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5e anniversaire du 14-Janvier : Une société en avance sur son élite politique

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Le 5e anniversaire de la révolution du 14-Janvier 2011 est aussi triste que les précédents. On ne manquera pas de le célébrer, parlant d’acquis auxquels on ne croit même plus.

Par Farhat Othman

On dira que la souveraineté populaire est à l’honneur quand le peuple continue à ployer sous les lois de la dictature. On parlera du service des masses quand on ne se soucie que du pouvoir et de son contrôle. Et on prétendra que c’est la démocratie, ce qui n’est qu’un poker menteur.

Ni révolution ni coup d’État, un coup du peuple !

D’abord, personne n’en doute plus: il n’y a jamais eu de révolution en Tunisie au sens technique et classique, ce renversement total d’un ordre ancien, remplacé par un ordre nouveau.

Ne serait-ce qu’au niveau de l’administration d’État et de l’arsenal juridique, la Tunisie est toujours gérée par l’ancien régime. Certaines de ses victimes, celles qui n’ont pas fait partie des cercles des nouveaux prédateurs au pouvoir, n’ont même pas eu justice encore !

De fait, ce qui s’est passé en notre pays fut un «coup du peuple». Dans cette expression, le coup d’État est sous-entendu, mais rappelant qu’il s’est servi du peuple pour avoir lieu et prendre forme; c’est le coup d’État de la postmodernité ou révolution 2.0. On en a vu la forme paroxystique en Égypte.

C’est ce qui explique la mainmise des forces obscurantismes sur les rouages de l’État, aidées par les nostalgiques de l’ancienne dictature ou les aidant en se servant de l’arsenal répressif de l’ordre déchu, ses lois scélérates qui devaient pourtant être abolies en premier.

Ce qui le manifeste crûment, outre l’opéra-bouffe du politique auquel on assiste avec les ébats indécents entre le deux principaux partis au pouvoir, est cette grâce présidentielle à l’occasion de cet anniversaire qui se limite à quelques cas parmi les innocentes victimes de l’horrible loi sur les stupéfiants, symbole de la tyrannie de l’ordre ancien. Une telle grâce aurait en effet dû être générale, étendue à toutes les victimes de la loi 52 pénalisant les consommateurs de cannabis dénoncées par toutes les consciences libres.

La Tunisie, un marché ouvert à tout vent

Les capitalistes du monde libre qui se sont débarrassés de la mafia au pouvoir sous l’ancien régime pour n’avoir pas veillé à l’équilibre sacré du ratio avantages/inconvénients, garant du soutien qu’elle avait auprès d’eux, cherchent aujourd’hui à faire de la Tunisie un marché juteux.

Pour cela, ils croient s’être servis du peuple en profitant de la vague de fond populaire pour l’encadrer et la diriger dans le sens de leurs intérêts tout en évitant qu’elle ne soit un tsunami.

Certes, ils ont veillé à ce que la déferlante populaire n’emporte pas tout, surtout pas la caution de leurs intérêts dans leu pays. Toutefois, ils ne réalisent pas, malgré tout, qu’une telle lame de fond a emporté l’essentiel au pays, la mentalité d’antan.

Car le peuple aujourd’hui n’est plus celui d’hier; il est réveillé qu’il est et à sa nature profonde, une psychologie des profondeurs, rebelle, frondeuse et libertaire.

Il n’empêche qu’on continue à faire semblant de l’ignorer, reprenant l’antienne de la démocratie comme coquille vide dont usait déjà la dictature, pensant que les délices de la société de consommation suffiraient à occuper le peuple selon l’adage bien connu du pain et du cirque. Or, le modèle de l’économie mondialisée est mort et on ne peut en relever sans graves périls.

Comme le dit Edgar Morin dans son dernier livre ‘‘Penser global, l’humain et son univers’’, l’épuisement des ressources de la planète commande de ne plus se concentrer sur la question classique de la croissance opposée à la décroissance parce qu’on ne peut disjoindre les deux, une croissance ne pouvant être scindée d’une décroissance en cycles alternés ou simultanés.

C’est donc, pour le moins, d’une synthèse des deux que la bonne pratique politique et économique doit relever. On se doit toujours de considérer le tout et la partie, ne pas écarter l’incertitude, évitant ainsi une rationalité stérile, le dogmatisme ou dogmatisation d’une vérité unique se voulant totale.

Une soif de droits et libertés

C’est bien d’une vraie démocratie que rêvent les Tunisiens et non cette sous-démocratie qu’on leur sert. Or, nos politiques n’ont à lui offrir que la singerie d’un modèle épuisé, en crise déjà en cet Occident qu’on imite, une nouvelle dictature. Nos pseudo-démocrates se cachent ainsi derrière les partis pour masquer leurs appétits voraces pour le pouvoir. Et pour avoir une chance d’exister, même les plus démocrates formellement s’alignent sur de telles pratiques en un jeu de poker menteur qui ne trompe plus personne.

Ce faisant, ils oublient que la démocratie ne se réduit plus au jeu des partis qui l’ont vidée de tout sens, en faisant un jeu puéril pour les ambitions d’aventuriers de la politique et des mercenaires politiciens.

Aujourd’hui, la démocratie est à refonder; elle est à libérer de l’enfantillage partisan désormais réduit à une foire de slogans creux. Cela est même avéré en Occident, terre de la vieille démocratie formelle en crise. Pour être revitalisée, la démocratie doit prendre racine  dans un tissu de solidarité organique que représentent la société civile et ses associations avec leurs diverses initiatives informelles innovantes.

La conception classique de la politique politicienne excluant la société civile doit être abandonnée, car les associations sont devenues l’âme même du politique. Désormais, il n’est nul développement, aussi bien social que politique, sans une économie solidaire inclusive en une société participative.

Le salut de la démocratie en Tunisie est dans l’orientation du jeu actuel des partis vers cette réalité. L’option prise, en janvier 2014, dans le cadre du Dialogue national, pour un gouvernement de compétences fut de bonne guerre, car elle est dans le sens de l’histoire. Faut-il que les compétences soient réellement apolitiques, mais aussi adogmatiques n’ayant en vue que les droits et les libertés à assurer pour tout un chacun dans une société jugée majeure !

On oublie qu’il y a une constante anthropologie en Tunisie qui est l’opposition entre la ville et la steppe, l’homme de l’intérieur qui a toujours une revanche à prendre et l’homme de la ville qui vient toujours lui imposer son autorité, restreindre sa liberté avec des lois qui briment la majorité pour le bonheur d’une minorité privilégiée.

Ne l’oublions pas! La Révolution (ou coup du peuple) a été faite par des jeunes marginaux et exclus; à voir comment on les traite de nos jours, on mesure à quel point la rupture est grave entre ces deux pans de la Tunisie. Or, l’avenir du pays est bel et bien sa jeunesse. Et elle a droit à être dignement traitée.

La politique à réinventer

Les véritables démocrates du pays doivent donc faire attention à ne plus aggraver la fracture écartelant le pays entre pauvres et nantis, gens des villes et gens des campagnes, professionnels de la politique à l’antique et acteurs sociaux novateurs. Il y va de l’unité du pays. Et elle est dans la diversité qui ne peut exister qu’avec la reconnaissance et le renforcement des pouvoirs locaux au détriment du pouvoir central et de l’abolition de toutes les lois manifestement liberticides.

Car elle est surtout dans la rupture définitive avec l’ordre ancien que pérennisent de telles lois qui n’ont plus de légitimité. Certes, les réformes juridiques nécessitent du temps, mais rien n’empêche de décréter un  moratoire à l’application des plus scélérates en octroyant législativement aux juges la capacité de s’abstenir d’appliquer la moindre loi violant les droits et les libertés garantis par la constitution tout en faisant acte d’interprétation dans la limite permise par l’acte juridique majeur du pays et le droit conventionnel comparé.

En effet, il ne nous faut pas oublier que l’imaginaire populaire est fait de ressentiment contre les autorités et d’un désir d’émancipation, notamment chez la jeunesse, cible des terroristes. Or, leur attente d’une vie économiquement meilleure est toujours repoussée. Qu’elle ne le soit pas sur le plan des droits et des libertés!

On sait que dans les villages de l’intérieur du pays, et même à la périphérie des villes, ce qui fait la vie réelle de la communauté, c’est l’attente de changement véritable, de coupure avec un passé honni. Or, cette attente est aujourd’hui celle d’un État de droit qui soit celui d’une société de droits.

Il nous faut être attentifs à un fait sociologique capital: la démocratie ne saurait se passer d’une dimension mystique, une composante mythique où les symboles sont encore plus importants que les faits concrets et où il importe d’être en syntonie avec le moindre ressenti populaire.

C’est dire l’importance de  l’exemple à donner. Aussi, si on veut une démocratie dans notre pays, il nous faut une politique nouvelle, imaginative, en prise directe avec le quotidien et l’ordinaire populaire, avec des mesures parlant au peuple sa langue au lieu de lui projeter des conduites politiques et économiques occidentales supposées universelles, mais qui ne le sont point.

Les spécificités de notre pays commandant un autre comportement, la transfiguration de la pratique politique, une réinvention de la démocratie. Cela impose d’être au courant des véritables attentes populaires, au-delà des fausses convictions en termes de conservatisme et de religiosité, la société n’ayant jamais été aussi libertaire qu’aujourd’hui. Et elle est même en avance sur ses élites!

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