Les Tunisiens, qui ont fait la révolution pour se débarrasser de la voyoucratie de Ben Ali, sont gouvernés aujourd’hui par une voyoucratie islamiste alliée à la racaille «benaliste».
Par : Kamel Essoussi *
Ben Ali, au flair politique rudimentaire, était loin de s’apercevoir que le pays qu’il gouvernait devenait une voyoucratie à ciel ouvert. Son gendre avait déjà largement sapé les fondements de sa dictature. Ses beaux frères ont fait le reste du travail de démolition pour faire tomber la baraque sur sa tête, un certain 14 janvier 2011. Le peuple héros applaudi en standing ovation par la planète entière s’en est débarrassé sans gros dégâts, même si l’on a dénombré, au final, plus de 300 morts.
Mais une fois la joie consommée, le bon peuple devait organiser la maisonnée. Croyant fervent et peu au diapason de ces formes de gouvernement savantes, il voyait en ses islamistes la seule alternative crédible à la voyoucratie de Ben Ali. Il se disait que le pays serait mieux géré moyennant quelques coups de «besmellah» (Au nom d’Allah) par-ci et quelques prières dans les mosquées par-là
Une voyoucratie en barbe, qamis et sebha
Quand donc l’islam politique débarqua de nouveau en grandes pompes en Tunisie, il savait qu’il pouvait surfer tranquille sur cette vague de religiosité à fleur de peau longtemps réprimée. Le peuple libre de son destin votait démocratiquement pour eux. Il avait décidé de confier les clefs du pouvoir à des «religieux qui craignent Dieu», tout le contraire des voyous croyait il.
Trois ans de pouvoir d’Ennahdha l’ont réveillé sur la dure réalité de son quotidien fait de misère dans laquelle l’enfonçait l’islam politique un peu plus. Pire encore, la foi ne suffisait pas pour écarter cette gangrène de la corruption. Elle en était même le moteur puisque celle-ci est légitimée par la notion divine de «ghanima» (butin de guerre).
Les voyous ne sont peut-être plus des loubards de banlieue en jeans et «dengri», comme les gendres de l’ancien président, mais ils se sont mués en prieurs militants, fils spirituels du cheikh Rached Ghannouchi : softs dans les environs de Monplaisir, quartier de Tunis où se trouve le QG d’Ennahdha, et égorgeurs dans les montagnes de Chaambi où sont déployés les salafistes jihadistes.
Les voyous s’adossaient à la toute puissance du dictateur, otage de sa dulcinée, pour se sucrer; les prieurs misaient sur la toute puissance de leur cheikh, otage des Frères musulmans, pour se faire indemniser et terroriser la population.
Le peuple apprenait. Il se réveillait pour mieux se rattraper grâce à cet outil merveilleux de la démocratie dont il s’est doté. Lorsqu’il s’est aperçu que la voyoucratie en barbe, qamis et sebha (chapelet) des cheikhs, même issue des urnes, était aussi terrible à vivre que la voyoucratie en costume cravate de Ben Ali. Il revotait heureux, en mieux cette fois-ci, sur la base d’une nouvelle constitution et de nouvelles institutions à l’occidentale censées mieux contrôler les voyous que la foi en Dieu.
La revanche des islamistes et de la racaille du RCD
C’est à ce titre qu’il avait donné une majorité parlementaire au Nidaa, élu un président issu de ce parti présumé laïc, sur une seule promesse: celle de remplacer les islamistes d’une part et d’éliminer les voyous de la république d’autre part. La planète entière, encore une fois, encensait le haut degré de maturité des Tunisiens qui avaient enfin compris.
Hélas, les pauvres citoyens que nous sommes ont dû, encore une fois, déchanter. Et plus vite que prévu. Chassez le naturel, il revient au galop! Béji Caïd Essebsi, président de la république, a recraché au peuple qui l’a élu tout ce que celui-ci a vomi : les islamistes d’abord à travers les accords de Paris avec le cheikh Ghannouchi et les voyous de la république ensuite à travers les accords passés par son fiston, Hafedh, avec la racaille du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti au pouvoir sous la dictature de Ben Ali.
Les islamistes s’accommodèrent de la situation, certains de l’impunité de leurs cadres pour toutes les dérives dont ils s’étaient rendus coupables, à commencer par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem Bouchlaka, gendre de Ghannouchi, qui avait tapé dans les caisses de l’Etat. Les voyous aussi, en toute légalité cette fois, s’agglutinèrent au nouveau pouvoir, l’infiltrèrent, l’encensèrent et ressuscitèrent. Le peuple floué et désabusé regardait. Qu’elle est belle la jeune démocratie tunisienne !
Et puis enfin le prologue de la comédie : sans attendre et battant le fer tant qu’il est chaud, Beji Caid Essebsi nous ressort en Bey Caid du royaume carrément, une vieille jeune connaissance élevée par ses soins dans les fastes du palais et bien recyclée dans les couloirs du mauvais gouvernement qu’il a viré. Je veux que ce jeune Youssef Chahed soit votre chef du gouvernement. Tout ça pour ça? Non! Trop c’est trop pour ce bon peuple qui croyait choisir libre en démocratie et qui se retrouve enfermé dans un beylicat charaique.
Un sentiment diffus de rage à entendre un gamin bac – 10 et un footeux des virages bien friqué parler de sa responsabilité de devoir prendre des décisions pour toi citoyen qui souffre pour améliorer ton quotidien, ton avenir, celui de tes enfants et de ton pays et de cautionner pour ton bien ce que décide le bey pour toi.
Le peuple éternellement humilié
Une humiliation, un sentiment d’impuissance et de sous citoyen dindon d’une farce qui te prend aux tripes à l’idée qu’un terne citoyen anodin surgi de nulle part, un pantin entouré d’une bande de bananiers mafieux et de lécheurs de bottes farineux décide, parce qu’il est fils de ton président, de changer le chef de ton gouvernement et de mettre à l’arrêt ton pays jusqu’à ce qu’il parte parce que sa gueule ne plait pas à ses compagnons voyous.
Une sensation d’un étau qui te serre, d’un voile de noirceur qui te recouvre et d’une chape de plomb qui s’abat sur ton pays à regarder ces islamistes jouant à la neutralité et faisant la sainte nitouche de trancher du haut de leurs minarets ce qui est bien pour toi sans heurter ton islam mais tout en votant «bolchéviquement» et à l’unanimité pour faire vaincre le clan des mafieux qui te ruine et t’imposer un gouvernement où ils peuvent mieux avoir les mains libres.
Un peuple désespéré de cette démocratie, dont la lassitude se lit maintenant clairement dans les cernes de ses yeux hagards. Un peuple frustré, un peuple qui désespère, erre et qui a tout essayé, en vain jusqu’ici, pour se débarrasser des deux verrues qui lui collent au nez : l’islamisme et la corruption. Un peuple qui sait s’en sortir d’habitude sans grande casse. Mais un peuple aussi dont on ne peut plus prévoir la réaction lorsqu’on le pousse à bout en le laissant éveillé à écumer de rage pendant 5 longues années entières à chercher une issue introuvable.
* Consultant.
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