Vis-à-vis du gouvernement Habib Jemli, Seifeddine Makhlouf suit une stratégie graduelle, puisqu’il y a deux semaines, il avait déclaré que le bloc parlementaire Al Karama «ne votera, à priori, pas pour ce gouvernement». Aujourd’hui, donc, Al Karama ne sait plus si elle va voter ou pas. Et demain, elle dira oui !
Le vote du bloc de la coalition Al Karama devrait être celui qui permettra au gouvernement Jemli de réussir l’«examen parlementaire». En effet, si on prend pour acquis que les blocs d’Ennahdha et de Qalb Tounes voteront en faveur de ce gouvernement, il faudra encore 18 voix pour que celui-ci ait la confiance de la majorité parlementaire. Par conséquent, il suffira que le bloc Al Karama, qui compte 19 députés, lui en accorde la sienne.
Toutes les indications politiques et logiques montrent que les députés d’Al Karama viendront bel et bien au secours leurs «frères musulmans» d’Ennahdha, au moment où ces derniers auront plus que jamais besoin d’eux, le 10 janvier prochain, jour de la plénière consacrée au vote de confiance pour le gouvernement de leur élu, Habib Jemli .
Un non comme un oui
Cependant, il y a un petit détail qu’il faudra, au préalable, régler pour Al Karama, à savoir justifier, auprès de ses troupes, sa décision de soutenir un gouvernement alliant – officieusement – Ennahdha et Qalb Tounes, un parti qui n’a rien à avoir avec l’esprit révolutionnaire tant revendiqué par la coalition islamiste et surtout dont le président fait face à de sérieuses poursuites judiciaires pour des soupçons de corruption.
C’est dans ce cadre qu’on peut classer le dernier statut facebook, paru aujourd’hui, 5 janvier 2020, de Seifeddine Makhlouf, dirigeant, porte-parole et député d’Al Karama.
L’avocat y affirme que sa coalition sera, quoi qu’elle fasse, la cible des critiques : «Si nous votons pour [le gouvernement], on nous accusera d’avoir trahi la révolution et nos promesses électorales, voire de s’être vendus à Nabil Karoui. Si nous votons contre, nous serons à l’origine de la chute du gouvernement, de la perte des intérêts des Tunisiens et de la crise politique et sociale causée par un État sans gouvernement. Et si nous votons de façon partielle, on nous accusera d’être sous l’autorité d’Ennahdha».
Ce qui est présenté comme un dilemme par l’avocat islamiste n’en est pas forcément un. Il y a vraiment peu de chances que les choses soient toujours aussi floues à 5 jours du vote de confiance au gouvernement Jemli. Ce n’est pas la veille du 10 janvier qu’Ennahdha s’assurera de la position (favorable) d’Al Karama, et celle-ci n’attendra pas non plus le 9 janvier pour se décider.
Al Karama votera pour… Qalb Tounes
Seifeddine Makhlouf tente simplement et intelligemment de se faciliter sa future tâche de justifier le choix de sa coalition. Et à y voir de plus près, on se rend compte que la seule option difficile et qui risque de réellement susciter des critiques à l’encontre de son organisation politique est celle qu’il évoque en premier.
Si Al Karama votera pour un gouvernement qui renferme Qalb Tounes, cela voudra tout bonnement dire que cette coalition a passé les derniers mois à mentir. Cela voudra même dire que son capital électoral (fondé sur des concepts pompeux comme la révolution et l’intégrité) était «fake».
Par contre si Al Karama ne donne pas son vote de confiance à ce gouvernement, il sera très difficile de lui en vouloir quoi que ce soit, car non seulement ce sera une position en totale harmonie avec ce qu’elle a toujours prétendu, mais en plus, elle aura choisi la même voie que les partis ayant, jusque-là, une réputation saine, à l’instar d’Attayar et d’Echaâb.
En outre, le cas échéant, s’il y aura des reproches, ils seront destinés à tous les blocs n’ayant pas voté la confiance et Al Karama en fera simplement partie.
Tout ça pour dire que si on lit entre les lignes, ce que Seifeddine Makhlouf fait vraiment c’est préparer l’opinion publique à la décision de voter pour le gouvernement Jemli. Une décision qui serait déjà prise par Al Karama.
D’ailleurs, Makhlouf suit une stratégie graduelle en vue d’en arriver là, puisqu’il y a deux semaines, il avait déclaré qu’Al Karama «ne votera, à priori, pas pour ce gouvernement». Aujourd’hui, donc, Al Karama ne sait plus si elle va voter ou pas. Et demain, elle dira oui !
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