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Pour un nouveau partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne

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Laura Baeza et Martin Schulz, président du Parlement européen, reçus par Habib Essid.

Il faut que l’accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) avec l’Union européenne soit adapté aux besoins spécifiques de la Tunisie post révolution.

Par Ahmed Ben Mustapha*

Dans une série de précédents articles consacrés aux relations entre la Tunisie et l’Union européenne (UE), j’avais déploré le caractère totalement déséquilibré et inéquitable des accords de partenariat conclus depuis l’indépendance ou envisagés après la révolution dont l’accord de libre échange complet et approfondi (Aleca) en cours de négociation. Et j’avais alors préconisé la renégociation du plan d’action en vue d’aboutir à l’élaboration en commun des termes d’un nouveau et véritable partenariat mutuellement bénéfique et profitable aux deux parties.

En fait, mon engagement sur ce dossier rejoint celui d’un nombre croissant d’activistes indépendants de la société civile récemment confortés par l’implication d’importantes organisations de la société civile tunisiennes et méditerranéennes; ce qui confère à ce mouvement d’opinion une importance et une influence accrues auprès de l’opinion publique et des décideurs des deux cotés de la méditerranée.

A ce propos il convient de relever que la Tunisie et l’UE ont convenu de tenir la réunion du conseil d’association tuniso-européen en avril 2016 dans un contexte marqué par une forte mobilisation de la société civile tunisienne sur les problématiques liées au partenariat avec l’UE dans la perspective d’une prochaine reprise des négociations entamées en octobre 2015 sur l’Aleca. Cet accord – fortement controversé en Tunisie – suscite les réserves et les craintes de nombreux activistes et spécialistes issus des sphères politiques, économiques, diplomatiques et universitaires ainsi que des milieux d’affaires, associatifs et syndicaux.

La société civile pour la refonte du partenariat avec l’UE

A noter que les formes d’expression de ces préoccupations – initialement limitées à quelques articles de presse – prennent de plus en plus la forme d’un courant d’opinion et d’un mouvement organisé impliquant pour la première fois d’importants acteurs de la société civile tunisienne et européenne représentatifs des deux rives de la Méditerranée.

L’objet de cet article est de focaliser l’attention sur ce mouvement d’opinion qui revêt à mon sens une importance capitale en raison de ses répercussions possibles sur la reformulation du cadre stratégique des négociations et des futures relations de la Tunisie avec l’UE.

En effet le gouvernement tunisien devrait tirer profit de cette mobilisation de la société civile pour demander le report des négociations et ouvrir une consultation nationale sur ce sujet dont les enjeux touchent à l’avenir de la Tunisie.

D’ailleurs, il est inconcevable de continuer à gérer ce dossier de nature stratégique comme s’il s’agissait d’un simple accord commercial; c’est pourquoi il conviendrait de le confier à la diplomatie tunisienne avec pour mandat la renégociation du plan d’action et la redéfinition de son contenu dans le but d’aboutir à un vrai partenariat, bilatéral et régional, d’essence politique, sécuritaire, économique et réellement profitable aux deux parties et aux deux rives.

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Laura Baeza, et Cecilia Malmström, Commissaire européenne au commerce, reçues par Habib Essid.

La Tunisie mérite d’obtenir un statut particulier

Au final, la Tunisie devrait requérir l’obtention d’un statut particulier tenant compte du bilan global de ses relations avec l’Europe depuis l’indépendance, de sa situation économique critique, de ses spécificités culturelles, de son appartenance à l’ensemble maghrébin, des périls et des menaces sécuritaires auxquels elle se trouve exposée… et de ses priorités actuelles et futures telles que définies par sa nouvelle constitution.

Parallèlement des négociations devraient être engagées avec le G7 pour évaluer le bilan du «partenariat pour la démocratie» de Deauville ainsi que celui de la coopération avec les institutions financières internationales notamment le FMI et la Banque mondiale.

Sur le plan bilatéral, la Tunisie devrait négocier avec nos principaux partenaires économiques afin de convenir d’un programme de sauvetage de l’économie tunisienne assorti de mesures d’urgence axées sur le désendettement de la Tunisie et le rétablissement de ses équilibres financiers comme préalable à toute nouvelle négociation sur l’Aleca.

En effet, la Tunisie n’a, dans les conditions actuelles, aucune marge de négociation susceptible de lui permettre de défendre ses intérêts et d’aboutir à un partenariat juste et équilibré avec l’UE.

Aucune évolution notable de la politique européenne à l’égard de la Tunisie

A la suite des graves troubles et des manifestations de masse contre le chômage que connait la Tunisie, l’UE lui a réaffirmé son soutien dans la foulée de la visite du président du parlement européen Martin Shulz. A cet effet, elle a annoncé l’octroi à la Tunisie d’un nouveau prêt à moyen terme de 500 millions d’euros qui vient s’ajouter au crédit conditionné de 300 millions d’euros octroyé en 2014.

Dans le même ordre d’idées, la France avait annoncé un plan de soutien financier à la Tunisie de 1 milliard d’euros sur les cinq prochaines années.

Mais ces gestes ponctuels ne dénotent aucun changement dans la vision stratégique européenne à l’égard de la Tunisie comme le montrent les déclarations du président du Parlement européen en réponse au président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui avait requis un plan Marshall de sauvetage de l’économie tunisienne. Mohamed Ennaceur faisait ainsi allusion aux promesses non tenues prises par le G7 à Deauville en 2011 de fournir à la Tunisie un soutien financier massif à des conditions préférentielles et de lui restituer ses avoirs spoliés placés à l’étranger sous l’ancien régime.

A ce propos, il importe de souligner que les pressions européennes pour la conclusion de l’Aleca s’inscrivent dans le cadre de la stratégie occidentale exprimée à Deauville et tendant à préserver ses intérêts et son influence en Afrique du Nord en y imposant la reconduction des mêmes choix économiques et diplomatiques convenus avec l’ancien régime. La finalité profonde de cette politique est l’intégration économique irréversible et exclusive de la Tunisie dans l’espace européen par l’extension d’un «libre échange» inégal et déséquilibré à tous les secteurs de l’économie.

Cet acharnement de l’UE et du G7, qui ne tient aucun compte des capacités d’adaptation limitées de l’économie tunisienne, a donné lieu à la publication en date du 15 février 2016 d’une déclaration de la société civile cosignée pour la première fois par des organisations euro-méditerranéennes tunisiennes et françaises. Au nombre des 19 organisations tunisiennes signataires figurent l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), le FTDES (Forum des droits économiques et sociaux), la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l’homme) et l’ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates).

Du côté français, les associations signataires, et particulièrement Attac, sont actives et connues par leur militantisme contre les effets pervers de l’économie de marché et des accords de libre échange déséquilibrés imposés par l’UE aux pays du tiers monde.

Pour la Tunisie, les effets ravageurs les plus perceptibles de cet échange inégal se traduisent par la destruction de ses secteurs productifs nationaux notamment l’industrie tunisienne totalement décimée par l’accord de 1995. En outre, l’économie tunisienne souffre d’un surendettement nocif et improductif atteignant des seuils critiques. Et c’est ce qui explique les vives inquiétudes suscitées par une éventuelle libéralisation totale des échanges avec l’Europe par le biais de l’Aleca.

Pour une redéfinition des termes du partenariat avec l’UE

Le contenu de la déclaration citée mérite qu’on s’y arrête dans la mesure où il exprime l’adhésion des associations signataires sus mentionnées – dont le poids et l’influence sur la scène politique tunisienne n’est pas à démontrer – au combat initié après la révolution par une poignée de diplomates et d’économistes tunisiens soucieux de reconsidérer et de redéfinir les termes du partenariat avec l’UE selon une nouvelle approche tenant compte des intérêts supérieurs de la Tunisie, notamment au vu du bilan défavorable de l’accord de libre échange des produits industriels de 1995.

Au sujet de l’Aleca, la société civile des deux côtés de la Méditerranée déplore la reconduction par l’UE, après la révolution, de la même stratégie et des mêmes accords d’essence purement commerciale conclus avec la Tunisie depuis l’indépendance sans tenir compte de la compétitivité inégale des deux économies, de nos besoins spécifiques de développement et de l’asymétrie des bénéfices réalisés ou prévisibles au détriment de l’économie tunisienne; de même ils mettent en garde contre les dangers menaçant les secteurs clés de l’économie, en particulier l’agriculture, les services…

En outre, ils soulignent l’inopportunité d’engager des négociations dans les conditions actuelles en l’absence d’une évaluation globale du partenariat avec l’Europe y compris ses retombées sur les droits économiques et sociaux.

Enfin, les parties signataires réclament la redéfinition des termes du partenariat avec la Tunisie, la transparence du processus de négociations et l’implication de la société civile aux différentes phases et volets de la négociation mettant en garde contre les périls menaçant la souveraineté, les intérêts supérieurs ainsi que les droits fondamentaux du peuple tunisien en cas de non prise en compte de ces recommandations.

En réponse à ces inquiétudes, le Parlement européen a publié en date du 25 février 2016 une résolution relative à l’ouverture des négociations pour un accord de libre échange avec la Tunisie qui recommande aux négociateurs la prise en compte des doléances exprimées par la société civile tunisienne tout en l’associant au processus des délibérations et des négociations en cours.

Il appelle également à l’établissement d’un «réel partenariat où les intérêts des populations des deux rives de la Méditerranée puissent être prises en compte», laissant ainsi entendre que la partie européenne est disposée à dépasser la dimension purement commerciale de l’Aleca en réhabilitant les fondamentaux d’un partenariat équilibré dans ses dimensions politiques, sécuritaires et économiques.

Toutefois, si la résolution du Parlement européen se veut rassurante et attentive aux préoccupations de la société civile tunisienne, elle ne traduit aucun changement majeur dans la position de l’UE qui continue de privilégier la libéralisation commerciale comme seule réponse à la crise tunisienne, selon un communiqué daté du 26 janvier 2016 publié par les organisations de la société civile sus mentionnées.
Ce communiqué réclame qu’un traitement exceptionnel soit réservé à la Tunisie afin de la prémunir contre les périls menaçant sa stabilité et sa transition démocratique, ce qui requiert la refonte du partenariat avec l’UE dans un sens plus équilibré et plus favorable au codéveloppement et à une prospérité partagée entre les deux rives.

L’UE favorable à la conclusion immédiate de l’Aleca

Toutefois, l’UE semble toujours vouloir accélérer l’extension du libre échange avec la Tunisie; ceci est confirmé par le lancement officiel, en pleine effervescence sociale, du programme européen d’appui à la compétitivité des services qui est la réplique du programme de mise à niveau industriel initié et mis en œuvre dans le cadre de l’accord de libre échange de 1995.
Pourtant, les négociations sur la libération des services par le biais de l’Aleca sont supposées être encore en phase préparatoire et il n’est pas exclu qu’elles soient reportées compte tenu des derniers développements sécuritaires et de la persistance de la crise économique et des troubles sociaux.

En somme, il est à craindre que l’UE – tout en affichant une souplesse de façade – ne soit déterminée à accélérer l’ouverture totale des marchés tunisiens indépendamment des négociations sur l’Aleca en ayant recours aux autres mécanismes en cours de mise en place notamment le nouveau code des investissements et le partenariat public privé.

C’est pourquoi, il est impératif que la société civile maintienne ses pressions dans le but de sensibiliser la partie européenne et le gouvernement tunisien quant à la nécessité de reporter les négociations sur l’Aleca et d’ouvrir un dialogue stratégique destiné à élaborer ensembles les éléments d’un nouveau et véritable partenariat mutuellement profitable, adapté aux besoins spécifiques de la Tunisie post révolution, et voué à la restauration d’un espace méditerranéen de paix, de responsabilité et de prospérité partagée.

* Diplomate et ancien ambassadeur.

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