Khemaïs Jhinaoui et Frank-Walter Steinmeier.
Berlin tente d’activer l’expulsion des demandeurs d’asile nord-africains rejetés et Tunis souhaite un allègement de l’interdiction de voyage en Tunisie.
Par Marwan Chahla
Le ministre des Affaires étrangères Khemaïs Jhinaoui, en visite en Allemagne, a déclaré à la presse, mardi 19 janvier 2016, que «la Tunisie fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider nos amis allemands (sur cette question des demandeurs d’asile déboutés, Ndlr) (…) Bien évidemment, notre pays accepterait de recevoir ses citoyens, s’il s’avère que ces derniers sont de fait des citoyens tunisiens et qu’ils résident illégalement en Allemagne» (‘‘DW’’).
«Pays d’origine sûrs» (?)
Ce déplacement en Allemagne et cette déclaration de M. Jhinaoui interviennent à un moment où les responsables allemands expriment de plus en plus le souhait d’imposer de nouvelles restrictions sur l’immigration en provenance des pays d’Afrique du nord et appellent à classer la Tunisie, le Maroc et l’Algérie comme «pays d’origine sûrs», ce qui faciliterait l’étude des dossiers des demandeurs d’asile des pays du Maghreb et accélérerait les démarches administratives de leur expulsion.
Si cette mesure venait à être approuvée par les autorités de Berlin, les 3 pays d’Afrique du nord rejoindraient la liste d’autres «pays d’origine sûrs» qui comprend l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie.
Cette droitisation du discours de la classe politique allemande sur le dossier des réfugiés et sur la question des demandes d’asile semble être la résultante de la levée de bouclier suscitée auprès de l’opinion publique allemande par les évènements de la Saint-Sylvestre à Cologne, où des migrants nord-africains seraient soupçonnés d’avoir agressé sexuellement des citoyennes allemandes.
Ces incidents, la colère et les protestations qu’ils ont générées, ont été notamment exploités par les conservateurs de l’Union chrétienne-sociale (CSU) qui ont exercé une forte pression sur la chancelière Angela Merkel pour qu’elle révise sa politique de portes ouvertes en matière d’immigration et de demande d’asile.
En réalité, les accords en vigueur liant l’Allemagne aux pays d’Afrique du nord autorisent la déportation manu militari des demandeurs d’asile dont les dossiers ont été refusés.
Cependant, il y a problème lorsque le demandeur d’asile ne présente pas de pièce justificative valable certifiant son identité. Dans ce cas, les ambassades nord-africaines en Allemagne se refusent de délivrer les documents nécessaires qui serviront à mettre en œuvre l’opération d’expulsion de la personne déboutée.
Très souvent, d’après les médias allemands, dès leur arrivée en Europe, certains réfugiés décident de détruire leurs papiers, alors que d’autres ont pu les perdre ou, tout simplement, ont entrepris le voyage vers l’Europe avec de faux documents…
Le laissez-passer européen à l’étude
Dimanche 17 janvier 2016, le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel, du SPD (Parti social-démocrate), est monté au créneau pour surfer sur cette vague de colère et pour suggérer qu’une des manières de convaincre les pays d’Afrique du nord à coopérer devrait consister à ce que l’Allemagne recoure à la suspension son aide au développement aux pays qui refusent de recevoir leurs citoyens dont la demande d’asile a été rejetée.
Selon les chiffres du ministère allemand du Développement, cités par le site anglophone allemand ‘‘The Local’’, une enveloppe d’aides et de subventions de 490 millions d’euros est accordée au Maroc, suivi par la Tunisie, avec 215 millions d’euros, et l’Algérie, avec 6 millions d’euros.
Les chefs de la diplomatie tunisienne et allemande semblent s’être mis d’accord sur un compromis. Selon Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des AE, il y aurait la possibilité de fournir un laissez-passer européen au demandeur d’asile refusé. Une délégation d’experts allemands fera, prochainement, le déplacement en Tunisie pour étudier avec la patrie tunisienne cette solution et tenter de mettre au point les modalités de son application.
Sur l’autre dossier très important du tourisme et du séjour des vacanciers allemands en Tunisie, M. Jhinaoui a rappelé que les restrictions de voyage que les autorités allemandes ont imposées à leurs ressortissants, au lendemain des attentats terroristes qui ont frappé la Tunisie en 2015, ont sérieusement affecté l’activité de l’industrie touristique tunisienne.
Sur ce point, la requête du ministre des AE est directe et claire: «Si nos amis encouragent leurs citoyens à se rendre en Tunisie, cela sera d’une grande aide pour notre pays.»
De toute évidence, la compréhension et la solidarité allemandes aideront à la reprise de l’activité touristique et de l’investissement en Tunisie, contribueront très certainement à le rendre encore plus sûr… et finiront par déjouer les plans terroristes qui ont déjà causé de nombreux dégâts.
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