dans le cadre de la première phase du plan de paix de Trump. De l’autre côté de la ligne jaune, soit environ 53% de la bande de Gaza, le territoire est sous contrôle militaire israélien.
En attendant l’émergence d’une alternative
Le WSJ souligne que le soutien croissant au Hamas à Gaza pourrait poser un dilemme à Trump et à son plan dont la deuxième phase prévoit le désarmement du mouvement et sa renonciation à tout rôle dans un futur gouvernement dans la bande en échange du retrait des forces israéliennes et de leur remplacement par une force internationale de stabilisation.
Les Palestiniens interrogés à Gaza étaient partagés sur la question du désarmement du Hamas: 55% s’y opposent et 44 % y sont favorables. Par ailleurs, 52% d’entre eux sont opposés au déploiement d’une force internationale chargée de désarmer le Hamas.
«Cette majorité signifie que beaucoup de gens souhaitent que le Hamas continue de posséder des armes, même s’ils ne le soutiennent pas», a déclaré Shaqaqi. Il a ajouté: «On craint l’objectif ultime d’Israël dans cette guerre et à court terme, le chaos».
Les Gazaouis se plaignent depuis longtemps des pillages et des violences perpétrés par des gangs armés sur l’ensemble du territoire pendant la guerre. «Le danger, en l’absence d’une autorité centrale, est que Gaza soit réparti entre 10 ou 20 milices différentes», a déclaré Miqdad Miqdad, un chercheur de 31 ans qui travaille avec des organisations humanitaires locales et vit à Gaza.
Avec le cessez-le-feu et la diminution de la crainte des bombardements israéliens, Miqdad est rentré chez lui, se sentant plus en sécurité maintenant que l’ordre est revenu dans les rues. «Lorsque les armes ont proliféré sans contrôle et qu’il n’y avait aucun système ni autorité pour faire respecter le pouvoir, ces groupes ont commencé à opérer librement. Les gens ne souhaitent pas forcément que le Hamas reste au pouvoir indéfiniment. Ils veulent simplement la stabilité jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement», explique-t-il.
Ibrahim Miqdad, 47 ans, habitant de Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, a déclaré que la population ne se sent plus perdue avec l’administration du territoire actuellement par Hamas. Il souhaite que le groupe armé conserve ses armes afin de pouvoir continuer à tenir tête à Israël jusqu’à ce que les droits soient rétablis et que la Palestine soit reconnue comme État.
Si Trump est parvenu à négocier un cessez-le-feu à Gaza, cette accalmie a permis au Hamas de consolider sa position, faute d’alternative crédible sur le territoire qu’il contrôle.
Durant la guerre, le gouvernement israélien a essuyé de vives critiques, y compris de la part de ses propres services de sécurité, pour son incapacité à développer une alternative viable au Hamas. Le WSJ cite Kobi Michael, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité nationale de Tel-Aviv et à l’Institut Misgav, un groupe de réflexion israélien, qui affirme que les Palestiniens continueront à soutenir le Hamas, ou du moins à ne pas s’y opposer, jusqu’à l’émergence d’une alternative.



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