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La décharge Borj Chakir présente un danger grave et imminent

La décharge de Borj Chakir, située à 8 km à l’ouest de Tunis, est la seule décharge contrôlée qui reçoit les ordures du Grand-Tunis. Ces ordures ménagères représentent environ 3 500 tonnes de déchets/jour soit 1, 250 million de tonnes/an. Ouverte depuis 1999, après la fermeture de celle de Lihoudia, la décharge de Borj Chakir est arrivée à saturation et pose de nombreux et graves problèmes. Etat des lieux et solutions possibles.

Par Pr Ridha Bergaoui

Les ordures ménagères comprennent des constituants divers : emballages (plastiques, carton, verre, aluminium, boites de conserve en acier…), résidus de matières organiques des cuisines et des repas, piles, et parfois du petit électroménager, vêtements usagés ainsi que d’autres objets divers.

Le traitement des ordures ménagères se fait soit par incinération soit par enfouissement.

L’incinération dans des usines dédiées, permet de se débarrasser des ordures mais également de récupérer de la chaleur pouvant servir à produire de l’eau chaude ou de l’électricité. Cette solution est malheureusement très coûteuse, surtout si les ordures sont très humides. Elle présente également l’inconvénient de polluer l’air et de produire des résidus d’incinération (mâchefers) difficiles à valoriser.

L’enfouissement présente le risque de polluer l’environnement et de créer des nuisances graves suite à la production de liquides toxiques appelés lixiviats, suite au compactage des ordures et de la percolation de l’eau de pluie à travers ces déchets. La fermentation anaérobie de la matière organique des ordures entraîne la production de biogaz toxiques et inflammables dont le le méthane.

L’enfouissement des ordures ménagères doit se faire dans le respect de l’environnement et des habitants des cités proches. Elle suppose des casiers de stockage des ordures bien étanches ainsi que la récupération et le traitement des polluants.

Les ordures enfouis continuent à se dégrader et libérer des gaz et générer du lixiviat longtemps après la fermeture de la décharge. Le suivi et le contrôle de la décharge doit se prolonger de nombreuses années après sa fermeture définitive.

Borj Chakir, une décharge à ciel ouvert

La décharge de Borj Chakir est une décharge à ciel ouvert qui s’étend sur plus de 120 ha. C’est la plus importante non seulement en Tunisie mais également dans tout le bassin méditerranéen. Cette décharge, située près des cités résidentielles de Séjoumi, El Attar et Hraïria, reçoit les déchets ménagers du Grand-Tunis (gouvernorats de Tunis, Ariana, Ben Arous et Manouba) soit 38 municipalités. Prévue initialement pour une quinzaine d’années d’exploitation, elle continue à fonctionner alors qu’elle pose de nombreux et graves problèmes.

Le premier problème c’est que la décharge est actuellement saturée. Malheureusement le ministère des Affaires locales et de l’Environnement (MALE) ne dispose d’aucune solution de remplacement. A plusieurs reprises, les responsables avaient annoncé la fermeture définitive de la décharge; toutefois rien n’a été fait jusqu’ici. Le projet de budget du MALE, pour l’année 2021 ne prévoit aucun crédit pouvant être réservé à des études ou à l’aménagement d’une nouvelle décharge. Le MALE compte seulement réduire la production des déchets et réserver une place plus importante au tri et recyclage.

La décharge a connu de nombreuses extensions. La dernière date de 2015 avec la création d’un sixième casier d’enfouissement des ordures. De nouveau on s’achemine donc vers l’extension de la décharge et le prolongement de son exploitation malgré la situation désastreuse et les incidences catastrophiques sur l’environnement et les habitants des cités environnantes.

Des accidents graves de pollution survenus ces dernières années

La décharge Borj Chakir est théoriquement «contrôlée». Sa gestion est contrôlée par l’Agence nationale de gestion des ordures (Anged) qui doit veiller à son fonctionnement et au traitement adéquat des polluants.

Toutefois de nombreux incidents sont survenus ces dernières années. On peut citer plus particulièrement :

  • un gigantesque incendie survenu au mois de juin 2019 qui a ravagé plus de 7 ha et dont la maîtrise a nécessité plusieurs jours de lutte contre le feu et a mobilisé d’importants moyens humains et matériels. Heureusement pas de pertes humaines;
  • un glissement des déchets au mois de juillet 2020 ayant entraîné un débordement de lixiviats et leur déversement vers les quartiers résidentiels d’El Attar;
  • des fuites fréquentes de lixiviats notamment lors des fortes pluies et leur déversement dans les cours d’eau;
  • la pollution de l’air (mauvaises odeurs, poussières, sachets plastiques légers volants, pullulation d’insectes volants et autres bestioles…), des nappes superficielles (puits et des nappes phréatiques inexploitables avec de l’eau impropre à la consommation, l’irrigation…) et des sols environnants devenus stériles. Ces polluants ont entraîné la détérioration de l’état de santé des habitants des cités environnantes et l’apparition de problèmes pathologiques respiratoires et cutanés graves;
  • une détérioration des voies d’accès, suite à la circulation intense, tout le long de la journée d’engins (camions, tracteurs avec remorques, bennes auto chargeuses…) transportant les ordures.

Les riverains, soutenus par des associations de la société civile, n’ont arrêté de manifester et d’appeler à la fermeture de la décharge mais en vain.

Le problème des «barbachas»

A ces problèmes de pollution vient se greffer un problème socio-humain particulier, celui des chiffonniers ou «barbachas». En effet la décharge est parasitée (pour ne pas dire squattée) par une population, estimée à 500 personnes au moins, qui vivent exclusivement de la décharge. Dès le déversement des ordures, ces individus s’activent, jour et nuit, à fouiller et à prélever tout ce qui peut être recyclé ou avoir une certaine valeur marchande. Chacun a sa spécialité : plastique, papier et carton, canettes aluminium, verre, fer et autres métaux… Moyennant un peu d’argent, ces barbachas livrent leur récolte à des collecteurs qui à leur tour livrent des ateliers et des usines de recyclage.

Cette population, un peu particulière, travaille dans le silence, dans des conditions lamentables et inhumaines. Dans un espace insalubre, très risqué et dangereux (présence de produits toxiques, de germes pathogènes et d’objets tranchants comme le verre et divers corps métalliques coupants).

Pour une exploitation rationnelle de la décharge

Avec la crise économique que connaît le pays, aggravée par la pandémie de la Covid-19, la décharge Borj Chakir sera certainement exploitée pour quelques années encore avant de trouver les crédits nécessaires pour le financement d’une nouvelle installation.

En attendant, il est indispensable de prendre des mesures énergiques pour réduire au maximum les conséquences néfastes de cette décharge.

Il s’agit de mettre les infrastructures et les diverses installations de la décharge aux normes internationales et réduire ainsi son impact négatif sur l’environnement. Il est ainsi nécessaire de :

  • traiter correctement et régulièrement les lixiviats afin d’éviter les débordements et la contamination des nappes et des cours d’eau. Les lixiviats sont produites toute l’année et plus particulièrement en hiver durant les périodes pluviales;
  • vérifier l’isolation des casiers et enrayer toute fuite possible des lixiviats;
  • réparer la clôture, pour éviter l’introduction des personnes étrangères, des chiens errants et autres animaux;
  • procéder à la plantation d’arbres et arbustes tout autour de la décharge;
  • récupérer les gaz de fermentation en vue d’un torchage ou de leur utilisation comme carburant.

Le problème des barbachas doit être résolu. Il faut les aider et les encadrer pour qu’ils puissent travailler et évoluer dans des conditions moins dangereuses et plus acceptables.

Un soutien doit aussi être apporté aux riverains pour les aider à surmonter les problèmes pathologiques consécutives à la pollution par le fonctionnement de la décharge.

Impliquer le citoyen dans la gestion des ordures

La masse des ordures ménagères ne cesse d’augmenter. Dans tous les pays développés, le citoyen contribue à la gestion de ses déchets par le tri sélectif obligatoire. Des sanctions importantes sont prévues par la législation pour la répression des contrevenants et des négligents. Le tri des ordures permet de réduire la quantité des déchets à enfouir et de valoriser les produits ainsi récupérés par recyclage. Le citoyen est taxé selon la quantité de déchets non recyclables qu’il génère.

Il est temps d’éduquer le Tunisien et de le sensibiliser au tri sélectif de ses déchets. Ministères, municipalités, associations et société civile doivent s’unir pour mener des campagnes d’information et de sensibilisation à la préservation de l’environnement, le tri sélectif (simplifié d’abord puis de plus en plus poussé) pour réduire la masse des ordures ménagères.

Il est nécessaire en parallèle de mettre les moyens matériels adéquats (contenants adéquats, poubelles, bennes et camions de ramassage spécifiques…). Le tri sera plus facile à instaurer dans les cités disposant de syndics et de gardiens qui peuvent aider et contribuer au tri sélectif.

Conclusion

La décharge Borj Chakir est arrivée à saturation. Il est urgent de penser sérieusement à la création dans les plus brefs délais d’une nouvelle décharge contrôlée et moderne (qu’on appelle désormais «Centre d’enfouissement technique») digne de la capitale et répondant aux normes environnementales internationales.

Suite à l’énorme quantité de déchets n fermentation, enfouis depuis plus de 20 ans, et la grande quantité de polluants toxiques et de gaz inflammables produits quotidiennement, la décharge de Borj Chakir est un gigantesque engin mortel et explosif. Il est urgent et impératif de mettre aux normes internationales cette maudite décharge tout en œuvrant sérieusement à sa fermeture dans le délai le plus proche. Faute de quoi, cet engin risque d’exploser et de causer d’énormes dégâts tant humains qu’environnementaux et matériels.

* Professeur universitaire.

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