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La Tunisie, l’Arabie saoudite et le djihadisme

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Ghannouchi est toujours le bienvenu chez le roi Salmane d’Arabie saoudite. 

L’Arabie saoudite commence à être pointée du doigt en tant que commanditaire ou du moins complice peut-être involontaire de la propagation du djihadisme.

Par Slaheddine Dchicha *

Tout un chacun connaît probablement la fameuse phrase attribuée à l’ancien ministre français Jean-Pierre Chevènement : «Un ministre, ça ferme sa gueule. Et si ça veut l’ouvrir, ça démissionne. »

Le ministre des Affaires religieuses Abdeljalil Ben Salem n’a même pas eu le temps de démissionner, en à peine 24 heures, il a été limogé par le chef du gouvernement Youssef Chahed qui, là, a fait preuve d’une grande célérité. Presque de la précipitation. Mais ce premier couac du gouvernement d’«union nationale» imposait de remédier au plus vite à cette erreur de casting.

Il faut croire que l’enjeu était très important et que la faute était très grave et surtout que ceux qui ont voulu la tête du coupable sont très influents !

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Poignée de main Rached Ghannouchi et le roi Salmane Ben Abdelaziz Al-Saoud.

Il n’y a que la vérité qui blesse

Or qu’a dit le ministre? S’adressant aux Saoudiens à travers leur ambassadeur à Tunis, il leur a dit: «Réformez votre doctrine wahhabite, historiquement le terrorisme vient de chez vous». Et d’enfoncer le clou : «Le takfir ne provient que des doctrines hanbalite et wahhabite, tout l’extrémisme et le terrorisme reviennent à la doctrine wahhabite, que ce soit d’une bonne et ou d’une mauvaise intention».

Ayant en mémoire les déclarations passées du ministre et considérant qu’il n’a pu faire partie du gouvernement sans l’accord d’Ennahdha, sa déclaration surprend. On dirait un lapsus ou un acte manqué parfaitement réussi. En tout cas une pulsion qui ne s’embarrasse ni de langue de bois ni de circonvolutions diplomatiques et qui fait surgir la vérité.

Mais un ministre est-il payé pour dire la vérité?

Non. Il est nommé pour prêcher une vérité officielle : «les impératifs du travail gouvernemental et… les principes de la diplomatie tunisienne» non respectés par le ministre, selon les termes du communiqué officiel de la Kasbah, ou mieux, selon Bhiri, le président du bloc parlementaire du mouvement Ennahdha à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), «les relations tuniso-algériennes, les relations tuniso-saoudiennes et les relations tuniso-libyennes relèvent de la sûreté nationale et qu’on ne doit pardonner aucune atteinte envers elles.».

Or M. Ben Salem, au lieu de se limiter à son rôle et de s’occuper du contrôle des mosquées et de la surveillance des imams, il s’est mis en tête subitement et impulsivement de s’attaquer à la racine de l’extrémisme religieux en islam: le wahhabisme.

C’est dire la faute dont la gravité ne peut se mesurer sans rappeler que Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, a accompli le pèlerinage à la Mecque, en septembre dernier, sur l’invitation du roi d’Arabie saoudite et surtout sans se faire une petite idée de l’ampleur des prêts et des investissements saoudiens…, prêts et investissements qui semblent dicter l’alignement de la diplomatie tunisienne sur certaines positions saoudiennes et expliquer l’aveuglement et le déni vis-à-vis des menées du wahhabisme…

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Le président Caïd Essebsi et le roi Salmane à Riyad.  

Sale temps pour les émirs

Il est des signes qui ne trompent pas. Après une période d’indifférence complice et d’indulgence intéressée, les langues commencent à se délier partout en Europe et aux Etats-Unis où l’Arabie saoudite commence à être pointée du doigt en tant que commanditaire ou du moins complice peut-être involontaire mais en dernier lieu responsable de la propagation du djihadisme.

Ainsi malgré les prestigieuses et coûteuses agences de communication qui polissent et embellissent à longueur de journée l’image du Royaume des Saoud, l’actualité éditoriale voit se multiplier les publications qui accusent le royaume.

Outre, la désormais référence obligée, le livre de Hamadi Redissi, ‘‘Le Pacte de Nadjd’’ qui devient, pour l’édition de poche, ‘‘Une histoire du wahhabisme’’ (éd. Points/Seuil, Paris 2016, 436p, 10,50€), signalons deux autres récentes et accablantes publications : ‘‘Dr. Saoud et Mr. Djihad’’ de Pierre Conessa (éd. Robert Laffont, Paris 2016, 302p, 20€) et ‘‘Nos très chers Emirs’’, de Christian Chesnot et Georges Malbrunot (éd. Michel Lafon, 2016, 294p, 17.95€).

Après le silence dicté par les pétrodollars et la Realpolitik, voici venu pour les wahhabites le temps du bashing et des incertitudes !

* Universitaire.

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