Dans ‘‘K.O.’’, Jamila Chihi et Nooman Hamda proposent une réflexion sur les nouvelles formes de violences sociales dans la Tunisie post-révolutionnaire.
Par Fawz Ben Ali
Le Théâtre national tunisien (TNT) présente une nouvelle création intitulée ‘‘K.O.’’, écrite par Jamila Chihi, mise en scène par Nooman Hamda et interprétée par ce duo d’artistes polyvalents.
La pièce s’est jouée à la salle Le 4e Art à Tunis, le 5, 6 et 7 février, après avoir été programmée dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage (JTC 2015) et sa première représentation avait connu un grand succès auprès du public.
La violence par la violence
Jamila Chihi incarne dans cette pièce le rôle de «O», une quadragénaire. Pétrifiée, essoufflée, elle entre en scène et tourne en rond cherchant une issue ou un réconfort après avoir été victime d’un braquage. Elle tombe sur «K», Nooman Hamda, dans un rôle d’ancien boxeur qui a décidé d’abandonner la boxe après avoir tué son adversaire au cours d’un combat. Elle implore son aide, mais, caché sous sa capuche à l’autre bout de la scène, il reste muet et insensible à ses appels. Elle décide alors de lui raconter sa souffrance, son désir de se venger et d’apprendre la boxe afin de transformer sa rage en une arme de défense, car dans cette société devenue jungle, se justifie-elle, on ne peut répondre à la violence que par la violence.
Le rythme de la pièce monte en crescendo, dans ce lieu inquiétant et triste dont le décor se limite à quelques cabines téléphoniques et de longues chaînes suspendues au toit, lorsque «O» met ses gants de boxe et se tient en posture de combat devant son entraîneur et adversaire. Leur complicité saute aux yeux dans ce face-à-face à couper le souffle où se révèle un jeu d’acteurs époustouflant, d’une sincérité déconcertante. Fragile, fébrile mais la rage au ventre, ce petit bout de femme se bat et lutte face à cet inconnu aux traits féroces et aux coups assommants.
Portrait d’une société qui va mal
En écrivant cette pièce, Jamila Chihi a souhaité rendre hommage aux femmes qui luttent encore et toujours contre le machisme, le harcèlement et toutes les formes de violences qu’elles soient verbales ou physiques. Dans ‘‘K.O.’’, la femme est un symbole de résistance qui ne cesse de faire barrage aux projets obscurs. Dans une réplique des plus émouvantes de la pièce, Jamila Chihi lance un clin d’œil aux femmes qui ont marqué l’histoire de la Tunisie, avec une voix meurtrie mais fière, on l’entend crier : «Je suis Elissa, je suis Aziza Othmana, je suis Saïda Manoubia, je suis Habiba Msika… Je suis la femme tunisienne. En bref, je suis la Tunisie!»
‘‘K.O.’’ est une réflexion sur les nouvelles formes de violences sociales dans la Tunisie post-révolutionnaire. Cette révolution s’est avérée être un catalyseur d’animosité; d’ailleurs, la pièce raconte l’extrême douleur et les angoisses enfuies dans chacun de nous. On est face à un miroir qui nous rappelle notre réalité désenchantée. Les comédiens ne manquent pas de lancer des messages accusateurs au pouvoir en place qui ne fait quasiment rien pour protéger ses citoyens et neutraliser les vagues de haine qui tentent de mettre le pays KO.
Que nous soyons témoins ou victimes, la violence gouverne désormais notre quotidien, et comme le théâtre se doit d’offrir un reflet fidèle de la société, les dernières créations théâtrales tunisiennes en font un sujet de prédilection, à l’instar de la dernière œuvre de Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar ‘‘Violence(s)’’ et de ‘‘K.O.’’, signé Jamila Chihi et Nooman Hamda.
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