A. Bissonnette, l’auteur de l’attentat du Québec.
Après l’attentat du Québec, perpétré 2 jours après les décisions du président Trump hostiles aux musulmans, ces derniers n’ont plus le triste monopole des actes terroristes.
Par Jamila Ben Mustapha *
Devant la montée de l’extrême droite, partout dans le monde, aussi bien sous son aspect terroriste en Orient avec l’organisation de l’Etat islamique (Daech) qu’en Occident avec les mouvements nationalistes intégrés, eux, au jeu politique et qui émergent un peu partout, nous voulions à tout prix voir dans le Canada un pays de Cocagne, une société plurielle réussie, à l’abri des perturbations du monde.
Hélas ! Nous n’avions pas tenu compte du fait que nous sommes à l’ère de la globalisation qui touche tous les domaines sans exception, y compris celui du terrorisme.
La parole et le geste racistes libérés
Voilà que l’assassinat des 6 Canadiens de confession musulmane, alors qu’ils étaient en position de prière, dans la ville de Québec, par un étudiant en sciences politiques de 27 ans, A. Bissonnette, le 29 janvier 2017, lève le voile sur une situation moins idyllique que celle que nous avions imaginée : nous apprenons que, comme partout, existent au Québec des groupes identitaires et suprématistes dont nous citerons Atalante Québec, la Fédération des Québécois de souche (FQS)…
«On croyait être la patrie de la paix. Mais rien n’est jamais acquis», affirme Stéphane Laporte dans son blog qui dit «avoir honte de ce qui est arrivé».
Or, on ne peut pas s’empêcher d’établir un lien entre le décret signé par Donald Trump aux Etats-Unis, vendredi dernier, et ce qui s’est passé dans le Canada voisin, deux jours plus tard.
Un président récemment élu prend tout de suite une série de mesures dont l’une d’entre elles interdit aux ressortissants originaires de 7 pays musulmans, l’entrée aux Etats-Unis pour une période de 3 mois.
Le seul Iran, pays fort et structuré par rapport aux 6 autres, a répondu avec panache qu’il appliquera, quant à lui, le principe de réciprocité vis-à-vis des citoyens américains.
Les Canadiens unis face à la haine.
Le populisme de Trump libère la parole raciste
Beaucoup d’observateurs ont remarqué que l’élection de Trump a libéré la parole et le geste racistes. Un ancien agent du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS), M. Juneau-Katsuya, a affirmé dans la chaîne de télévision québécoise TVA «avoir eu l’occasion de discuter dernièrement avec des collègues du FBI et services secrets américains, qui sont préoccupés depuis l’arrivée dans le paysage médiatique de Donald Trump. Ils ont constaté une recrudescence du nombre d’événements violents et haineux envers certaines communautés, dont les musulmans et les juifs.» Il ajoute aussi : «Avec la montée de la politique populiste qu’on a vue aux États-Unis, en Europe, il y a un courant qui s’est tranquillement transformé. […] Il y a eu un échec lorsqu’on a laissé sous la couverture de la liberté d’expression, un fauve se réveiller.».
Pour un jeune trentenaire, Joël Cardinal, cité dans le Journal ‘‘20 minutes’’ canadien du 31 janvier : «Le contexte international a peut-être été ‘‘la goutte qui a fait déborder le vase’’ de l’auteur présumé de la fusillade. Avec le décret de vendredi, signé par Donald Trump, c’est sûr que ça a envoyé un message, ça a peut-être motivé du monde à passer à l’acte.»
C’est ainsi que le terrorisme s’est donc exprimé, 2 jours après la signature du décret du nouveau président américain, non pas du côté habituel, celui des Musulmans, mais de celui d’un Occidental. Cette fois-ci, selon une sinistre symétrie, ce sont les premiers qui ont été la cible d’exécutions gratuites, motivées par la haine d’une communauté pourtant bien intégrée au Québec et comportant beaucoup de cadres faisant partie de la classe moyenne, comme le montre la fonction des victimes.
Il y a des assassinats pires que d’autres. Tuer une personne armée, qui vous fait face et qui est en position de défense, n’est pas comme le faire en surgissant derrière elle, alors qu’elle est dans une situation d’abandon total, de communication avec la transcendance, de soumission totale à Dieu: la soumission n’est-elle pas, d’ailleurs, le sens premier du mot «musulman», littéralement, «celui qui est soumis»?
Cet acte terroriste évoque celui, tout aussi horrible, subi par un prêtre en situation de prière, Jacques Hamel, par 2 jihadistes en France, à Saint-Etienne-du-Rouvray, en juillet dernier.
Justin Trudeau, l’anti-Donald Trump
La réaction du Premier ministre canadien Justin Trudeau, contre-exemple absolu de Donald Trump, a été empreinte d’un grand humanisme: «La diversité est notre force et, en tant que Canadiens, la tolérance religieuse est une valeur qui nous est chère (…) Face à la peur et à la haine, nous répondrons par l’amour et la compassion (…) Les Musulmans sont ici chez eux (…) À ceux qui fuient la persécution, la terreur et la guerre, sachez que le Canada vous accueillera indépendamment de votre foi.»
On dit bien qu’à quelque chose, malheur est bon. Dans le pays de Trump, les protestations ne manquent pas depuis son élection et montrent un grand dynamisme de la société civile. On a eu l’occasion de lire des pancartes qui affirmaient : «Nous sommes tous des Musulmans».
On a même vu sur les réseaux sociaux, une vidéo montrant un appel à la prière fait par un muezzin dans une église de Boston, signe de solidarité constatée déjà dans les territoires occupés, par les Chrétiens vis-à-vis des Musulmans.
Quand aurons-nous, nous-mêmes, assez de tolérance, pour offrir nos lieux de culte à des minorités religieuses persécutées?
Au Canada, il est vrai que l’action d’un seul individu a été un geste très lourd de conséquences puisqu’il a effacé, de façon définitive, l’idée que ce pays est à l’abri des bouleversements du monde, même si des actes terroristes moins graves s’y sont déjà produits.
Mais ne dit-on pas que ce qui ne vous tue pas, vous rend plus fort? Ces meurtres sont un avertissement pour les autorités publiques : elles sont dorénavant appelées à faire preuve de moins de laxisme, de plus de vigilance vis-à-vis du racisme pour garantir le «vivre-ensemble» dans une société multiculturelle.
Les musulmans, premières victimes du terrorisme
La fréquence des réactions contre le décret de Trump visant certains Musulmans aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, ainsi que le resserrement des liens entre les diverses communautés au Québec provoqué par l’acte terroriste du 29 janvier, font chaud au cœur.
Nous sommes sûrs que le Québec et le Canada sortiront plus forts de cette épreuve. Ce n’est pas l’acte barbare d’un seul individu, aussi grave qu’il ait été sur le plan symbolique, qui va tout remettre en question. Ce pays a de multiples ressources, dont sa société civile et son gouvernement éclairé.
Et puis, à quelque chose, malheur est bon. L’identification fatale entre «jihadiste islamiste» et «terroriste» ne peut plus, dorénavant, être maintenue. Les Musulmans, ou ceux qui prétendent l’être, n’ont plus le triste monopole des actes terroristes. La majorité d’entre eux, pacifiste, était mal aimée. Peut-être que cette si triste occasion leur apportera un peu plus de compassion et de respect, dans les pays étrangers où ils résident.
* Universitaire.
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