L’abstention de ratification dans les délais par le président de la République tunisienne d’une loi régulièrement votée par l’Assemblée s’insère dans le cadre d’une responsabilité collective dans la violation avérée de la constitution.
Par Farhat Othman *
C’est ainsi qu’il nous faut juger objectivement de la situation actuelle générée par le refus, tant vilipendé par ses détracteurs, du président de la République de promulguer l’amendement à la loi électorale.
On pourrait même dire, à la limite, que c’est un comportement éthique mettant en cause un manichéisme à peine voilé de la part de la classe politique toutes tendances confondues dans l’instrumentalisation du droit à des fins bassement politiciennes.
Énième violation de la Constitution
Après tout, il ne s’agit que d’un énième retard pour un délai constitutionnel; ce qui n’est pas pour surprendre, cette constitution étant restée lettre morte pour l’essentiel de ses acquis, les droits et libertés citoyens, dont notamment le fameux dépassement du délai de mise en place de la Cour constitutionnelle.
Aussi, est-il pour le moins malhonnête de la part de qui n’a rien fait à ce jour en vue de faire respecter la constitution de crier à sa violation afin de dénoncer un comportement somme toute dans l’exacte lignée du leur.
C’est bien l’histoire de l’arroseur arrosé, et le président de la République aura bien loisir de fustiger la tartufferie de ses détracteurs en rappelant qu’ils se jouent bien plus que lui de la constitution en la violant par le refus répété de mise en place de cette pierre angulaire de l’édifice constitutionnel ainsi que le renvoi aux calendes grecques de cette autre preuve de respect de l’État de droit qu’est l’impérative réforme législative.
Faut-il rappeler aux inconscients criant à l’irresponsabilité du président de la République qu’ils sont bien plus irresponsables en acceptant que la Tunisie soit un État de non-droit avéré, perpétuant la dictature supposée abolie? Que dire, en effet, d’autre quand on applique encore des lois abolies pourtant par la constitution depuis plus de cinq ans ?
De plus, ces mêmes responsables ne continuent-ils pas à tolérer que des circulaires sans valeur juridique, un infra droit honteux et illégitime, mettent en échec l’application de libertés consacrées par le texte suprême du pays ? Qui est donc le plus fautif dans la violation de la Constitution ?
Adage du Nemo auditur
Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude assure l’adage latin. C’est ce que semble dire Béji Caïd Essebsi (BCE), qu’il soit en pleine possession de ses moyens ou abusé par les siens ! Quoi qu’on en pense ou dise, s’agissant de son attitude récente, il reste dans la norme imposée par tous ceux qui le critiquent, sans nulle exception.
S’il est en bonne santé, ce que nous lui souhaitons, la santé du pays en dépendant, gageons qu’il s’en expliquera à l’occasion du 25 juillet, une fête de la république qui tombe opportunément. Nous supputons qu’il y dira qu’il n’a fait que différer l’application de la constitution pour la promulgation d’une loi régulièrement votée comme l’ont fait avant lui les députés, qui ont la réalité du pouvoir dans le pays à travers leurs pays, pour la Cour constitutionnelle. Aussi, sa faute, son péché même, est forcément vénielle, puisqu’il ne concerne qu’un délai de quelques semaines, voire de mois, quand celui du législateur est mortel, se comptant en années. Sur qui alors jeter en premier la pierre ? Assurément pas sur BCE qui ferait de la sorte preuve de son légendaire sens stratégique.
Espérons seulement qu’à cette occasion, il saura dépasser les stricts calculs partisans pour s’élever au-dessus de tous les intérêts — y compris des siens qui ont manifestement tout fait pour l’encourager à aller dans ce sens de sa logique imparable — en annonçant le recours à l’article 80 reconnaissant l’état de péril imminent dans le pays où les institutions ne fonctionnent plus que selon des intérêts honteusement partisans, desservant les vrais intérêts du peuple.
Outre d’être la meilleure sortie par le haut de la situation actuelle, ce serait assurément un salutaire coup de semonce pour rétablir la primauté du droit dans un pays à la dérive, et ce en imposant enfin, le plus loyalement du monde, de ce qui fait le plus mal à la légalité dans le pays : l’installation dans les plus brefs délais de la Cour constitutionnelle et l’initiation de réforme législative. Celle-ci se doit même de commencer, pour le moins, par la décision de la suspension des circulaires illégales et d’un moratoire à l’application des lois les plus scélérates de la dictature, mais aussi de la colonisation, encore en vigueur.
* Ancien diplomate et écrivain.
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