A trop vouloir défendre les ambitions politiques de son fils Hafedh, Béji Caïd Essebsi est en train de détruire par la main gauche ce que sa main droite a laborieusement construit.
Par Salah Gharbi
Hier soir, le président de la république a accordé un entretien à nos confrères de la chaîne privée El-Hiwar Ettounsi et du quotidien ‘‘Le Maghreb’’. Cet entretien attendu par une grande partie des Tunisiens, inquiets de l’évolution politique, économique et social du pays, a-t-il tenu ses promesses? Qu’on nous permette d’en douter…
Dans l’ensemble, le président a été persuasif sur les sujets économiques et diplomatiques, convaincant sur la nature de la coopération militaire entre les Etats Unis et la Tunisie, sincère à propos de l’affaire du meurtre de Lotfi Nagdh et franc quant à son approche de la justice transitionnelle. Comme à son habitude, ses réponses étaient tantôt évasives, tantôt directes, avec une dose d’humour qui caractérise souvent ses interventions télévisuelles.
Une amère désillusion
Toutefois, dès que les deux journalistes ont évoqué Nidaa Tounes, le parti qu’il a fondé en juin 2012 et qui l’a porté à la présidence de la république, et la responsabilité de son fils, Hafedh, dans la détérioration du climat général au sein de ce mouvement et son impact sur la vie politique dans le pays, M. Caïd Essebsi s’est raidi, s’est mis à louvoyer et, malgré les tentatives de Zied Krichène pour recadrer le débat, en se demandant si sur ces questions, le président n’avait pas manqué de lucidité, ce dernier s’est obstiné à nier les évidences. Pis encore, le visage fermé, il s’est évertué à vouloir nous persuader que son fils était irréprochable, en avançant des arguments qui manquent de clairvoyance. Ainsi, selon lui, son fils, que les Tunisiens ont découvert à l’âge de 55 ans, aurait toujours fait de la politique, bien avant le retour aux affaires de Caïd Essebsi père, en 2011…
Un entretien qui a déçu beaucoup de Tunisiens.
Hier soir, le débat avec le président de la république s’est achevé sur une amère désillusion pour ceux et celles qui avaient une haute idée de la perspicacité du chef de l’Etat et de son sens aigu des intérêts de l’Etat.
Par ses déclarations pour le moins surprenantes, Béji Caid Essebsi est venu étouffer, presque d’une manière irrévocable, l’espoir que beaucoup de militants et de sympathisants de Nidaa nourrissaient encore quant à la possibilité que la crise de Nidaa puisse prendre fin.
On comprend que le fils soit adulte, et qu’il échappe ainsi à l’autorité de son père, mais lui attribuer un passé politique et le blanchir de toute responsabilité dans la destruction de Nidaa seraient un peu excessifs. D’ailleurs, l’expérience politique de Hafedh Caid Essebsi à laquelle le président fait allusion se réduit à un passage comme figurant dans un parti fantoche sous Ben Ali. Et puis, a-t-on souvenir de cet activiste de la dernière heure après la révolution 14 janvier 2011, avant que le père n’eut pris l’initiative de fonder son mouvement politique, en juin 2012?
Hier soir, le président a prouvé pour les crédules, qui se sont toujours refusé de croire en sa partialité, que l’affaire de Nidaa n’est pas politique mais plutôt familiale et que le pourrissement de la crise de ce mouvement n’est pas l’une des préoccupations majeures de ‘Si’ Béji. «Malgré la crise, Nidaa est encore en tête dans les sondages», a-t-il déclaré, avec une attitude d’autosatisfaction, presque provocante, voire cynique, en sous-estimant l’état pitoyable dans lequel se trouve le groupe parlementaire de Nidaa.
Certes, parmi les opposants au fils se trouvent des petits requins, cupides, arrogants et infatués de leurs personnes, qui cherchent à faire main basse sur le parti, mais cette situation n’est-elle pas dû au fait que le président-fondateur n’a jamais cherché ou voulu mettre en place des structures fiables, capables de garantir le bon fonctionnement du mouvement?
Béji et Hafedh Caïd Essebsi ou le piège du pouvoir… en héritage.
L’égarement de ‘Si’ Béji
En soutenant son fils d’une manière aussi inconditionnelle, que chercherait à prouver le président de la république?
La réponse est improbable. On a beau chercher à donner une explication politique à cette attitude. ‘Si’ Béji, méfiant à l’égard des «petits requins» capables de compromettre le pacte avec Ennahdha, aurait besoin de son fils à la tête de Nidaa jusqu’à la fin de son mandat, expliquent certains. Mais, cette analyse ne saurait encore justifier l’indulgence du père, doublée d’une forte dose de complaisance, à l’égard du fils.
D’ailleurs, d’aucuns, déroutés par la tournure des événements, pensent, aujourd’hui, que cette affaire, qui serait en apparence politique, relèverait plutôt de la psychanalyse. Ainsi, selon des esprits farfelus, en s’obstinant à maintenir sa position, le père chercherait à satisfaire le vœu ultime du fils, celui de ressembler à son modèle.
A l’évidence, le président serait en train de détruire par la main gauche ce que sa main droite avait construit laborieusement durant trois ans. Sa responsabilité est historique et il ne devrait pas se contenter d’avoir occupé, un jour, la place de Bourguiba. C’est en débarrassant son pied de l’épine que constitue la crise de Nidaa, qu’il parviendra à se hausser réellement au niveau des grands hommes qui font l’Histoire.
Pour rappel, le fils de Sarkozy, plus avisé que Hafedh malgré son jeune âge, avait cherché, au cours du mandat de son père à se propulser à la tête d’un organisme qui s’occupe du Centre d’affaires de la défense, mais dès qu’il sentit l’hostilité de l’opinion, l’ex-président français, malgré son arrogance, mit fin aux ambitions démesurées de sa progéniture. Exemple que ‘Si’ Béji doit méditer…
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