La 3e édition du Forum de Tunis a été une nouvelle occasion pour mesurer le manque à gagner des peuples maghrébins à cause du retard de la construction régionale.
Par Wajdi Msaed
Cet événement, organisé par l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), tenu jeudi 4 juin 2015, sous le haut patronage du président de la république Béji Caid Essebsi, a mis l’accent sur la stratégie de coopération économique, sécuritaire et institutionnelle entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye, à travers le thème principal choisi pour cette édition: «La Tunisie et ses pays voisins : risques communs et solutions partagées», après s’être intéressé à la coopération avec l’Europe puis l’Afrique lors des deux éditions précédentes.
Cette tribune internationale a réuni des dizaines de décideurs politiques de haut niveau, représentants d’institutions financières internationales et d’éminentes personnalités du secteur privé, experts économiques et membres de think-tanks étrangers.
Deux panels et 4 tables-rondes…
Le document de référence distribué aux participants pour servir de base au débat sur les différentes problématiques posées s’intitule joliment et judicieusement Atlas (Algeria, Tunisia and Libya Alliance Strategy). Il s’agit d’une étude élaborée par une commission ad-hoc au sein de l’IACE, qui a essayé de définir les principaux éléments d’une stratégie gagnant-gagnant pouvant bénéficier d’un consensus régional et présenter des propositions tenant compte de la situation politique et sécuritaire dans les trois pays et pouvant être revues en fonction de l’évolution de cette situation.
Les secteurs vitaux
Neuf secteurs vitaux, qui constituent le fondement d’une coopération régionale solide et efficace, ont été analysés et décortiqués à savoir: l’investissement, les zones frontalières, les relations commerciales, l’éducation, les ressources naturelles, le transport, la santé, le tourisme et les institutions
L’étude a porté donc sur le constat de l’état des lieux et a présenté des mesures spécifiques à chaque pays pouvant être prises à court, moyen et long termes et des mesures communes aux 3 pays.
Pour le volet relatif à l’investissement, par exemple, l’étude fait remarquer que l’investissement intra-maghrébin n’est pas développé comme il devait l’être et il y a lieu d’accélérer la modernisation du cadre juridique et son adaptation aux exigences des marchés de capitaux. L’étude déplore aussi la lourdeur des procédures bancaires et administratives, le manque de confiance entre administrations et hommes d’affaires, ainsi que le manque d’information et d’études de marchés.
De ce fait, et eu égard aux nombreuses opportunités d’investissement qui existent de part et d’autre des frontières, l’étude recommande, comme mesures communes, l’harmonisation des nomenclatures tarifaires, la création de fonds d’investissements mixtes pour encourager les investissements dans les zones off-shore frontalières et la création d’un conseil d’affaires entre partenaires privés bénéficiant de l’appui des autorités dans les trois pays.
La sécurité prime
Deux panels et quatre tables-rondes ont meublé les travaux de ce forum avec la participation notamment de Slim Chaker, ministre des Finances, Ridha Lahoual, ministre du Commerce, ainsi que de Amara Ben Younes, ministre algérien du Commerce, Abdallah Al Dardari, secrétaire exécutif adjoint des Nations Unies chargé de la Commission économique et sociale pour l’Asie Occidentale, et Abdelmonem A Boulaziz, Pdg d’Etalaf Drilling de Libye.
La question sécuritaire imposée par les événements régionaux demeure au cœur du débat vu son impact sur l’économie de voisinage et les échanges commerciaux entre le 3 pays.
Slim Chaker a dû rappeler «les racines historiques des relations bilatérales et la solidarité sans faille liant les 3 peuples dans leur lutte nationale contre les colonisateurs». Cependant, a-t-il ajouté: «Nous avons besoin, par ces temps qui courent, d’un capital de confiance qui s’appuie sur les relations personnelles, sur la coopération entre les entreprises et sur l’implication du secteur privé, des organisations nationales et de la société civile».
«La lutte contre le terrorisme et le commerce illicite nécessite, a encore souligné M. Chaker, une lutte acharnée contre la pauvreté et le chômage et une attention plus accrue aux secteurs de la culture et des sports».
«Nous devons surmonter les problèmes psychologiques et accentuer les échanges de jeunes pour assurer le rapprochement souhaité», a encore ajouté le ministre des Finances, avant de conclure, sur une note positive: «Tout nous réunit et rien ne nous sépare».
Le ministre algérien du Commerce a affiché, pour sa part, un certain optimisme quant à l’avenir des échanges tuniso-algériens faisant remarquer que «l’accord de partenariat privilégié entre les deux pays a renforcé davantage les relations politiques et économiques, malgré les contrecoups liés à la conjoncture».
«La priorité des priorités c’est la paix et la stabilité», a ajouté M. Ben Younes, tout en soulignant l’importance d’une coopération tripartite solide et de compter sur les secteurs porteurs.
Le ministre algérien n’a pas manqué de rappeler que la baisse des prix du pétrole s’est traduite pour son pays par une réduction de 40 % de ses recettes pétrolières, sachant que les 95 % des exportations algériennes proviennent des hydrocarbures. Une manière de dire : la crise n’est l’apanage d’aucun pays et c’est ensemble que l’on arrivera à la surmonter.
Suppression des taxes douanières
Abdallah Al Dardari a appelé, de son côté, à la suppression des taxes douanières et non-douanières et à la création d’un nouveau pôle de développement économique maghrébin, dont «le projet de l’Atlas pourrait constituer le point de départ», a-t-il dit.
Houcine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, et Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica, étaient présents, assis côte-à-côte, comme souvent au cours des dernières années et, surtout, durant les moments de crise qu’a traversé le pays. Cette proximité entre le syndicat des travailleurs et la centrale patronale est on ne peut plus symbolique. Commentaire d’un observateur: «C’est un message aux Tunisiens pour qu’ils continuent sur la voie du dialogue et de la concorde pour espérer surmonter leurs difficultés actuelles».
Suppression des taxes douanières? Ridha Lahoual en convient, qui insiste sur le principe de 0% de taxes douanières et appelle le pouvoir législatif à réviser la liste des produits soumis à la détaxe. «Nous devons nous accorder à nous autres les avantages que nous avons accordés à l’Union européenne», a-t-il précisé.
Pour Tarek Chérif, président de la Conect, l’autre organisation patronale, le problème ne réside pas dans les procédures douanières mais plutôt dans la volonté politique qui, selon lui, fait défaut. «C’est cette volonté qui règne en Europe et qui fait qu’un conseil ministériel franco-allemand se réunit tous les 6 mois pour faire le point de la situation des relations bilatérales, alors que chez nous, on n’arrive même pas à assurer les bonnes conditions d’accueil à travers un seul vol hebdomadaire pour chaque compagnie aérienne nationale», a-t-il déploré. Et d’ajouter : «Nous devons penser macro-économie et mesurer la perte que nous subissons à cause du retard accusé par la construction maghrébine. Le non-Maghreb nous fait perdre 2 à 3 points de croissance alors qu’un seul point peut générer 40.000 emplois», a-t-il rappelé.
En d’autres termes : les opérateurs économiques sont suffisamment conscients de leurs intérêts et savent tout le bénéfice qu’ils peuvent tirer d’une plus grande intégration régionale, mais seuls, ils ne peuvent rien faire. La balle est dans le camp des dirigeants politiques qui, eux, peuvent accélérer la construction maghrébine.
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