Notre neutralité vis-à-vis de la crise en Libye ne signifie nullement que nous cédions au chantage ou tolérions que le désordre libyen déborde dans notre pays.
Par Moncef Dhambri
Alors que le dossier de nos confrères Chourabi et Guetari n’a pas été résolu, alors que l’on vient à peine de trouver solution à l’arrestation de plusieurs dizaines de citoyens tunisiens vivant en Libye, voici que, une nouvelle fois, cette proximité libyenne pose problème…
Une dizaine d’agents de notre consulat général à Tripoli ont été kidnappés, vendredi 12 juin 2015, par des membres de la Brigade Medfaiyah Wal-Sewarikh (Artillerie et Missiles) de Fajr Libya qui exigent la libération d’un de leurs dirigeants, Walid Ghleib (ou Al-Kalib), en état d’arrestation en Tunisie.
La sagesse populaire nous a enseigné que l’on ne choisit pas ses voisins. La Tunisie a vérifié, à plusieurs reprises et sous de multiples formes, le bien-fondé de cet adage. Depuis le déclanchement de notre 11 janvier, nous avons eu, pour diverses raisons, à payer le prix du choix que les Libyens ont librement (ou pas) fait de prendre exemple sur nous en décidant de se débarrasser de Mouammar Kadhafi.
Soutien sentimental aux soulèvements arabes
Nous n’avions demandé l’avis de personne le jour où l’on a pris la décision de déposer Zine El-Abidine Ben Ali. Et nous n’avons jamais eu la prétention ou l’ambition d’exporter notre révolution.
Indépendamment de ce que le dictateur Kadhafi pouvait penser ou dire sur notre révolution, notre attention s’était, dans une très large mesure, concentrée sur nos propres difficultés à tourner la page de la dictature de Ben Ali et à inventer notre salut comme nous le pouvions et comme nous l’entendions. Bien sûr, nous nous étions réjouis d’apprendre que nos frères libyens – tout comme ceux d’Egypte et les autres peuples arabes – aient décidé de se révolter contre leurs dictateurs.
Le soutien tunisien à tous ses soulèvements du Printemps arabe a été, d’une manière générale, «sentimental». Bien plus préoccupés par nos soucis internes et les chamboulements que notre révolution a impliqués dans notre maison tunisienne, nous avions observé, grosso modo, une certaine neutralité dans tout ce qui pouvait se passer chez les autres. Nous étions également conscients que nous n’avions ni les moyens ni le moindre intérêt de nous investir dans ce que les autres révolutions arabes ont cru bon de faire – ou ne pas faire.
Cette règle de la discrétion tunisienne a été plus ou moins strictement respectée par les différents gouvernements qui se sont succédé en Tunisie, depuis le départ de Ben Ali. Officiellement, pendant les 4 ou bientôt 5 années de notre révolution, nos responsables ont gardé une certain distance en rapport avec les soubresauts arabes. Hormis quelques rares écarts commis par nos incompétents et maladroits Moncef Marzouki, Hamadi Jébali et Ali Larayedh, globalement, la non-ingérence de notre pays dans les affaires internes de nos voisins arabes, proches et lointains, a été quasiment irréprochable.
Il ne pouvait en être autrement
Dans le cas libyen, la Tunisie a quelque peu dérogé à ce principe de non-ingérence en permettant que des armes, des munitions et peut-être même quelques autres aides à destination de la Libye transitent par son territoire. La Tunisie a extradé Baghdadi Mahmoudi, accepté que les dirigeants des différentes factions libyennes ne retrouvent en Tunisie et se réunissent, et elle a soigné dans ses hôpitaux les blessés de la guerre civile libyenne.
Pour de multiples raisons, il ne pouvait en être autrement – ou très difficilement.
De la même manière, la Tunisie ne pouvait refuser d’accueillir les centaines de milliers de réfugiés libyens qui fuyaient la crise dans leur pays. Le million (ou plus) de ressortissants libyens résidant actuellement en Tunisie est un prix élevé que notre pays a accepté, humanitairement et moralement, de payer. D’ailleurs, objectivement, aucune force – ni aucune résistance physique, militaire ou autre – n’aurait pu faire barrage à ce déluge de réfugiés (de Libyens et de personnes d’autres nationalités) qui s’est déversé sur notre pays.
Notre voisinage avec la Libye ne comporte pas que ce fardeau humanitaire, moral et financier que nous avons accepté de porter. Hélas, la note douloureuse de cette proximité libyenne comprend également la rubrique indésirable de certaines confusions que la crise en Libye a créées dans notre pays.
Dans une Libye où les Libyens eux-mêmes ne savent plus à quel saint se vouer, dans un pays où tous les désordres et toutes les insécurités règnent, dans une Libye où les armes de tous les calibres, les contrebandiers en tous genres et les djihadistes de toutes les allégeances font la loi, dans ce chaos total, donc, il ne pouvait y avoir pour les voisins de la Libye que risques de débordements et contagions.
Et la Tunisie – la petite Tunisie, par la taille et les moyens – n’a pas fini de payer le prix exorbitant des retombées néfastes de cette crise libyenne ou de résister à toutes ces forces libyennes (et étrangères) qui souhaitent l’impliquer, d’une manière ou d’une autre, dans cette guerre civile.
A maintes reprises, nous avons exprimé le souhait de voir nos voisins se réconcilier au plus vite. Nous avons dit et répété que la Tunisie sera toujours la même terre d’accueil pour ceux d’entre nos frères libyens qui s’y sentent bien. L’heure est sans doute venue à ce que l’on dise, clairement et avec la conviction qui s’impose, que la neutralité tunisienne quant à ce qui se passe en Libye ne signifie nullement faiblesse ou manque de détermination de notre part.
Nous ne nous autoriserons pas d’être indifférents à la crise en Libye voisine, mais ce devoir de compréhension et de générosité envers nos voisins libyens ne comprendra jamais que l’on cède au chantage, que l’on tolère que le désordre dans ce pays déborde dans notre pays ou qu’une seule vie tunisienne soit sacrifiée pour n’avoir pas donné satisfaction à telle ou telle faction…
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