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Youssef Chahed au jour le jour : 3- Arc de triomphe, casse-croûte et autres balivernes

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Le récit hebdomadaire des activités du chef du gouvernement d’union nationale Youssef Chahed tel qu’il aurait pu l’écrire lui-même. Bruits et chuchotements …

Imaginé par Yassine Essid

Je suis content de ce journal intime que je retrouve chaque fin de journée dans la tranquillité de mon bureau. Cela me procure un bien-être intellectuel et émotionnel, de même qu’il me sert d’exutoire pour évacuer le vide de l’autorité et le trop plein de colère quand tout ne marche pas comme je veux.

Aujourd’hui, un sentiment m’étouffe et m’inflige cette soif d’expliquer ma conduite, de me révéler à moi-même et divulguer une chose cachée qui vaille la peine d’un aveu. Je n’ai pas réussi depuis ma nomination à me défaire de ce sentiment trouble dans lequel se mêlent confusément la tendresse, le regret, les remords et la mauvaise conscience envers mon ami et prédécesseur: Habib Essid.

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L’arc de triomphe de l’Ariana

J’ai été un ministre effacé de son gouvernement; j’ai appliqué sans rechigner sa politique; j’ai cherché à contribuer le mieux possible au succès de son programme, mais je n’ai pas essayé de déjouer la cabale dont il fut victime, ni fait preuve de cette solidarité pourtant censée engager tous les membres de son cabinet. Mais, que voulez-vous? J’ai préféré troquer mon devoir de loyauté envers ma hiérarchie contre une décision irrévocable de la «famille».

Le vendredi 9 septembre a été consacré de l’inauguration de l’échangeur de Mahmoud El-Matri de l’Ariana. Les organisateurs avaient imaginé un décor qui ne semble pas inspiré d’aujourd’hui, mais conçu aujourd’hui. Ils avaient en effet dressé simplement et dignement sur mon chemin un arc de triomphe artistement décorée et fleurie. Cela nous change de la désormais banale coupure de ruban tout en renouant avec une tradition qui remonte à l’Antiquité et par laquelle ont marquait l’ouverture du territoire au public. Ce qui était le cas.

Le dimanche je me suis plié pour la première fois aux coutumiers vœux adressés par le chef de gouvernement au peuple tunisien. J’avoue que dans ce domaine je n’ai pas beaucoup innové. Le communiqué rédigé par mes services était vide, creux, prévisible et mensonger. C’était un discours attrape-tout, s’adressant à tous, dans lequel se succèdent les mots de solidarité, fraternité, sécurité, stabilité et autres balivernes qui ne font que démontrer une fois de plus l’important décalage entre la parole politique et les difficultés de la conjoncture. Seul consolation : personne ne le lira.

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A l’ombre des patriarches

Le lundi matin, et comme l’impose la tradition, j’ai accompagné le président de la république et le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) à la mosquée de Carthage pour la prière de l’Aïd Al-Adha. La photo diffusée par les médias ne me rend pas justice. J’ai beau bomber le torse, dominer par la taille, prendre une attitude martiale, je demeure invisible aux yeux du public. Il me manquera toujours cette prestance qu’on retrouve chez l’authentique homme d’Etat.

L’indiscutable autorité qui émane des deux présidents au vu de leur long et riche passé politique, ainsi que leur maintien, les rend capables d’agir sur l’amélioration de la condition du peuple tout en faisant accepter les douloureuses réformes de fond, les seules capables de jeter les bases d’une sortie de crise. Tout cela leur accorde un avantage irrattrapable dans la mesure où je ne dispose d’aucun passé dans la pratique du pouvoir sans parler de l’avenir incertain qui m’attends dans le domaine du gouvernement des hommes.

Ce même lundi, et nonobstant les obligations familiales impérieuses en ce jour de fête, j’ai tenu malgré tout à visiter le poste de la garde nationale du péage de Mornag. C’est grâce à ces cérémonies, toutes empreintes de simplicité, et parfois de paternalisme, que j’apprendrais à me façonner une personnalité publique en puisant dans le répertoire des expériences politiques les formules et gestes qui véhiculent la stature de l’homme d’État. Sillonner le territoire, aller au-devant des citoyens pour les sensibiliser aux enjeux du moment, inaugurer des projets, entreprendre des visites inopinées, dialoguer avec les professionnels, sont censés créer un brin de consensus et d’harmonie entre le dirigeant que je suis et le peuple et ce, sans la moindre intention de récupération pour un gouvernement jugé pourtant atone. C’est donc en marchant que je parviendrais à élaborer l’image publique de ma fonction.

Cependant, pour une de ces raisons à la fois bizarres et saugrenues, j’ai eu la fâcheuse idée de me rendre en Monsieur-Tout-le-Monde pour manger un sandwich dans les souks. Avec le recul, la photo dans laquelle j’apparais en compagnie de mes collaborateurs en train de partager, dans une bruyante et grossière hilarité, un mets populaire, indique un manque de maturité évident et pourrait être interprétée comme un racolage facile de la sympathie des gens modestes. Or personne n’est dupe. Les gens présument en effet qu’un Premier ministre avec son salaire, ses limousines, son cortège sécuritaire et son personnel domestique, ne devrait manquer de rien et disposerait en permanence à la fois du nécessaire et du superflu et n’a donc nul besoin de venir les concurrencer dans leur pauvreté encore moins les soustraire à leur indigence par cette promiscuité de table.

Un Arabe parmi d’autres

J’ai été informé par le ministre des Affaires étrangères, que la Tunisie a succédé au Bahreïn à la présidence du conseil de la Ligue arabe. La belle affaire ! Je n’y trouve là ni reconnaissance ni vertu méritoire. Cette organisation n’a cessé depuis sa création d’aggraver les crises du monde arabe. Ses nombreux projets n’ont jamais abouti, ses réformes sont restées sans suite, ses problèmes jamais résolus, la coopération jamais mise en œuvre. C’est une coquille d’autant plus vide que le monde arabe a cessé d’exister, du moins en tant qu’association d’Etats souverains et instrument pour une future organisation régionale authentique.

Aujourd’hui, la plupart des Etats arabes ont vacillé, sombré dans la guerre civile et les plus chanceux d’entre eux connaissent un désarroi durable accentué par les médias qui agissent en tant que fer de lance d’une hégémonie de déstabilisation.

La libération de la Palestine n’est plus qu’un mot d’ordre creux, aussi moribond et incantatoire que les successives initiatives de paix arabe. Si l’on excluait aujourd’hui les Etats membres agresseurs, comme le prévoit la charte de la Ligue, il ne resterait plus grand monde.

Le sentiment d’identité arabe, de sensibilité arabe, de nationalisme arabe et son utopie d’un monde arabe unifié de type moderne, républicain et démocratique, n’existent plus dès lors que ce sont les monarchies qui agissent au nom de la version la plus obscurantiste de l’islam et pèsent de tout leur poids.

La Ligue arabe est devenue un imamat et la solidarité islamique a remplacé la défunte solidarité nationaliste arabe. Il n’y a plus ni inspirateur charismatique, ni identité nationale, mais seulement allégeance au Royaume d’Arabie que la volonté de Dieu a désigné comme chargé de guider la umma musulmane en conformité avec les principes coraniques.

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Le secret de la durée

Le mercredi, j’ai reçu le ministre de l’Education nationale venu me rendre compte des préparatifs de la rentrée scolaire: Néji Jalloul. Un rescapé du dernier remaniement qui, hier encore, plébiscitait la politique gouvernementale d’Habib Essid et déclarait qu’il lui apporterait son soutien lors du vote de confiance au parlement. C’est pourtant celui-là même qui affirme aujourd’hui, sans ambages, que mon gouvernement dispose des conditions de réussite et aurait besoin d’un soutien populaire.

On apprend ainsi que pour réussir en politique il faut être l’homme de l’instant présent, agir selon les circonstances et savoir exploiter toutes les occasions pour durer. C’est la définition même de l’opportunisme. Connaissant M. Jalloul, il doit m’en vouloir d’avoir, sans trop d’efforts, grimpé plus haut que lui.

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