C’est pathétique et désespérant : face à la montée des tensions sociales, des hommes politiques tunisiens se croient obligés de prendre la défense de… la contrebande.
Par Imed Bahri
La lutte contre la contrebande, qui alimente le commerce parallèle et nuit dangereusement à l’économie nationale, est, jusqu’à preuve du contraire, l’une des priorités des différents gouvernements tunisiens qui se sont succédé depuis la révolution de janvier 2011 en Tunisie.
Le problème, c’est qu’en six ans, on n’a pas réussi à limiter ce phénomène, dont on a longtemps souligné, à juste titre et au plus haut niveau de l’Etat, les liens organiques avec un autre phénomène tout aussi dangereux, le terrorisme.
On a, d’ailleurs, démontré, à plus d’une reprise, que les réseaux de contrebande et ceux du terrorisme, notamment dans les zones frontalières avec la Libye et à un moindre degré l’Algérie, travaillent ensemble, main dans la main, pour tromper la vigilance des autorités sécuritaires.
Le nombre important de caches d’armes découvertes au cours des dernières années, notamment à Ben Guerdane, sur la frontière tunisienne avec la Libye, et l’arrestation de nombreux contrebandiers liés aux groupes terroristes (ou ayant la double casquette de contrebandier et de terroriste) ont permis aux enquêteurs d’établir la preuve irréfutable et définitive que la contrebande et le terrorisme sont, souvent, les deux faces d’une même monnaie.
Or, ne voilà-t-il pas que la montée des tensions sociales à Ben Guerdane, suite aux restrictions imposées par les autorités libyennes au trafic des contrebandiers tunisiens, du côté libyen du poste frontalier de Ras Jedir, a poussé certains hommes politiques à remettre en question la lutte contre la contrebande qui, dans un revirement pour le moins inattendu, a cessé d’être une priorité nationale.
Parmi ces dirigeants, qui se bousculent depuis quelques jours sur les plateaux de télévision pour faire étalage de leur populisme hypocrite et opportuniste, le député d’Ennahdha, Samir Dilou, qui a déclaré, vendredi matin, dans une intervention sur la radio Cap FM, que «toute tentative pour mettre fin à la contrebande à Ben Guerdane équivaut à une tentative pour mettre fin à la vie» (sic !).
A l’appui de son affirmation, le député islamiste explique que le gouvernement n’a pas tenu ses promesses de garantir le développement des régions défavorisées et de proposer des alternatives économiques viables à la contrebande, activité faisant vivre des dizaines de milliers de familles dans ces régions, et que, par conséquent, il ne peut se permettre, pour le moment, de lutter contre ce fléau.
Forçant un peu le trait, comme savent souvent le faire les islamistes, grands démagogues devant Allah, M. Dilou a cru pouvoir ajouter : «Quand un affamé vole, c’est la main du gouverneur qui doit être coupée», appelant ainsi, indirectement, soit dit en passant, à appliquer une règle chère aux partisans de l’application de la charia : couper la main du voleur.
Cette déclaration de M. Dilou appelle au moins une question : Ennahdha, au pouvoir depuis janvier 2012 et qui n’a jamais vraiment quitté le gouvernement, où il est toujours d’ailleurs bien représenté, fait-il partie du pouvoir ou campe-t-il désormais dans l’opposition? Car, à entendre les déclarations de ses dirigeants, on en perd souvent le nord et, surtout, le sud.
Si Ennahdha est dans le gouvernement, ses dirigeants nous doivent, non pas des postures populistes à la Front populaire, mais une bonne autocritique, car, en six ans, les islamistes avaient eu deux chefs de gouvernement, Hamadi Jebali et Ali Larayedh, et un nombre incalculable de ministres, qu’est-ce qui les a empêchés de faire quelque chose pour améliorer la vie des habitants dans les zones frontalières défavorisées ?
Par ailleurs, ils sont signataires du Document de Carthage, qui fixe les priorités du gouvernement d’union nationale où ils dirigent des ministères économiques importants (Emploi, Industrie, Commerce, TIC…), et parmi ces priorités, la lutte contre a contrebande occupe l’une des premières places, n’ont-ils pas honte de venir aujourd’hui appeler à mettre fin aux mesures prises pour lutter contre ce fléau et à comprendre les revendications des contrebandiers ?
C’est pathétique et désespérant, écrivions-nous plus haut…
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