Les durs du parti islamiste Ennahdha se réfèrent à Yadh Ben Achour, un juriste libéral démocrate, pour justifier, et pas que dans le sens du droit constitutionnel, leur volonté de passage en force dans le bras-de-fer qui les oppose au président de la république Kaïs Saïed.
Par Dr Mounir Hanablia *
Ainsi la crise institutionnelle entre les présidents de la république et du parlement est toujours pendante comme une plaie béante au flanc de l’Etat tunisien. Les ministres contestés n’ont pas encore pris la bonne décision, celle de renoncer pour le bien du pays aux postes pour lesquels ils ont été adoubés par le parlement. Et il est douteux que cela suffise. C’est désormais l’ensemble du remaniement ministériel effectué par le chef de gouvernement Hichem Mechichi qui est remis en question.
Jurisprudence constitutionnelle ou positionnement politique
De son côté la coalition parlementaire majoritaire, conduite par le parti islamiste Ennahdha, ne semble pas prête à faire de nouvelles propositions et maintient sa position, celle d’obtenir la nomination des ministres concernés. Elle semble considérer qu’un recul créerait un précédent, celui d’un droit de censure reconnu à la présidence de la république sur les nominations ministérielles. Et en l’absence de Cour Constitutionnelle, c’est évidemment au chef de l’Etat qu’échoit le monopole de la jurisprudence en matière constitutionnelle. Mais cette éventualité, quoique évidente eu égard au texte en vigueur, ne fait pas l’unanimité parmi les spécialistes du droit constitutionnel, dont les opinions semblent fluctuer au gré de leurs positionnements politiques.
Les opposants à la présidence, ou plutôt au président Kaïs Saïed en personne, évoquent ainsi la «situation d’impossibilité» où les ministres auraient la latitude d’occuper leurs fonctions sans nomination par le chef de l’Etat, ni serment. Les plus virulents parmi eux invoquent une violation de la Constitution qui devrait valoir à son auteur la destitution, mais force est de constater qu’un homme comme Yadh Ben Achour, spécialiste de droit public et des théories politiques islamiques et ancien président de Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (Hiror), s’est rangé de leur côté, ce qui en réalité ne devrait pas étonner autant que cela. Ce dernier est bien l’homme qui avait mis le pied à l’étrier du pouvoir au parti Ennahdha, grâce à un numéro digne d’un dompteur de fauves dans un cirque. Et voilà que par sa dernière prise de position, il emboîte le pas à Rached Ghannouchi quand le chef islamiste parle de président de la république chargé d’inaugurer les chrysanthèmes, et de régime parlementaire.
Le soutien de Ben Achour à un gouvernement impopulaire
Désormais, les durs d’Ennahdha se réfèrent à Yadh Ben Achour pour se justifier, et pas que dans le sens du droit constitutionnel. Le constitutionnaliste de la Marsa aurait gagné à commencer par le commencement, c’est-à-dire le caractère singulièrement «frériste» du parti Ennahdha, le soutien politique qu’il apporte à tous ceux qui prônent l’instauration d’une société partageant des normes autres que celles des droits de l’Homme, assurant maintenant son appui à un gouvernement impopulaire dont la politique de maintien de l’ordre s’apparente de plus en plus, selon la société civile, à celles d’époques révolues.
M. Ben Achour aurait dû poursuivre par le caractère anticonstitutionnel d’un parlement qui depuis 6 ans ne veut pas s’affubler du contrôle d’une Cour Constitutionnelle, dont il refuse de nommer les membres; sans minimiser le bilan d’une décade de néant économique, dont la seule constante est une participation ininterrompue d’un parti politique, Ennahdha en l’occurrence, aux affaires d’un État miné par l’esprit de partis et le corporatisme.
Quand des membres de forces de l’ordre se qualifiant de républicaines lancent, durant des opérations de maintien de l’ordre, des slogans contre les athées et les gauchistes, constitution ou pas, il ne faut pas être grand clerc pour deviner vers quel type de régime le principe de subsidiarité est en train de faire glisser le pays, celui de Salazar et Caetano.
M. Ben Achour est sans doute un libéral démocrate. C’est son droit. C’est aussi son droit de penser que, en pays musulman, l’islamisme constitue l’étape nécessaire vers la démocratie, tout comme les marxistes considéraient avant Lénine que le capitalisme l’était pour le socialisme.
Un président de la république intègre mais brouillon ne pourrait certes rien apporter à ce schéma réducteur, pour peu qu’il ne marche pas sur les plates bandes de M. Ben Achour, celles du droit constitutionnel, quand bien même Kaïs Saïed serait lui aussi professeur de droit constitutionnel dont l’expertise est reconnue de tous. Mais, en en donnant publiquement un avis d’expert, M. Ben Achour devrait réaliser qu’il ne se trouve pas dans un amphithéâtre, face à un parterre d’étudiants, ni dans un séminaire ou colloque; et encore moins en Suisse, en Angleterre, ou en Suède.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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