L’affaire du meurtre, jeudi dernier, de Mohamed Zouari, devant chez lui, à Sfax, continue d’être enveloppée d’un épais mystère. Crime de grand banditisme ou assassinat politique ?
Par Imed Bahri
Le juge d’instruction au parquet de Sfax, chargé de l’affaire, continue d’affirmer qu’aucun élément ne permet d’affirmer que les tueurs sont des agents du Mossad, le service de renseignement israélien. Ceux qui avancent cette piste expliquent que la victime était membre de l’aile militaire du Hamas, le mouvement islamiste palestinien et qu’en tant que logisticien de ce mouvement, en charge notamment de concevoir les drones utilisés par ses combattants pour identifier des cibles sur les territoires occupés par Israël, il était dans le collimateur de l’Etat hébreu.
Les relations entre le Hamas et feu Mohamed Zouari, présenté comme un ingénieur spécialisé en aéronautique, ne font aucun doute et sont confirmées par des sources proches du parti islamiste tunisien Ennahdha, dont il était sinon un membre sinon très proche. Mais de là à conclure qu’il a été tué par des agents du Mossad, il y a un pas que les enquêteurs tunisiens se gardent pour le moment de faire, même si la thèse semble très plausible.
Les personnes arrêtées ignoraient tout du projet de meurtre
En ce qui concerne l’enquête, dont beaucoup d’éléments filtrent dans les médias, sans être nécessairement confirmés, on parle de 8 suspects arrêtés : le propriétaire d’une agence de location de voitures, dont deux des véhicules ont servi aux tueurs (car ils étaient plusieurs, si l’on en juge par la vingtaine de douilles de balles trouvées dans et autour de la voiture de la victime), une femme se présentant comme journaliste et qui aurait interviewé Mohamed Zouari, chez lui, deux jours avant le meurtre, deux personnes, un journaliste et un cameraman, qui l’ont accompagnée lors de cet entretien, et deux ou trois autres individus qui ont été utilisés pour conduire les deux voitures de Tunis à Sfax.
Un autre suspect, un ressortissant belge d’origine marocaine, qui serait l’instigateur du meurtre (c’est lui, notamment, qui a chargé la journaliste d’interviewer Mohamed Zouari et de louer les 2 voitures qui servirent aux meurtriers), est toujours en fuite. Selon les enquêteurs, la police technique a réalisé son portrait-robot, mais elle ne l’a pas encore été diffusé, sans doute pour des raisons liées à l’enquête.
Les tenants de la piste du meurtre perpétré par le Mossad estiment que tous ces gens sont impliqués indirectement dans le meurtre et qu’ils ont été utilisés à leur insu par des agents du service de renseignement israélien. Ce qui est très plausible, d’autant que, selon des sources proches de l’enquête, la plupart des personnes arrêtées ignoraient tout du projet de meurtre.
Le fait qu’aucune source israélienne n’a revendiqué le meurtre n’affaiblit pas cette thèse, car le Mossad a rarement revendiqué les meurtres qu’il commet aux quatre coins du monde contre des cibles palestiniennes ou pro-palestiniennes. On apprend, généralement, son implication directe dans les meurtres, quelques décennies plus tard, à la faveur d’une enquête historique ou de révélations très tardives d’un témoin.
On peut avancer une thèse assez plausible : les véritables tueurs de Mohamed Zouari sont des professionnels du meurtre, probablement des agents israéliens, qui seraient entrés clandestinement en Tunisie ou sous de fausses identités. Ils auraient été aidés, en sous-main, sur le plan logistique, par des agents sur place, de sorte qu’ils puissent être exfiltrés rapidement, peut-être par voie maritime. C’est ce qui explique que les enquêteurs aient arrêté, le jour même du meurtre, avant de les relâcher, des ressortissants russes dont le bateau était arrimé au large de Sfax, à quelques dizaines de kilomètres du lieu du crime.
Cette thèse, qui rappelle un autre meurtre, commis par le Mossad en Tunisie, celui d’Abou Jihad, à Sidi Bou Saïd, le 16 avril 1988, les autorités tunisiennes l’écartent pour le moment. Pour deux raisons. La première est qu’aucun indice matériel ne permet pour le moment de la confirmer. Et la seconde est que si elle venait à être confirmée, elle prouverait l’existence de failles béantes dans le système sécuritaire national et confirmerait la thèse, défendue par certains analystes, que le pays est devenu un véritable paradis pour les services de renseignement internationaux.
Une grande faille dans le système sécuritaire
Le fait que ce meurtre ait eu lieu le jour même de la démission, pour une autre raison, du directeur général de la sûreté nationale, Abderrahmane Haj Ali, n’arrange guère les choses.
Sur un autre plan, le parti islamiste Ennahdha s’est contenté d’un communiqué laconique où il dénonce le meurtre et demande que lumière soit faire sur le crime, ce qui traduit une grande gêne. Car la victime est (ou était) un membre dirigeant d’Ennahdha. Il a milité en son sein à la fin des années 1990, avant de quitter la Tunisie pour la Libye, le Soudan, la Syrie et le Liban, où il a passé une longue période d’exil, avant de rentrer en Tunisie, au lendemain de la révolution de janvier 2011 et de bénéficier de l’amnistie générale, proclamée en mars de la même année. Ses relations avec le Hamas, son aile militaire et ses artificiers étaient sans doute connues des dirigeants du parti islamiste tunisien. Le fait qu’il ait continué à exercer son hobby, en Tunisie, à travers un soi-disant club d’aéronautique, suscite, tout de même, des interrogations et quelques inquiétudes.
Quoi qu’il en soit, et sans préjuger de la suite de l’enquête ou de l’implication ou pas du Mossad israélien dans cette affaire, le meurtre de Mohamed Zouari devrait donner à réfléchir sur les failles du système de sécurité tunisien, qui ont rendu possible ce meurtre, dans les conditions mystérieuses où il a été perpétré.
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