Le comportement des Tunisiens pendant le mois de ramadan est un révélateur politique de premier ordre.
Par Rachid Barnat
Dans un avion ramenant deux Tunisiens en Tunisie, l’un musulman de culture mais non pratiquant fait quelques remarques à son voisin de siège, musulman observant le jeûne du mois de ramadan…
1° – Dans l’avion :
«Dans l’avion, lors de mon voyage à l’époque de la troïka, la moitié des femmes sinon plus, qui voyageaient avec moi, étaient foulardées, certaines portant le hijab; et le tiers des homme portaient barbes, calotte, kamis, et le sceau frontal… l’un de ces signes, sinon plus! Alors que cette fois-ci, il y a tout au plus 5 foulardées dans un avion plein comme un œuf… et presque aucun barbu!»
2° – Au restaurant :
«Lors de mon séjour à Tunis en 2013 sous la troïka, des amis m’ont invité au restaurant El Walima (Le Festin) pour le repas de rupture du jeûne. Et mon constat rejoint celui à propos des voyageurs dans l’avion: la moitié des clients du restaurant, sinon plus, étaient foulardées pour les femmes et barbus pour les hommes! Lors de mon séjour à Tunis la semaine dernière, mes amis ont tenu à ce que je les accompagne à nouveau pour le repas de rupture du jeûne toujours chez El Walima dont nous apprécions la carte et l’accueil par une authentique princesse. Cette fois-ci il n’y avait qu’une seule foulardée dans un restaurant quasi complet… et des barbus, 2 ou 3 tout au plus; le reste des clients ayant l’aspect habituel du Tunisien avenant et coquet dans sa tenue vestimentaire !!»
3° – Solidarité des non jeûneurs avec les jeûneurs :
«A la suite du zèle dont a fait preuve un brigadier de police à l’encontre d’une femme qui mangeait tranquillement son sandwich dans la rue au début du mois de ramadan, je me pose la question de savoir s’il fallait aux jeûneurs le soutien de tous pour supporter leur épreuve du jeûne. Autrement dit, si leur foi n’était pas assez forte pour assurer seule leur propre jihad (lutte contre soi) contre leurs désirs et leurs faiblesses… et qu’il leur fallait la participation de tous pour traverser leur épreuves spirituelle et physique?»
Son voisin lui rappelle la tolérance qu’il a toujours connue dans sa famille où personne ne juge l’autre surtout en matière religieuse; puisqu’il dit avoir un frère et une sœur qui ne font ni le ramadan ni les prières… tout en affirmant leur appartenance à une culture musulmane!
Il met l’incident sur le compte du zèle des nouveaux convertis… et nouveaux «nommés» dans la fonction publique par les Nahdhaouis quand ils étaient au pouvoir leur confirmant leur allégeance.
4° – A la plage :
«Si, lors de mes séjours en été sous la troïka, les foulardées et les barbus envahissaient les plages jusqu’au grotesque vestimentaire de certaines en hijab qui plongeaient dans l’eau…, cet été je suis étonné de retrouver ma plage habituelle avec des estivants des années d’avant l’arrivée des islamistes au pouvoir ! Et c’est plutôt agréable de ne plus subir la pollution visuelle de ces fantôme sortant de l’eau aux formes difformes et disgracieuses par leur accoutrement qui leur colle au corps ! De même, que j’ai moins vu de barbus; à moins que ce ne soient les mêmes qui ont décidé de se débarrasser de leurs barbes… le pouvoir ayant changé de majorité.»
Le voisin sourit et acquiesce.
5° – Fixation de la date de l’aïd :
Pour finir, il demande à son voisin de siège la date de l’Aïd. Celui-ci dit qu’elle n’est pas encore fixée car il faut que le mufti ait vu le croissant pour arrêter la date de la fin du jeûne et par conséquent, celui de l’Aïd.
Il lui demande comment se fait-il qu’au 21e siècle où l’astronomie calcule avec une précision parfaite la révolution de toutes les planètes connues, peut-on continuer à vérifier de visu ce que l’on sait à la seconde près par les calculs? D’autant que ceux qui réfutent le recours à la science sont ceux-là même qui usent souvent des technologies les plus modernes et les plus sophistiqués?
Son voisin reconnait qu’il y a un paradoxe et regrette que le mufti fasse du zèle pour ne pas froisser, pense-t-il, les Frères musulmans qui sont au pouvoir aux côtés de Nidaa Tounes. Et lui rappelle que Bourguiba refusait de laisser ce «privilège» aux Ibn Saoud pour décider des dates des fêtes religieuses; ce qui leur conférait un pouvoir sur le monde musulman sunnite; se référant, en homme de son époque, à la science exacte pour arrêter ces dates importantes pour les musulmans!
Au grand étonnement du non jeûneur, et en réponse à toutes ses observations et ses questions, son voisin lui fait le distinguo entre la religion de ses ancêtres mêlant malékisme et soufisme; et l’islamisme des nouveaux convertis au wahhabisme importé par les Frères musulmans qui ont chevauché la «révolution»!
Comme pour le rassurer, il lui dit qu’il souhaite que les Tunisiens dégagent les Frères musulmans qui ont sali l’islam auquel il croit et qu’il pratique, en le polluant par l’obscurantisme des Arabes d’Arabie.
Il lui précise avoir voté Nidaa Tounes, persuadé que Béji Caïd Essebsi et son parti sauront mettre un terme à l’islam politique d’Ennahdha. Mais regrette que Nidaa tarde à tenir ses promesses et ne lui pardonne pas son alliance avec les Frères musulmans !
Ce qui les amène à la conclusion que beaucoup de Tunisiens répondent par l’hypocrisie à l’hypocrisie des tartufes au pouvoir; et n’hésitent pas à retourner leur veste, pour plaire au pouvoir en place… reprenant de vieux réflexes acquis sous Ben Ali!
Donc encore des réflexes à combattre… et une révolution intellectuelle à faire, disent-ils.
Le voyageur jeûneur pense que probablement le peuple n’est pas suffisamment mûr pour la démocratie ! Alors que son voisin de siège garde l’espoir que les Tunisiens éduqués sauront résister aux doctrines obscurantistes des salafistes et des wahhabites car trop opposées à leur caractère. Et rappelle à son interlocuteur ce que disait le Bey de Tunis à Mohamed Abdelwahhab, qu’il n’a rien à apprendre aux Tunisiens, quand les oulémas de la Zitouna l’avaient mis en garde contre son obédience porteuse de fitna et de violence par son obscurantisme !
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