Les agressions contre les jeunes médecins sont en passe de devenir quotidiennes dans nos hôpitaux. Ces scènes, qui se répètent, ne représentent pas des cas isolés, elles constituent désormais un fléau social, qui doit nous interpeller, d’autant que ce sont souvent les jeunes médecins résidents qui en font les frais. De quoi les dégoûter de leur métier et de leur pays, et les inciter à émigrer. (Ph. Alors que nos médecins partent à l’étranger, allons-nous bientôt recourir à des médecins étrangers dans nos hôpitaux publics?)
Raouf Chatty *

Samedi dernier, un jeune médecin résident en orthopédie et traumatologie a été violemment agressé ** dans un hôpital public à Sfax dans le cadre de son travail par un patient exigeant d’être soigné en priorité.
Ce grave forfait doit être condamné sans réserve. J’exprime mon entière solidarité avec la victime et avec les médecins et autres personnels de la santé dans nos hôpitaux publics dans des conditions souvent difficiles. J’appelle aussi les autorités publiques compétentes à se pencher sérieusement sur la situation des médecins dans les hôpitaux publics. Car il y a feu en la demeure et elles doivent prendre les devants et sévir contre les auteurs d’actes d’agression et de vandalisme.
Les agressions contre les jeunes médecins sont en passe de devenir quotidiennes dans nos hôpitaux. Il y a quelques semaines, un groupe d’individus déchainé avait attaqué un hôpital public à Kairouan, fracassant tout sur leur passage, terrorisant patients et personnels et occasionnant des pertes en matériel médical, évaluées à des centaines de milliers de dinars. Ces scènes, qui se répètent de manière régulière, ne représentent pas des cas isolés, elles constituent désormais un fléau social, qui doit nous interpeller.
Ce sont souvent les jeunes médecins résidents qui font les frais de ces agressions, alors qu’ils n’ont aucune responsabilité dans les conditions qui ont rendu ces agressions possibles. Ils en sont très affectés sur le plan psychique. Certains en viennent même à honnir le jour ils ont opté pour des études en médecine et consenti un investissement lourd en travail, efforts et en sacrifices.

Des conditions extrêmement difficiles
Ces médecins exercent leur profession dans des conditions extrêmement difficiles, voire très dures. Les hôpitaux manquent cruellement de ressources humaines, de moyens techniques et d’équipements médicaux. Ces quinze dernières années, la situation a beaucoup empiré dans les hôpitaux publics, suite à la démission des autorités administratives et à la montée des syndicats qui imposent désormais leur loi.
En effet, de nouvelles pratiques ont vu le jour dans les hôpitaux. L’autorité des médecins chefs de services s’est effritée. Le personnel paramédical fort de son nombre et de son ancienneté a occupé le terrain et fait désormais la loi dans les hôpitaux. Ils sont devenus quasiment intouchables. Cette situation a généré beaucoup d’abus et de dépassements. Aussi ne se passe-t-il pas une semaine sans que l’on entende parler des brimades et des misères que ces jeunes médecins subissent dans le cadre de leur travail. Maillon faible de la chaîne, ils sont entre le marteau et l’enclume, pris en tenailles entre l’autorité du chef de service dont ils dépendent pour la validation de leur cursus de stage et celle, non moins réelle, des agents paramédicaux qui font la pluie et le beau temps. Ces derniers travaillent à leur guise et sont souvent réticents à satisfaire les demandes des jeunes médecins qu’ils sont censés servir.
Beaucoup de ces jeunes médecins souffrent de ce calvaire durant la période de résidanat qui, pour certaines spécialités médicales et chirurgicales, dure entre quatre et cinq ans répartis en dix semestres dans les hôpitaux de la République. Exploités et baladés, la suite de leur carrière dépend du bon vouloir de leur patron, voire parfois de l’humeur générale régnant dans l’établissement où ils opèrent.
Beaucoup de jeunes médecins se plaignent du manque d’encadrement dans certains services. D’autres ont peur de voir leur patron refuser de valider leur stage de formation, ce qui revient à les priver de candidature à l’examen national de spécialité en médecine. L’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM) a d’ailleurs souvent soulevé ces problèmes.
De quoi vous dégoûter de la médecine
Les jeunes médecins parlent aussi souvent du stress qu’ils endurent dans les hôpitaux publics et qui n’est pas contrebalancé par un salaire décent, de bonnes conditions de travail ou un statut social, et ce au terme d’un cursus médical de onze ans, six ans d’études de médecine souvent très pénibles après un baccalauréat scientifique mention très bien et cinq ans de résidanat dans les hôpitaux dans des conditions pitoyables.
Dans ces conditions, il ne faut pas faire la politique de l’autruche et jouer aux vierges effarouchées, en voyant ces jeunes médecins faire leurs valises et quitter le pays à la recherche de meilleures perspectives de carrière à l’étranger. Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit souvent d’un aller sans retour. Ce qui constitue une perte pour eux, pour leurs parents et pour leur pays, qui a beaucoup investi dans leur formation.
L’honnêteté exige de compatir avec ces jeunes médecins ainsi contraints à l’exil, de se pencher sur leur situation et de remédier aux problèmes auxquels ils sont confrontés dans l’exercice de leur métier, au risque de voir bientôt les bacheliers brillants se détourner des études de médecine et laisser cette filière dévalorisée aux médiocres. Ce qui ne manquera pas de rejaillir négativement sur l’image de notre médecine et de nos médecins qui, jusqu’ici, sont généralement appréciés dans les pays étrangers où la plupart réussissent très bien.
* Ancien ambassadeur.
** Cela s’est passé à l’hôpital universitaire Habib Bourguiba à Sfax: un patient blessé à la main a agressé un médecin résident en lui assénant un coup sur la tête, lui faisant perdre conscience. Le jeune praticien a dû passer une nuit à l’hôpital, alors que l‘agresseur a été laissé en liberté par la police, au prétexte qu’il était blessé lui-même.
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