Accueil » Août 2016-août 2018 : Un gouvernement «d’affaires courantes» ?

Août 2016-août 2018 : Un gouvernement «d’affaires courantes» ?

Si Chahed a été desservi, c’est avant out par sa propre famille. 

Le vernis de Chahed a craqué. Le coupable ? Le népotisme, les médiocres profils de certains de ses ministres qui doivent leurs maroquins à des marchandages sordides, des commis d’Etat qui ne produisent que du toc et du mensonge, ne font que se mentir et mentir aux autres.

Par Yassine Essid

Youssef Chahed vient de boucler sa seconde année à la tête de l’exécutif. Champagne ! Il peut désormais aspirer, même s’il est encore bien loin de l’âge légal de départ, à une future retraite confortable et bien méritée d’ancien Premier ministre. Sauf que dans l’état de blocage entre la Tunisie et ses créanciers, et une fois tous les compromis épuisés et les négociations pour maintenir le statu quo tournant court, il pourrait bien se retrouver dans quelques années, ne serait-ce que pour conserver son standing, en tête de la foule de retraités qui iront manifester à la Kasbah pour la revalorisation de leurs pensions de retraite écornées un peu plus chaque mois par un taux d’inflation en progression constate, bientôt à deux chiffres, qui finira bien par nous mener tous jusqu’à l’anéantissement.

En politique, les anniversaires, en plus du gâteau, des petites bougies, des fleurs et éventuellement des cadeaux, sont fixés à la célébration d’un triomphe, à créer des jours de souvenirs ou à rappeler solennellement et publiquement un moment particulièrement sensible dans le cycle de vie d’une communauté nationale comme la cessation d’un conflit, la sortie d’une grave crise sociale ou l’accomplissement d’une reconstruction matérielle et politique efficace d’un pays.

Chahed doit démissionner et désigner les responsables de l’échec

Maintenant, parlons franchement, honnêtement et sans parti-pris. Youssef Chahed est-il foncièrement satisfait de ses deux années passées à la tête de l’exécutif ?

Et dans les cas contraire, pourquoi ne fait-il pas son mea culpa, désignant du doigt le ou les responsables de sa déconfiture et démissionner ?

Depuis deux ans, le Premier ministre nous mènerait-il donc en bateau ? Nous subissons tous des échecs dans notre vie professionnelle, excepté les dirigeants politiques qui, au lieu de faire de leurs erreurs qui engagent un pays tout entier et compromettent son destin un véritable levier de reconnaissance et de dynamisation positif, préfèrent désigner à chaque avarie un bouc émissaire ou des phénomènes extérieurs qui les auraient détournés des objectifs qu’ils s’étaient préalablement assignés.

Youssef Chahed est-il à ce point dupe des paroles de ceux qui le créditent complaisamment d’une stature de chef d’Etat ?

Enfin, est-il vraiment conscient de l’inquiétant état de délabrement de l’économie, l’éducation, l’emploi, la santé, l’agriculture, l’environnement, le transport, l’infrastructure et bien d’autres secteurs d’activités aujourd’hui sinistrés?

Si on s’amusait, façon de parler, à considérer le plus ingénument du monde, l’état du pays à la veille de sa prise de fonction et la situation bancale dans laquelle il se trouve aujourd’hui, il n’y a pas photo. L’histoire des gouvernements successifs depuis le départ de Ben Ali a fini par se résumer aux grands moments d’une inexorable descente aux enfers : gouvernement provisoire, ensuite celui de la Troïka, pour finir par celui, encore inachevé, de Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes.

Chahed a accepté de troquer son autonomie contre la désastreuse dépendance de Caïd Essebsi.

Des affrontements politiques poussés jusqu’à l’absurde

Certes, Youssef Chahed n’est pas seul en cause, loin s’en faut. Chacun des membres de la nébuleuse politique et extrapolitique avait mis du sien et, au nom de l’égalitarisme démocratique, le débat politique était rendu inaudible par des affrontements d’opinions poussés jusqu’à l’absurde ainsi que par des citoyens tiraillés en sens contraire par leurs intérêts immédiats.

Cependant, force est d’admettre que le chef du gouvernement n’a pas réussi à s’imposer. Il lui manquait, probablement en raison de son jeune âge, son manque d’expérience, ou une carence intellectuelle due à l’absence d’une culture livresque, cette autorité personnelle qui, en l’absence de consensus social permet seule à un homme politique de ne pas disparaître dans la tourmente, de s’imposer au jugement, à la volonté, au sentiment d’autrui; de se faire obéir en inspirant croyance, crainte ou respect; de faire accepter et exécuter à travers les organes du pouvoir les décisions qu’il juge les plus appropriées pour l’aboutissement de son projet société.

Il doit également savoir agir simultanément sur plusieurs registres à la fois, traiter tantôt de sujets carrément matériels, tantôt à forte teneur intellectuelle ou idéologique.

Enfin, il doit être capable de réagir à des situations qui ne laissent aucune préparation ou à la réflexion. Bref, tant d’attributs du leadership sont trop pour un seul homme.

Or, dès le départ, Youssef Chahed avait accepté de bon gré, au nom d’une morale de reconnaissance et de respect, de troquer son autonomie contre la désastreuse dépendance qu’imposait une relation «maître à penser-élève» qu’il entretenait avec le président de la république Béji Caïd Essebsi, et par laquelle celui-ci n’eut de cesse de torpiller toute velléité d’égalité avec son Premier ministre, encore moins accepter que l’élève surpasse le maître, ne lui concédant l’initiative que dans des domaines mineurs, des affaires secondaires et subalternes, ou celles dont l’urgence vient à échéance.

Il suffit de réunir les indicateurs habituels d’une saine politique en vue de la réalisation de la prospérité publique pour se rendre compte du temps perdu, des occasions manquées et, plus grave, de l’absence de tout espoir de voir la capacité du système économique se réorganiser et la société se régénérer de façon à retrouver essentiellement les mêmes fonctions et la structure d’avant.

L’ampleur des difficultés passées et à venir est telle aujourd’hui qu’on ne pourrait pas s’attendre à ce que pays soit à même de surmonter ses difficultés à venir tout en absorbant les crises passées de manière à retrouver un niveau acceptable de fonctionnement. Bref, la société tunisienne n’est plus résiliente.

Dans le cas présent, une question de bon sens s’impose d’elle-même : qu’a fait Chahed depuis août 2016 ? Et on serait bien embarrassé si l’on devait donner une identité à son gouvernement.

Est-ce un régime provisoire instauré de facto après le reversement d’un pouvoir et son remplacement par un autre?

Un gouvernement animé d’un esprit révolutionnaire chargé de revoir toutes les institutions et tous les organes de la politique publique en vue de redonner au peuple le pouvoir de décision sur les questions de société?

Un mode d’administration du pays qui soit visionnaire, qui aurait du futur un regard clair et à son actif l’établissement de mécanismes de gestion en avance sur leurs temps?

Un pouvoir réformateur qui viserait l’instauration d’innovantes normes de gestion dans les différents secteurs et libérer les énergies?

Ou bien un régime conservateur hostile à toute réforme en profondeur ?

Des ministres et des commis d’Etat qui ne produisent que du toc et du mensonge.

La faillite des esprits plus complète que celle de la monnaie nationale

Il n’y a rien de tout cela! On a beau chercher, on ne découvre qu’une administration au quotidien, imposée par les événements du moment, servie par des campagnes qui ne débouchent sur rien et des effets d’annonce et non de développement.

Prenez juste le cas de l’effondrement du dinar. La faillite des esprits a été plus complète que celle de la monnaie nationale. On s’était complu à ignorer des faits têtus et des chiffres qui montraient qu’un pays financièrement en déficit, surendetté, peu compétitif, de plus en plus exposé à l’ouverture des marchés étrangers, à la merci des milieux financiers internationaux ne pouvait s’en sortir. La réalité a recouvert la fiction !

Cependant, si un marqueur fort devait résumer à lui seul les deux années controversées de Chahed à la Kasbah, ce serait sans doute celui de gouvernement «d’affaires courantes».

Mais qu’est-ce donc qu’une «affaire courante» ? Une clause de style ? Une expression au contenu indéterminé ? Nous savons tous que pendant les crises ministérielles, un gouvernement démissionnaire est traditionnellement chargé par le président de la République «d’expédier les affaires courantes». Cette expression figure également de manière rituelle dans les communiqués officiels après l’annonce du départ d’un ministre du gouvernement qui demeure à son poste jusqu’à la nomination de son successeur.

Le plus curieux, c’est lorsque cette manière de faire devient l’emblème d’un gouvernement en plein exercice, une compétence du Premier ministre dont il use librement avec le souci de la continuité des services publics sans qu’une limite s’impose à lui, et dont la transgression ne peut aboutir à une sanction juridictionnelle. Tous les éléments propres à un tel type d’administration sont pourtant réunis du moment que l’action du gouvernement excède à peine l’expédition des affaires courantes.

Une classe politique confond ses intérêts étroits avec le sort du pays

Pour Youssef Chahed, les derniers mois furent une période particulièrement pénible. Il faisait l’objet d’un coup d’Etat permanent. Non seulement la confiance lui faisait défaut, mais sa présence physique à la tête de l’exécutif était largement mise à prix au grand bonheur de ceux, de plus en plus nombreux, qui s’estiment plus qualifiés, avaient pris littéralement la place du chef de gouvernement en effectuant des visites de terrain !

Ceci étant, on a beau chercher, on ne trouve rien en deux années de gestion du pouvoir des acquis majeurs encore moins de quoi susciter une adhésion massive, constructive et agissante à sa politique. Certes, il a subi sans réagir les basses pratiques d’une classe politique qui a tendance à confondre ses intérêts étroits avec le sort du pays, mais cela ne saurait excuser les piètres résultats de son mandat, si court soit-il.

Le vernis de Chahed a craqué. Le coupable ? Le népotisme, les médiocres profils de certains de ses ministres qui doivent leurs maroquins à des marchandages sordides – comme ce fut le cas avec celui de l’Energie appuyé par l’UGTT aujourd’hui poussé vers la sortie –, des commis d’Etat qui ne produisent que du toc et du mensonge, ne font que se mentir et mentir aux autres.

Alors dans un écosystème médiatique qui va de plus en plus vite et irrite de plus en plus l’opinion publique, la moindre hésitation au sommet de l’exécutif se traduit par des graves crises et la dispersion de toutes les instances d’autorités alimente le chaos.

Un chef de Gouvernement qui met un an ou deux pour se rendre compte que rien ne va plus, qui reste muet face «aux ennuis qui volent en escadrille» (Jacques Chirac) et préfère laisser à ses ministres le soin de dégoiser d’innombrables bourdes, ignore que pour être entendu du grand nombre, il faut être très rigoureux, afin que les critiques les plus exigeants n’y trouvent pas trop à redire.

Dans la vie publique, on ne peut mieux servir la vérité qu’en la construisant au jour le jour par des actes vrais. Ainsi, celui qui voulait montrer il y a deux ans une promesse d’efficacité a échoué, et sur les affaires économiques qui sont le socle de sa politique il n’y a vraiment plus de résultats. Seuls les voyous auraient profité de sa politique.

Articles du même auteur dans Kapitalis: 

La Tunisie, de la résistance au changement au discrédit général

La Tunisie a-t-elle besoin d’un nouveau chef de gouvernement ?

À quoi sert vraiment le gouvernement en Tunisie ?

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!