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Bloc-notes : Réformer l’administration sans ministère?

Le problème de l’administration tunisienne n’est pas dans l’existence ou non d’un ministère de la Fonction publique et de la Gouvernance. Explications…

Par Farhat Othman *

La Tunisie n’a eu de ministère de la Fonction publique que depuis peu; cela n’a pas empêché son administration d’être performante, sauf au lendemain de la révolution et le gouvernement de la troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha (2012-2014). C’est dire que ses problèmes actuels sont ailleurs que dans l’existence ou non d’un département ministériel.

Moins de bureaucratie

Le chef du gouvernement Youssef Chahed a eu un geste fort, nullement précipité : la suppression d’un échelon intermédiaire inutile entre le vrai premier responsable de l’administration, qui est le chef du gouvernement, et les services concernés.

En effet, ce ministère, pompeusement chargé de la gouvernance, n’a été qu’un maillon supplémentaire dans le labyrinthe de la bureaucratie tunisienne depuis sa création récente par le gouvernement Habib Essid. Ce qui n’a pas servi, mais desservi la gouvernance qui suppose le moins possible d’intermédiaires entre les centres de décision et d’exécution.

De fait, la création de ce département ministériel n’a fait qu’aggraver la bureaucratie. Sa suppression ne portera certainement pas atteinte au bon fonctionnement du service public, surtout que le pays est doté d’instances de contrôle administratif et financier, y compris indépendantes, comme l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLCC), qui sont en mesure de veiller à une bonne gouvernance.

Aussi, ayant eu le courage de supprimer le ministère de la Fonction publique, le jeune chef de gouvernement a taillé dans le vif, administrativement comme politiquement; ce qui suppose une saine vision des choses. En effet, se passer d’un ministre en concentrant ses responsabilités entre les mains du secrétaire général du gouvernement est de nature à mieux servir les orientations de la politique générale du chef de l’exécutif.

Il reste toutefois au chef unique de l’administration d’assumer toutes ses responsabilités en osant sortir de ce conformisme qui tend à s’y instaurer à la faveur, d’une part, des exigences des instances internationales et, d’autre part, d’imposer à l’Administration des solutions qui sont déconnectées des réalités tunisiennes.

Délaisser les fausses solutions

Personne ne doute que l’administration tunisienne est pléthorique, mais elle a un rôle éminent dans un pays consistant à alléger la pauvreté; et ce n’est pas négligeable quand la solidarité nationale tend à se raréfier, écornée par le raz-de-marée libéral.

Encore si c’était un libéralisme sain, éthique ! C’est loin d’être le cas, quand il ne verse pas dans le néolibéralisme sauvage.

Or, le libéralisme n’est concevable que pour un environnement de libertés, non seulement économiques, mais aussi politiques et sociales. Ce qui n’est pas le cas en Tunisie dont le peuple croule sous des lois liberticides, parfois scélérates, datant de la dictature.

Comment, par exemple, peut-on encourager les fonctionnaires à tenter leur chance dans le privé quand l’initiative privée est corsetée dans un arsenal de restrictions et d’empêchements? Comment veut-on détourner les jeunes de rêver d’un poste stable dans l’administration quand ils ne peuvent même pas circuler librement, bouger pour donner du concret aux rêves de projets dont leurs têtes sont pleines et qui avortent faute de pouvoir voyager; car les projets qui tiennent la route aujourd’hui dépassent les frontières nationales.

Oui, l’administration tunisienne est inefficace; mais comment ne le serait-elle pas quand on l’a surchargée d’incompétences avérées au lendemain de la révolution sans oser retenir en service celles qui peuvent lui être utiles du fait d’un strict respect de l’âge de retraite érigé en sacro-saint dogme ?

Pourtant, on s’accorde sur la nécessité du prolongement de l’âge de la retraite devenu quasiment partout 65 ans. Un projet de loi existe même en Tunisie, mais certaines volontés politiques tiennent à ne pas le faire aboutir, le temps de se débarrasser de ce qui reste de compétences dans l’administration pour mieux la contrôler. On sait, en effet, que l’État tunisien n’est rien sans son administration; aussi, l’affaiblir ainsi qu’on le fait, c’est fatalement affaiblir l’État !

C’est pourquoi l’on s’étonne de la circulaire prise par le chef du gouvernement, en fin d’année 2016, enjoignant ses administrés de ne pas recourir au maintien de compétences en service après 60 ans. On voudrait assassiner l’administration, on n’aurait pas agi autrement. À qui donc profite une telle circulaire et la pratique qu’elle a induite de refus systématique du moindre maintien en service pour tout nouveau retraité, sa présence en poste fût-elle nécessaire et profitable au service?

Oser l’inclusion

On sait que la priorité des priorités du gouvernement est de lutter contre la corruption; or, si elle gangrène l’administration, c’est qu’elle est bien incrustée dans tout le pays. Et elle n’a pas que des racines nationales, car les corrompus ne sont, la plupart du temps, que des relais d’intouchables intérêts étrangers. Aussi, il ne sert à rien de vouloir couper la queue du serpent du moment qu’on n’a aucun moyen pour l’attaquer à la tête.

C’est illusoire de croire venir à bout de la corruption et de la contrebande en ne comptant que sur les faibles moyens d’un État qui peine à devenir de droit, sa législation étant encore trouée d’illégalités, puisqu’elle est globalement la même que sous la dictature.

Que faire donc ? Quel salut pour la Tunisie ? Recourir à ce qui est, de nos jours, le terme qui s’est un peu partout imposé en matière de bonne gouvernance : l’inclusion. C’est, bien évidemment, l’antonyme de l’exclusion, les deux mots ayant la racine latine «cludere» signifiant «fermer», «interdire l’accès à».

Il importe de rompre avec l’exclusion dans toutes ses manifestations, surtout sur la scène internationale en un monde globalisé.

C’est le cas des pays du Sud et de la Tunisie dans le désordre mondial actuel basé sur des rapports inégaux faussement occultés par le mythe de la souveraineté nationale.

Plus que jamais, en ce monde qui a mué en un immeuble planétaire, la souveraineté nationale est dans une interdépendance poussée, donc l’inclusive. Cela suppose, en Méditerranée, une plus grande solidarité entre ses deux rives, devant se traduire par la libre circulation, non seulement des marchandises (on s’y applique), mais aussi des humains.

C’est cela qui contribuera à détourner les jeunes du rêve d’une situation stable dans l’administration pour un autre rêve, celui de créer et d’innover en ayant la possibilité de circuler librement. C’est aussi dans l’existence de lois plus justes que la Tunisie ne saurait avoir toute seule, dans ses frontières, sans une articulation à un système ayant fait ses preuves, notamment en termes humanistes.

Car l’inclusion, en relations internationales, est le bannissement de toute discrimination basée sur cette notion vide de sens d’égalité de tous les États, grands et petits; ne dit-on pas que l’excès de justice est de l’injustice? L’équité est bien plus en mesure de répondre adéquatement à la situation de vulnérabilité des pays du Sud.

Parmi les marqueurs de la vulnérabilité internationale, il y a bien sûr la fermeture des frontières, surtout devant d’anciennes colonies qui ne continuent pas moins de relever de différentes façons de l’ordre colonial.

Aussi, pour un pays comme la Tunisie, la sortie sérieuse de son état de sous-développement doit se faire en s’amarrant au système de droit ayant fait ses preuves qu’est l’UE. Aujourd’hui essoufflée, elle retrouvera la santé à s’ouvrir sur les pays sud-méditerranéens, à commencer par les Maghreb.

* Ancien diplomate et écrivain, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, Tunis, 2017).

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