Plus il s’empêtre dans les méandres d’un pouvoir qu’il a voulu total, à défaut d’être totalitaire, et dont il ne maîtrise même pas tous les leviers – car des pans entiers de la décision nationale lui échappent –, Kaïs Saïed prouve jour après jour l’étendue de son incompétence et de son impuissance. Pire encore, par petites touches successives, il révèle peu à peu son style de gouvernement, qui n’a rien à envier au clientélisme et au népotisme reprochés à ses prédécesseurs. «Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument», disait Lord Acton (1834-1902). Le président tunisien est-il en train de nous donner encore une preuve de la justesse de cette sentence ?
Par Ridha Kéfi
Fawzi Daâs, présenté comme membre de la campagne électorale explicative du président Kaïs Saïed, a estimé que les récentes nominations de certains jeunes ayant participé à cette campagne au poste de gouverneur (préfêt), sans tenir compte de leurs compétences ou de leur cursus respectifs, s’explique par «la confiance réciproque entre ces jeunes et le président de la république», selon ses termes. Est-ce une manière de parler de récompense pour service rendu ou, plus trivialement, de renvoi d’ascenseur ?
Daâs, qui parlait dans l’émission Shems Studio sur Shems FM, lundi 29 novembre 2021, a ajouté que «ces jeunes ont pris part au mouvement révolutionnaire et contestataire dans le pays» et ont capitalisé une expérience politique depuis 2010. Il n’y a donc «aucune partie qui comprendrait les revendications des gens comme ces jeunes», a-t-il encore expliqué, laissant comprendre qu’ils sont issus des couches populaires et sont au fait des réalités du pays et que cela les aidera à mieux gérer les affaires publiques dans les régions.
La poursuite des pratiques clientélistes
Tout en souhaitant le succès à ces jeunes, dont la plupart ont fait la douloureuse expérience du chômage de longue durée, on ne demande qu’à juger sur pièces de leur capacité à maîtriser la gestion des affaires publiques dans les régions, surtout que leur formation est assez sommaire et bancale et qu’ils ignorent les règles compliquées du fonctionnement administratif.
En réponse à ceux qui ont critiqué ces nominations à la tête de certains gouvernorats, y voyant la poursuite des pratiques clientélistes contre lesquelles les Tunisiens s’étaient révoltés le 25 juillet dernier et avec lesquelles le président Saïed était censé rompre, Daâs a déclaré que «ces dénigreurs auraient été plus inspirés s’ils avaient critiqué les nominations qui ont eu lieu tout au long de la décennie passée et qui sont fondées sur l’appartenance partisane et le partage du butin», selon ses termes. Et il n’avait pas tort…
Daâs ayant souvent parlé au nom du président Saïed, dont il fut l’un des protagonistes de la campagne électorale, sans que le locataire du Palais de Carthage ne juge nécessaire de rectifier ou même de nuancer ses prises de positions, on peut estimer qu’il est mandaté par ce dernier d’assurer le service après-vente des décisions présidentielles, souvent incomprises, incompréhensibles voire souvent très contestables.
On peut craindre aussi que les dernières nominations donnent déjà un avant-goût du système de gouvernance que le dangereux utopiste s’apprête à mettre en place, à coups de décrets présidentiels et en l’absence de tout contre-pouvoir digne de ce nom, et ce au nom de la démocratie participative qui donnerait la parole au «peuple qui veut», le fameux slogan électoral du président : «Echaab yourid».
Le nivellement par le bas
Cette forme de populisme, qui se drape dans l’honorabilité révolutionnaire et la rectitude morale, est, on le sait, le plus court chemin vers la banqueroute assurée. Le nivellement par le bas, auquel nous avons déjà assisté avec les partis Ennahdha, Nidaa Tounes, Qalb Tounes et tous les autres qui ont gouverné le pays depuis 2011, risque donc de jouer les prolongations avec la «nouvelle ère» incarnée par Kaïs Saïed.
Le président de la république, qui est entouré par des béni oui-oui sans envergure et, surtout, sans dignité, a commencé par se présenter comme un «monsieur propre» dans le marigot des corrompus, avant de se faire passer pour le «Zorro de la lutte contre la corruption», avec les résultats mitigés que l’on sait. Aujourd’hui, il est en passe d’endosser le costume, trop large pour ses frêles épaules, du «Guide suprême», en prenant parfois des postures d’«homme providentiel». Or, on sait que par le passé, ce genre de séquences se sont toujours très mal terminées…
Bref, du gabegie et encore du gabegie à l’horizon, dans un pays qui fait face à la plus grave crise financière de son histoire depuis son indépendance en 1956 ! De quoi décourager les plus fervents patriotes qui voudraient participer à l’effort de redressement national et les pousser à baisser les bras ou à fuir un pays qui leur tourne le dos et où ils ne se reconnaissent plus.
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