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13-Août : Quelle fête de la femme inégale de l’homme ?

Femmes-de-Tunisie

À quoi bon fêter la femme quand elle reste mineure, n’étant toujours pas l’égale de l’homme en matière successorale, ce qui viole à la fois la Constitution et une saine lecture de la religion ?

Par Farhat Othman

Comme chaque année, la fête nationale de la femme, le 13 août, qui coïncide avec la date de la promulgation du Code du statut personnel (CSP), dont on célèbre cette année le 60e anniversaire, est l’occasion des sempiternelles manifestations vidées de sens célébrant une femme dont le statut reste en-deçà de ce qu’il devrait être. C’est même devenu un commerce juteux chez nos élites dépassant ce qui était déjà florissant sous la dictature.

En effet, s’y adonnent aussi, désormais, les élites conservatrices, alliées au pouvoir de supposés modernistes qui se satisfont de l’état honteux actuel arrangeant les intérêts stratégiques des premiers.

Un Code guère plus révolutionnaire

Le plus flagrant exemple en l’objet est ce honteux projet de loi récemment adopté par le conseil des ministres qui ne fait que copier en Tunisie un texte de loi en vigueur à l’étranger, totalement déconnecté des réalités du pays, celui de la criminalisation du harcèlement dont peuvent être victimes les femmes.

Certes, une telle violence existe bel et bien en Tunisie, mais elle n’a ni le sens ni l’ampleur de ce qui prévaut en Occident où la femme est de droit l’égale de l’homme. Or, elle ne l’est pas encore en Tunisie !

Aussi, s’attaquer à une violence mineure sans aller à sa source, la violence majeure de l’inégalité successorale, c’est tout simplement se moquer et de la femme et de l’intelligence des Tunisiens. Surtout, c’est détourner l’attention de l’essentiel avec de l’accessoire, et se plier aussi à un diktat occidental qui n’a, qu’en façade, le respect des droits humains en Tunisie.

Au lieu d’une telle pantalonnade qui aggrave les lois liberticides, que n’agit-on donc sur la vraie origine de tous les malheurs de la femme dans le pays, son statut d’infériorité imposé au nom de la loi et de la religion en matière de droit successoral?

C’est d’un tel statut d’infériorité sacralisé que dérivent toutes les autres inégalités dans l’imaginaire populaire demeuré gouverné par une mentalité machiste malgré les acquis du CSP.

Ceux-ci sont d’ailleurs largement périmés avec les évolutions importantes connues par la société tunisienne depuis l’indépendance. Aussi le CSP n’est-il plus guère révolutionnaire, étant même conservateur sur tant de points.

Par conséquent, c’est en réalisant la parfaite égalité des sexes dans cette matière sensible qu’est l’égalité successorale qu’on fera évoluer les mentalités, facilitant les autres réformes indispensables. Et c’est ainsi qu’on rendra véritablement hommage à la femme tunisienne au lieu de verser dans la pure langue de bois et la tromperie éhontée.

La brioche et le pain

Aussi, l’égérie de la lutte des droits féminins, Sana Ben Achour, a-t-elle eu raison de refuser une décoration à l’occasion d’une fête qui n’a pas de sens tant que la femme est toujours mineure en ce pays.

Certes, Mme Ben Achour n’a pas donné la raison de son refus, mais il y a fort à parier que cela se rapporte, d’une manière ou d’une autre, à l’inégalité successorale, pierre angulaire de la lutte des droits de la femme en Tunisie.

Malgré son caractère symbolique, un tel noble geste de la part de Mme Ben Achour reste toutefois insuffisant, car il ne change rien à la situation d’inertie actuelle. Une situation où nos dirigeants, y compris les plus prétendument acquis à la cause de la femme — comme le président de la république Béji Caïd Essebsi — répondent au mieux que ce n’est pas le temps à qui les houspille sur l’égalité non seulement nécessaire, mais impérative légalement et parfaitement possible cultuellement.

Cela revient, de leur part, à reproduire la répartie attribuée à la reine de France a qui l’on rapportait que le peuple n’avait plus de main à manger et qui répondit : «Qu’ils mangent de la brioche !»

C’est bien le sens du dernier texte trompeur, et donc immoral, sur les violences faites aux femmes dont a prétendu s’honorer le gouvernement. Et c’est aussi à une telle tromperie que se réduit la célébration du 13 août cette année, comme les années passées d’ailleurs, puisque — outre l’inégalité successorale — même la convention Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (en anglais Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women, Cedaw) n’est toujours pas en vigueur en Tunisie de manière intégrale.

Or, dans le même temps, le péril obscurantiste, encouragé par les alliés du gouvernement, avance inexorablement ses pions. Bien pis, la souveraineté nationale est aussi chahutée, puisque l’égalité successorale à laquelle aspire la majorité des Tunisiens — qui est à dominante féminine ne l’oublions pas! — n’est mise réellement en échec que par les pouvoirs rigoristes intérieurs qui sont soumis idéologiquement à des puissances extérieures, les pays frères islamistes, faisant peur aux modernistes de leurs réactions hostiles et leurs retombées sur le pays.

Bourguiba-et-les-femmes

Bourguiba a émancipé les femmes mais n’a pas eu l’audace de réaliser l’égalité successorale.

C’est ce qui a déjà empêché Bourguiba de réaliser l’égalité successorale en son temps ; mais il a eu au moins le mérite de réaliser l’essentiel. Que font donc ceux qui se réclament de son héritage? Ils détournent juste l’attention de la violence véritable faite à la femme avec un projet mineur.

Alors, souveraine la Tunisie? Indépendante des régimes rigoristes? Démocrate aussi? Cela doit se démontrer concrètement ; et il n’est meilleur exemple que l’égalité successorale à réaliser sans délai !

Pourquoi donc ne pas en annoncer le principe à l’occasion de ce 13 août ? Ainsi sauvera-t-on cette fête de la mièvrerie et de la langue de bois primée, ne trompant plus personne.

 

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