Les milices islamistes accusées du meurtre de Naghd pavoisent.
Le non-lieu prononcé dans l’affaire du meurtre de Lotfi Nagdh vient remuer de tristes souvenirs et poser des questions sur l’indépendance et l’impartialité de la justice.
Par Mohamed Ridha Bouguerra *
Beaucoup de Tunisiens, fort probablement, estiment que la justice s’est considérablement décrédibilisée par le non-lieu prononcé par le tribunal de Sousse, tard dans la soirée du 14 novembre 2016 dans l’affaire de feu Lotfi Nagdh. Verdict qui permet aux présumés assassins encore en état d’arrestation de retrouver la liberté et la victime sera, ainsi, assassinée une deuxième fois.
Rappelons que cet ancien responsable régional du parti Nidaa Tounès fut lynché, en plein jour, le jeudi 18 octobre 2012, dans les rues de Tataouine, par des éléments relevant des sinistres prétendues Ligues de protection de la révolution (LPR) et de militants appartenant aux partis Ennahdha et le Congrès pour la république (CpR), alors au pouvoir.
«Circulez, il n’y a rien à voir !»
Un non-lieu, selon le Grand Robert, est une «décision par laquelle une juridiction d’instruction, se fondant sur une justification de droit ou sur une insuffisance de preuves, dit qu’il n’y a pas lieu de suivre la procédure tendant à faire comparaître l’inculpé devant une juridiction de jugement.»
Les honorables juges qui ont eu à statuer sur cette affaire n’ont pas dû considérer comme des charges suffisantes les vidéos et photos donnant une image précise de cet horrible assassinat et qui montrent un homme de dos, face au sol, à moitié dénudé, cherchant à protéger sa tête des jets de briques et de pierres qui le visaient après avoir eu des côtes cassées par des objets contondants comme le révélera, par la suite, l’autopsie dont le rapport précise que la mort est survenue suite à des coups et blessures ainsi qu’à plusieurs traumatismes.
D’où le non-lieu dont ont bénéficié les présumés assassins certainement pour «insuffisance de preuves». Des charges suffisantes ont été, cependant, trouvées pour condamner à la prison ferme leurs adversaires impliqués dans la même affaire !
Ainsi, la justice, souveraine, nous dit : «Circulez, il n’y a rien à voir !»
Un meurtre s’est déroulé publiquement, au vu et au su de tout le monde, photos et rapports médicaux à l’appui et voilà qu’une cour de justice déclare qu’il n’y a pas lieu de poursuivre les inculpés dont deux au moins sont clairement accusés de meurtre avec préméditation !
Un meurtre sur la voie publique resté impuni
Quels sont les auteurs des traumatismes qui ont provoqué la mort de la victime? Qui doit répondre de ce crime puisqu’il ne s’agit pas d’une mort naturelle? Le rapport d’autopsie ne devrait-il pas inciter les juges à ce que les coupables soient sanctionnés? Une mort donnée sur la voie publique en présence de plusieurs témoins peut-elle restée impunie?
Quelle signification donner à cette décision de justice sinon que l’impunité est accordée aux fauteurs de troubles qui nous ont empoisonné la vie durant le bienheureux règne de la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par les islamistes, en 2012 et 2013, et alors que Ali Larayedh était aux commandes du ministère de l’Intérieur et Noureddine Bhiri à celui de la Justice !
Faut-il rappeler que le lynchage de feu Lotfi Nagdh fut suivi, trois mois à peine après, par le meurtre du dirigeant de gauche Chokri Belaïd et, quelques mois plus tard, par celui du député de gauche Mohamed Brahmi?
Aussi, dans un article, intitulé ‘‘Le temps des assassins est-il déjà arrivé ?’’, paru dans Kapitalis, le 22 octobre 2012, écrivais-je à propos du premier lâche assassinat politique que nous avons connu après le 14 janvier 2011 :
«Il ne présage, hélas, rien de bon quant à la poursuite de la deuxième phase de la transition démocratique et annonce, par contre, que le temps des assassins est arrivé. Il constitue aussi, sans doute, les prémices d’une fascisation de la vie politique dans notre pays. Quand des groupes de citoyens, sans considération du préjudice qu’ils causent tant aux institutions de l’État qu’à la paix civile, s’érigent en justiciers et s’attaquent, en toute impunité, aux personnes et aux biens d’autrui sous prétexte de procéder à une soi-disant ‘‘épuration’’ de l’administration locale d’éléments étiquetés antirévolutionnaires, ils se comportent manifestement comme une organisation fasciste.
«Quand le porte-parole du Ministère de l’Intérieur essaie de camoufler la vérité aux citoyens et présente un meurtre collectif suite aux violences subies par la victime comme une simple mort par « crise cardiaque », il y a là de la part d’une voix autorisée de l’État un soutien implicite et déguisé apporté aux agresseurs et une dérive incontestablement fasciste.
«Quand un responsable politique comme M. Ghannouchi déclare que ‘‘Nidaa Tounès est plus dangereux que les salafistes’’, il donne, en quelque sorte, qu’il le veuille ou non, un permis de tuer à ses partisans et se comporte comme le chef d’un parti fasciste.
«Quand le Ministre de l’Intérieur reproche aux partis de l’opposition de pratiquer la surenchère et d’enflammer les esprits par des propos non mesurés, minimise, dans une déclaration au quotidien ‘‘Le Maghreb’’ (19/10/2012), ce meurtre et qu’il le considère accidentel comme il en arrive, selon lui, suite à des altercations sur la voie publique, il couvre, en réalité, les meurtriers d’un paisible père de six jeunes enfants et se rend, consciemment ou inconsciemment, complice des membres de milices fascistes. […].
«Bref, quand dans un pays des milices partisanes se substituent aux forces de l’ordre, passent publiquement à l’acte, terrorisent la population, se considèrent au-dessus des lois, jouissent de l’impunité, sont assurées du laxisme, voire de la complaisance, pour ne pas dire de la complicité de la classe politique au pouvoir, c’est que le temps des assassins est arrivé ! C’est la preuve également que la menace du désordre fasciste est devenue plus palpable et prégnante. C’est, enfin, la manifestation du mirage dans lequel s’est malheureusement dissous le rêve conçu un certain 14 janvier après la chute de la dictature. Faudrait-il attendre donc d’autres meurtres pour mettre hors d’état de nuire ces dangereux groupuscules et les décréter hors-la-loi afin que le rêve d’une Tunisie moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique ne se métamorphose pas définitivement en un cauchemar peuplé d’étranges hordes vociférantes à l’image des célèbres sections d’assaut des chemises brunes nazies?»
Quand la justice sommeille, les assassins dansent
Le non-lieu prononcé avant-hier soir vient donc remuer de tristes souvenirs, poser des questions gênantes quant à l’indépendance et l’impartialité de la justice et est lourd de terribles conséquences facilement prévisibles, hélas ! Il risque fort, en effet, d’annoncer un retour au temps des assassins – assassins encouragés par l’impunité dont ils peuvent bénéficier grâce à la mansuétude de certains de nos juges !
Quand la justice sommeille, les assassins dansent ! Et ceux de Bélaid et de Brahmi jubilent !
À quand le réveil de nos juges?
Et dire que l’ancien président et fondateur de Nidaa Tounès, et l’actuel président de la république Béji Caïd Essebsi, lors de sa campagne pour les présidentielles, avait entouré de toute sa sollicitude la veuve du martyr de Tataouine ainsi que ses six orphelins et leur avait promis aide et réconfort !
C’était là le comportement d’un candidat avant l’alliance stratégique passée entre Nidaa Tounès et Ennahdha !
* Universitaire.
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