A propos de l’affaire de Marouen, le jeune homme condamné à 1 an de prison pour homosexualité, sur la base d’un test anal effectué par un médecin légiste.
Par Dr Lilia Bouguira
Depuis quelques jours déjà, son histoire envahit le web, remue la société civile, traque les médias et comme souvent écartèle l’opinion publique en deux dans un ordre du jour brulant.
En Tunisie et comme beaucoup de pays orientaux, les tabous sont plus tranchants que des vies. De véritables lames de rasoir.
Nous adorons nous positionner derrière le non-dit pour cacher nos immenses frustrations, nos angoisses et nos peurs d’affronter surtout en ce qui concerne la sexualité.
Nous prenons souvent peur et des fantômes-fantasmes ressurgissent de très loin à chaque remise sur le tapis ou ordre du jour dans nos vies si lisses et si bien maquillées. Nous-nous y opposons alors très violemment comme si nous avions des monstres à nos trousses.
Derrière la polémique, une douloureuse réalité
En réalité, nous avons été tellement abreuvés d’interdits et de géhennée que nous nous détournons de nos corps plus exactement d’une partie de nous-mêmes sans oser regarder. Les savants qualifient encore ces organes d’«honteux» d’où le lapsus révélateur, j’insisterai.
Nous refusons d’en parler entre nous, dans nos couples, nos familles et surtout avec nos enfants.
Les transitions dans nos corps non accompagnées d’explications et de justes mots se font comme dans toutes les transitions dures et cahoteuses. Surtout dans les transitions houleuses où il y a beaucoup de controverses, de lutte et de bruit.
Certains en sortent plus ou moins indemnes en sauvant les apparences, d’autres titubent, trébuchent et tombent bien des fois.
S’en relever s’avère des fois difficiles souvent endommageant et bien des séquelles s’en suivent inévitablement.
Nos défaillances sont si tuméfiées que nous nous oublions à l’essentiel soit d’essayer de comprendre pour éviter la répétition des erreurs du passé. Nous aimons nous réconforter dans nos leurres de bouc émissaire pour éponger notre désarroi de la vérité.
Notre culture arabo-musulmane et notre modèle patriarcal aident difficilement à nous en découdre puisque tour-à-tour en cercle vicieux, nous nous embourbons dans les mailles de l’un et de l’autre. S’ajoutent à cela nos déformations des choses se rapportant à la sexualité, notre ignorance dans ce domaine surtout et puis le renflement des rumeurs qui n’arrange pas les situations. Un véritable sport national ce dernier.
Le Tunisien tout venant, depuis la bénite révolution, est sur tous les fronts, se croit maîtriser toutes les sciences, se permettant de critiquer et d’évaluer. Il est tantôt juge quand il faut trancher, tantôt médecin légiste même, je dirai. Tantôt journaliste ou encore enseignant, des fois même boucher ou voiturier.
Cela aurait été de bonnes pratiques si le Tunisien en parvenu se dotait dans tous ces métiers de science et d’informations justes et argumentées.
En triturant, le jeune Marouen tantôt le pédé pour de nombreux tantôt la victime héroïsée (cas d’école) pour une minorité comme pour Mariem, la fille violée par des policiers en 2012, nous re-peinons à bien comprendre.
Mais a-t-on une seule pensée pour ce gamin et ce qu’il a enduré? Qu’est-ce qui est derrière son identité sexuelle? Est-ce son véritable choix identitaire ou encore y a-t-il été forcé? A-t-il été capable de faire son choix et d’émerger de son adolescence transition vers un âge adulte affirmé?
Tout cela avant de le condamner comme beaucoup on fait pour la petite violée.
Nous sommes une société en pleine transition démocratique dystocique et ce cas de figure doit être repris non pas pour condamner mais pour en faire un cas d’école.
Il nous faut absolument essayer de comprendre cette jeunesse malmenée, déçue et déconfite depuis la révolution dans un besoin salutaire pour la nation.
Nous comptons de plus en plus chez nos jeunes des conduites à risque au plus haut grade de dangerosité : toxicomanie, prostitution, déviance sexuelle, violence qui va jusqu’à la mort.
Une mort violente retournée contre soi-même. Nous comptons de plus en plus de suicides, d’immolation et d’équivalents suicidaires violents que nous n’avons jamais comptés parmi notre jeunesse. Les chiffres attestent.
Un autre type de mort violente aussi mais cette fois retournée contre l’autre. Nous comptons le plus haut chiffre d’enrôlés dans Daech et en Syrie. On parle du Tunisien comme du plus sanguinaire et des plus redoutables dans le terrorisme.
«Il mérite bien ça»
Au lieu de condamner et nous précipiter, ne peut-on pas prendre le temps de se poser les justes questions et de réfléchir aux solutions? Et puis si ce gamin était notre enfant, notre frère ou notre neveu, comment aborderons-nous cette situation?
Imaginons un instant ce jeune homme comme le nôtre, autoriserons nous son scalp sans nous poser de question fondamentale? Dormirons nous à poings fermés si seulement nous imaginions une minute le sort auquel nous l’avons envoyé en acceptant cette terrible sentence dictée par une loi biscornue?
Un terrible bizutage en prison dans le pavillon des lions lui est sûrement réservé accompagné de nos sadiques «Yestahel, Marouen le pédé» (il le mérite bien) ou encore : «Il ne faut pas s’en faire, il aime bien ça», comme dans un précédent repris par certains responsables lors du cas de Mariem, la jeune fille violée par des policiers.
Prenons le temps de réfléchir au lieu de le tuer doublement en autorisant la violation de son intimité par une loi archaïque, vieille du temps des dinosaures sans révision aucune pour des temps qui changent considérablement. L’exécution du médecin à un ordre d’expertise n’en est pas moins condamnable mais l’essentiel réside dans notre acharnement à refuser de regarder la vérité.
Une fois encore, nous autorisons le coït d’une justice dinosaurienne comme nous avons autorisé la tournante d’une gamine Mariem par des flics en fonction.
Nous désignons le coupable et nous nous acharnons à trouver les preuves pour l’accabler sans chercher le pourquoi des choses, la véracité des situations et surtout la teneur de nos lois.
Tout cela pour échapper à une terrible vérité, celle de nos manques et de nos frustrations anciennes.
La quête d’une identité sexuelle
Nous nous donnons le rôle de façonner nos enfants par nos comportements et des images identitaires que nous leur renvoyons en premier miroir.
Un père mou démissionnaire ne défendant pas son statut dans sa famille ou encore une mère soumise et démissionnaire ne peuvent en rien donner un bon imago à l’enfant.
Une famille où les scènes de violence conjugale, de passage à tabac et de sévices faits à l’enfant ne peuvent aboutir qu’à des transitions douloureuses et chaotiques à l’adolescence et la transition se fera avec beaucoup de séquelle répétant indubitablement les scènes vécues sur sa petite personne.
S’ajoute à cela les violences sur la scène politique et sociale. Tout cela n’arrange en rien pour démasquer les déviances et soigner l’image de soi.
Tout cela ne peut drainer que des angoisses et des frustrations. Un enfant issu d’un tel désastre ne peut assumer ses choix ni en être responsable. Dans toute déviation, il y a entraînement et amalgame.
Au lieu de faire le procès de Marouen, étudions ces cas de désespérance et de choix forcés parce qu’en tant que médecin et spécialiste dans la matière, on ne peut parler de pédérastie ni de choix sexuel confirmé chez un adolescent qui est en quête de soi et en particulier d’identité sexuelle.
Tout dépend du miroir rassurant que lui donne l’autre (le parent ou l’ami qu’il aimerait explorer parce qu’il est source d’apaisement) pour explorer les notions nouvelles à son corps de la sexualité. Les blocages se font et se défont à ce carrefour d’âge bien déterminant.
Seul à l’âge adulte avec l’accomplissement des changements et de toutes les quêtes s’opérera le véritable et définitif choix de l’identité sexuelle de la personne.
Bibliographie :
* ‘‘Adolescence aux mille visages’’, Alain braconnier et Daniel Marcelli, édition Odile Jacob.
* ‘‘Orientation sexuelle et homosexualité à l’adolescence’’, Jean-Yves Frappier.
* ‘‘La sexualité chez l’enfant et l’adolescent’’, Charlotte Mareau et Caroline Sahuc.
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