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Economie tunisienne: Une fuite en avant… dans l’impasse!

Investissement-Tunisie

Le modèle du tout libéral, qui a causé la chute de l’ancien régime, est reconduit moyennant des réformes timorées. La fracture sociale risque de se creuser davantage.

Par Hédi Sraieb *

Hedi-SraiebAu fil des jours, prudemment mais sûrement, le gouvernement peaufine sa stratégie de redéploiement économique et social. Le modèle économique est de toute évidence à bout de souffle et ses dérives récessives formelles comme informelles pourraient bien entrainer toute la société vers des abymes insoupçonnés. Un chaos social dont elle aurait le plus grand mal à se relever. Un constat partagé par toutes les couches sociales ainsi que par les élites intellectuelles ou dirigeantes.

Un modèle inégalitaire et insoutenable

S’il y a donc accord unanime sur ce constat d’échec, resterait cependant à en déterminer les causes profondes et à en élucider les mécanismes subtils qui y ont conduit. Echec d’un modèle qui a tout de même prévalu pendant plus de deux décennies, pour ne pas dire plus ! Mais voilà et c’est là que le bât blesse, il n’y a pas unité de vue, de diagnostic commun, sur les dynamiques, en propre, qui ont mené le pays dans le mur !

Pour les uns le modèle aurait été progressivement perverti par le népotisme et la corruption, un modèle qui aurait fini par perdre sa vitalité sous les effets conjugués des passe-droits et du clientélisme envahissant, étouffant par là même toutes les énergies. En d’autres termes, plus conventionnels, les phénomènes de distorsion de concurrence et d’entraves au libre jeu des forces du marché auraient poussé vers cette impasse.

Pour d’autres ces mêmes phénomènes ne sont que l’apparence des choses. Ils n’ont constitué, au mieux, qu’un accélérateur d’un modèle dès l’origine inégalitaire et insoutenable comme en témoignent la fracture sociale et la fracture régionale, qui n’ont toutes deux qu’un lointain rapport avec le favoritisme et la prédation.

Le chômage massif des jeunes et la persistance d’une large précarité sociale ne peuvent être attribués au seul capitalisme de copinage… mais au capitalisme tout court, certes encore quelque peu dirigé !

Tout serait affaire de réformes

Du coup la seule issue entrevue par les classes dirigeantes est d’expurger le canevas de ses oripeaux, de régénérer le modèle jugé encore pertinent et valide. A telle enseigne qu’il est surtout question d’assainir le «climat des affaires», de réitérer «le primat de l’investissement privé» corrélatif à la poursuite du désengagement de l’Etat, de conforter la «bonne gouvernance» assimilée à la régulation du libre jeu des marchés. D’essence libérale mais perverti, le «modèle» peut être réhabilité pour autant qu’il soit rénové! Voilà en substance ce que l’on peut entendre depuis déjà quelques mois.

Tout ne serait donc affaire que de réformes… et de surcroit «structurelles», afin de s’en auto-persuader si besoin était. Des réformes douloureuses et impopulaires s’aventurent à dire certains, quand d’autres se contentent de rester sur le terrain du «nécessaire dans l’intérêt général». D’où les hésitations que nous entrevoyons, de ce faux immobilisme du moment présent que nous percevons. Car à l’évidence les enjeux sont de taille! Mais comment alors faire repartir une société en panne ?

Depuis la formation du premier gouvernement de la deuxième République la question «centrale» de la réforme se pose avec acuité. Non pas tant du point de vue de sa finalité ultime qui n’est autre que de prolonger, de restaurer ce modèle «national libéral» en renouvelant ses ressorts, mais bien du point de vue de l’acceptabilité, autrement dit du consentement du plus grand nombre.

Il s’agit donc de la pédagogie à mettre en œuvre pour réaliser cette réforme. Les autorités au pouvoir se savent ne pas être en mesure de passer en force compte tenu des tensions sociales. Un risque réel et bien trop grand qui pourrait dégénérer en explosion sociale. Du coup le gouvernement cherche des biais, le bon timing, la fenêtre d’opportunité pour se lancer à la conquête de l’opinion qui permettrait de légitimer de nouvelles pratiques… le fameux consensus, règle immuable de la sphère politique depuis des lustres. Mais il n’aura échappé à personne que les réformes envisagées forment un tout cohérent et pertinent. Aucune d’elles, prise seule n’est suffisante. Mieux chacune d’elles renforce l’efficience des autres et le caractère performatif de l’ensemble.

Tout pour l’initiative privée

Observons ! Des projets de lois sont proposés, à intervalles plus ou moins réguliers, à l’examen d’un conseil ministériel restreint puis transmis aux commissions spécialisées de l’assemblée nationale. Nous n’en serions d’ailleurs qu’au tout début car le train de mesures imaginées et projetées ne comporterait pas moins d’une douzaine de «grandes réformes». Nous n’inventons rien!

Cela est écrit noir sur blanc depuis des mois déjà dans toute la littérature officielle consacrée à ces questions. On peut même se faire une idée très précise des attendus de ces réformes en allant sur les sites des ministères, de la Banque centrale de Tunisie (BCT), et autres institutions financières internationales (FMI, CE, BM, BEI) qui apportent leur concours et leur soutien au redressement économique et social du pays.

Certaines d’ailleurs de ces réformes sont enclenchées. Celle de la Caisse générale de compensation (non répercussion à la pompe des baisses de prix du pétrole), celle des banques, recapitalisées exclusivement avec l’argent public et non avec celui des actionnaires. Mais d’évidence le processus est loin d’être linéaire ! La difficulté à justifier et à légitimer la loi de réconciliation nationale montre les limites de l’exercice en dépit d’une très large majorité parlementaire (potentielle mais pas acquise).

Le code de l’investissement et, dans la foulée, le code de concurrence cherchent à consacrer plus avant «la liberté d’entreprendre». Tout doit concourir à une plus large concurrence. Exemples : abandon des règles régissant les activités à autorisation préalables et celles à cahier des charges 216 sur 600, recours possible à la main d’œuvre qualifiée étrangère. Mais aussi… à une ouverture encore plus grande de l’économie.

Le nouvel accord avec l’Union européenne (qui a, lui aussi, force de loi), ou bien encore la réforme de la BCT (visant à desserrer les règles de change et de mobilité des capitaux encore contrôlés) convergent vers cette libéralisation, notamment celle des «biens publics» ou des «biens communs».

La loi sur le partenariat public privé (PPP) en formalise les modalités… les capitaux privés locaux comme étrangers pourront prospérer à l’abri de la puissance publique. Une aubaine !

D’autres réformes sont à l’étude. Nul besoin de courir pour en trouver les détails. Il suffit pour cela de se reporter au dernier rapport (6e revue de l’accord de stand-by) du FMI qui liste et explicite les autres réformes à venir. Celle de la fiscalité allégeant l’imposition des entreprises (déjà entamée) contrebalancée par celle de la TVA (en cours). La nouvelle règlementation de la concurrence et l’annulation des dispositions relatives à la protection de l’entreprise en cas de faillite. On pourrait encore citer la réforme du secteur bancaire proprement dite visant à l’introduction de nouveaux instruments financiers, les fameux dérivés de crédit ! La priorité est donc on ne peut plus claire: Tout pour l’initiative privée et l’essor d’une économie plus compétitive et plus largement ouverte.

Le «renouveau» économique et social en question

Mais les conditions tant financières que sociales à un tel renouvellement du modèle sont-elles au rendez-vous? Les quelques lignes de crédit de la BEI ou de la BM destinées à la promotion de la PME semblent dérisoires. La création de la Caisse de dépôt et consignation (CDC), de fonds spéciaux ou régionaux, dotés que quelques dizaines de millions ne changent rien à l’affaire. A vrai dire, les financements manquent cruellement et les classes dirigeantes ne ratent jamais une occasion pour rappeler le peu d’enthousiasme des «amis de la Tunisie» à apporter leur soutien à ce «renouveau» économique et social du pays.

Mais il y a bien plus préoccupant. Existe-t-il dans le pays un vivier suffisamment large et diversifié de candidats potentiels à l’entrepreneuriat? J’entends non pas des hommes d’affaires mais bien des capitaines d’industries et de vrais innovateurs capables de relever les défis de notre temps? Un présupposé qui semble acquis mais qui mériterait que l’on s’y attarde. Il y a certes des hommes d’affaires capables de ficeler des projets de franchise ou de co-entreprises dans la distribution ou dans des activités de niche sur des segments de marché solvable rapidement profitables. Mais de toute évidence le doute est permis ! Car quand bien même les mœurs seraient assainis, la saine gestion des affaires n’a jamais été synonyme de développement, ni coïncidé avec un mieux-être partagé !

Mais alors une dernière question mais lancinante surgit: à supposer que tous les moyens soient réunies; argent et hommes, quelle serait alors la finalité ultime de cette mobilisation. Que produirions-nous pour satisfaire quels besoins? Quel devenir dans cette mondialisation sauvage? Aucune réponse. Un silence assourdissant dont on trouve la confirmation dans le plan dit stratégique 2016 – 2020 ! La sécurité alimentaire comme énergétique attendront, celles des ressources vitales telles l’eau, aussi.

On n’ose évoquer la multitude des attentes sociales… Un hub économique… répond la nouvelle technocratie en charge des affaires! Mais alors, et pour reprendre la jolie métaphore d’un journaliste de la place, «comment faire passer le mastodonte social dans le chas de l’aiguille d’une économie de plus en plus libérale»… un vrai défi !

* Docteur d’Etat en économie du développement.

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