L’Egypte est en émoi. L’artiste libanais Ragheb Alama y est désormais interdit de se produire en concert; il a même été convoqué par le syndicat égyptien des professions musicales pour une enquête disciplinaire. La cause : le fugace baiser échangé avec une admiratrice montée sur scène lors de son dernier gala dans ce pays qu’on avait connu moins bondieusard. Vidéo.
Mohamed Sadok Lejri *

Bien entendu, après ce petit baiser, ce «simple smack» comme on disait au collège, les endeuillés du slip, les aigries mal baisées et les conservateurs de tout poil sont montés au créneau pour crier au scandale et exiger des autorités égyptiennes une sanction à la mesure de la gravité du «crime» qui vient d’être commis.
Cela dénote une chose toute simple : la crainte des conservateurs égyptiens de voir leurs compatriotes s’affranchir de la tutelle de la religion et se frayer un chemin vers une plus grande liberté sexuelle.
Les conservateurs égyptiens, et arabes d’une façon générale, redoutent comme la peste la sécularisation de la société et l’émancipation des corps et des plaisirs.
En convoquant l’artiste libanais à son siège, en l’accablant à travers un communiqué qui dénonce un «comportement indécent contraire aux traditions et aux valeurs de la société égyptienne», en menaçant le propriétaire de la salle de spectacle de sanction, le syndicat égyptien des professions musicales n’a fait que légitimer et nourrir encore plus les diktats obscurantistes qui gangrène l’Egypte depuis plusieurs décennies.
«Ce concert est un affront clair et délibéré aux coutumes et traditions locales», a déclaré le président du syndicat en question. Cet état d’esprit poltron est indigne d’hommes qui se prétendent artistes car ils permettent aux bigots, aux bondieusards, aux islamo-obscurantistes, aux branleurs qui diabolisent un simple baiser et la moindre allusion au sexe car inaccessible pour eux, de conserver le monopole du contrôle de l’espace public au nom du respect des traditions, de l’islam, de la morale et des bonnes mœurs.
En effet, même les plus conservateurs savent pertinemment qu’il ne s’agit que d’un simple bécot, ils savent que ce baiser n’a rien de pornographique ou de contraire à la décence.
En réalité, ils craignent qu’un baiser donné en public reste impuni et soit la porte ouverte à la libéralisation des mœurs. C’est pourquoi ils ne comptent pas laisser passer ce baiser sous silence, aussi anodin soit-il.
Une conception totalitaire de la morale
En fait, cette confrontation dénote une chose toute simple : l’affrontement de deux visions antagonistes par rapport à la sexualité des Egyptiens et des Arabes. Il y a, d’abord, la crainte des conservateurs de voir leurs compatriotes s’affranchir de la tutelle de la morale religieuse et se frayer un chemin vers une plus grande liberté sexuelle.
En effet, comme tous les conservateurs arabo-musulmans, les conservateurs égyptiens redoutent comme la peste la sécularisation de la société et l’émancipation des corps et des plaisirs. Bondieusards et conservateurs de tout poil veulent conserver le monopole du contrôle de l’espace public au nom du respect de la religion, des traditions, des us et coutumes, de la morale et des bonnes mœurs.
Pour les conservateurs, le recours à l’appareil de l’Etat et à toutes les machines afférentes à l’appareil répressif de l’Etat (les syndicats des artistes font de cet appareil en Egypte) pour imposer dans l’espace public, aux médias, aux institutions artistiques et culturelles, une conception totalitaire de la morale, une conception moyenâgeuse et inquisitoriale des traditions et des bonnes mœurs. Et cela ne saurait faire l’objet d’une quelconque négociation.
Dans le camp d’en face, il y a les progressistes qui sont minoritaires et qui, sur le plan des mœurs, essayent de faire évoluer les choses sans trop se mouiller. Intimidés par les arguments d’autorité des conservateurs, ils ne font qu’obéir aux diktats de ces derniers depuis des décennies. La poltronnerie de beaucoup d’entre eux a permis aux bondieusards de conserver, durant tout ce temps, le monopole du contrôle de l’espace public au nom du respect de la morale et des bonnes mœurs.
La lâche démission des progressistes
Il faut que les progressistes comprennent que la provocation des conservateurs et le choc des consciences participent à la transformation de la société. Mais, hélas, nos progressistes, à quelques exceptions près, aussi bien en Egypte que dans les autres pays dits arabo-musulmans, se sont le plus souvent montrés lâches et timorés devant les tollés suscités par les affaires liées aux mœurs.
Pour que les mœurs évoluent sous nos cieux, les progressistes doivent faire face à certains tabous et arrêter de noyer le poisson lorsqu’on leur intime de se prononcer sur ce genre de sujets.
En effet, la remise en cause de la doxa et d’un certain conformisme est un passage obligé si l’on veut sortir du vieux dispositif qui sanctifie la morale religieuse et les bonnes mœurs et qui, de surcroît, s’appuie sur la répression sexuelle. Seul un électrochoc désinhibiteur affaiblira les tabous religieux et sexuels. Non seulement il faut résister aux assauts des conservateurs, à l’intimidation sociale et aux menaces proférées par les extrémistes, mais en plus il faut revendiquer sans la moindre équivoque la liberté sexuelle quand cela s’impose et le droit de se bécoter lors d’un concert, au cinéma, à la télé… Bref, en public !
C’est le seul moyen d’en finir avec la répression moralo-religieuse et les inhibitions qui lui sont liées d’une manière consubstantielle et qui sont à l’origine de tant de frustrations et de névroses en terre d’Islam…
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