Les médecins, plongés dans des affaires d’erreurs médicales non prouvées, estiment être diabolisés par la justice et les médias et entendent se défendre.
Par Dr Mounir Hanablia *
Une assemblée générale extraordinaire s’est tenue, dimanche, sous l’égide de l’Union des syndicats des spécialistes libéraux (USSL) et en présence des représentants des syndicats hospitaliers, et de ceux des dentistes.
Prévu à l’origine pour aborder la loi de finances 2017, l’ordre du jour en a été bouleversé suite à l’arrestation de deux médecins, l’un, médecin anesthésiste réanimateur à Gabès et l’autre, résidente en obstétrique dans un hôpital public de Sousse.
Fait notable, ces deux arrestations ont été prononcées par les juges d’instruction, au cours de la phase préliminaire de l’enquête, alors que les culpabilités des inculpés n’avaient nullement été établies.
Dans le premier cas il s’agissait d’une erreur de transfusion sanguine, sur un patient transféré de l’hôpital public vers une clinique privée, ayant bénéficié d’une chirurgie orthopédique, où la responsabilité de la banque du sang dans la délivrance d’un groupage sanguin erroné a été formellement établie; le patient est décédé 4 jours après la transfusion.
Dans le second cas, il s’agissait d’une césarienne de sauvetage, au cours de laquelle la mère a été sauvée, mais le fœtus âgé de 6 mois, était déjà décédé.
Toujours est-il que ces deux affaires démontrent une nouvelle attitude dure de l’instruction judiciaire à l’encontre des médecins dans sa manière d’aborder les décès survenant au cours ou dans les suites de procédures médicales, quelle qu’en soit la cause. Cette attitude est-elle pour autant justifiée?
Le médecin n’est ni un bandit, ni un terroriste
A priori tout accusé étant innocent jusqu’à ce que sa culpabilité eût été établie, les juges d’instruction ne se sont pas montrés très respectueux de l’habeas corpus; le médecin n’étant ni un bandit, ni un terroriste, dont la mise en liberté eût pu menacer l’ordre public , ni un trafiquant de drogue susceptible de franchir les frontières comme un oiseau, il n’y a à priori aucune raison de lui imposer l’emprisonnement pour les besoins de l’enquête, d’autant moins que la preuve de sa culpabilité n’a été nullement établie.
Et dans le cas d’espèce, si le décès d’un patient expose toujours la justice à une pression de la famille, d’autant plus importante lorsque celle-ci comprend des fonctionnaires chargés de l’application de la loi, ou de la sécurité publique, le juge d’instruction opérant au sein d’une justice indépendante doit savoir conserver la sérénité nécessaire pour éviter de satisfaire le désir naturel de vengeance des proches des victimes, pour qui naturellement la responsabilité incombe toujours aux médecins.
Le ministre de la Justice, alerté sur la gravité de la situation, aurait répondu qu’il n’était nullement en son pouvoir d’intervenir, par souci du nécessaire respect de l’institution judiciaire. Une réponse évidemment éminemment politique puisque mis à part quelques pays, les nominations à la procurature de la république et à la justice d’instruction partout dans le monde dépendent le plus souvent du ministère de tutelle. Pourtant prétendre que la justice se fût montrée indépendante en prenant la décision d’écrouer les deux médecins serait trop dire.
Pour ce qui est de la résidente de Sousse, une médecin encore en formation, c’est le chef de service et le sénior de garde qui demeurent pénalement responsables, et pourtant, le juge d’instruction a prononcé son incarcération à trois heures du matin, alors que, selon la représentante du syndicat hospitalo-universitaire, aucune faute n’aurait pu lui être imputée.
La résidente faisant partie de la fonction publique, et les faits reprochés ayant trait à l’exercice du service, et ne pouvant en être détachés, c’est aussi le devoir de l’autorité de tutelle de prendre la défense de son agent. Seulement le ministère de la Santé publique ne semble désormais plus désireux d’assumer les prérogatives inhérentes à ses fonctions, et ce pour des raisons probablement politiques; on risquerait de lui reprocher son immixtion dans le fonctionnement de la justice, ce que tout ministre désire par dessus tout éviter, surtout quand il appartient à un parti politique membre d’une majorité gouvernementale.
Durcissement soudain vis-à-vis du corps médical
Mais si on comparait ce durcissement soudain vis-à-vis du corps médical dans les deux cas précités, par rapport à la complaisance étonnante dont les accusés ont bénéficié dans l’affaire des stents périmés, beaucoup de questions se poseraient relativement au fonctionnement rationnel et serein de la justice.
L’incarcération de Sousse demeure incompréhensible, tout comme l’a été celle du médecin de Gabès, transféré… à la prison de Kebili et qui, selon les dernières nouvelles, aurait fait, au cours de son incarcération, un malaise cardiaque.
Evidemment, cet état des choses a servi, peut dans une certaine mesure, à juste titre, au Syndicat des médecins spécialistes (SMS), à soulever la question du dénigrement systématique dont la profession est la victime, en particulier de la part des médias; on a parlé de campagnes de calomnies qui finiraient inévitablement par influer sur l’attitude du public, mais aussi des juges, et on a évoqué des mensonges rapportant des faits macabres, relayés au cours de débats télévisés, comme par exemple pour l’affaire de Sousse, le dépôt du fœtus retiré vivant et déposé dans le frigidaire. Des informations qui ont été démenties avec la plus grande énergie par la corporation médicale, pour qui ses relations avec les médias seraient radicalement changées dans un proche avenir dans un sens juridique, sinon judiciaire.
D’autres décisions sont en passe d’être prises, en particulier le soutien juridique systématiquement accordé aux membres de la corporation en butte à des poursuites judiciaires pour leur éviter des incarcérations abusives.
La riposte s’organise
Pour en revenir à la loi des finances 2017, qui il ne faut pas oublier, fait encourir la prison aux médecins qui ne s’acquitteraient pas de leurs impôts, le Syndicat s’en est tenu à sa demande initiale, celle de la suppression de la TVA , qui a certes très peu de chance d’être satisfaite, mais les médecins ont évoqué la nécessité de la percevoir désormais directement auprès des malades.
Mais d’autres décisions importantes et lourdes de conséquence sont en passe d’être prises. La première concerne le rôle dévolu par la loi de finances aux cliniques, afin de prélever 15% des honoraires à la source pour chaque acte médical, et envoyer tous les six mois à l’administration fiscale la liste détaillée des actes médicaux ou chirurgicaux de chaque médecin; un rôle bien entendu que la corporation récuse puisqu’elle perdra son indépendance et deviendra tributaire pour récupérer ses honoraires de la bonne volonté sinon de la bonne foi des cliniques. Les médecins libéraux percevront donc leurs honoraires directement auprès de leurs patients sans passer par les services financiers des cliniques.
La deuxième conséquence est due aux retards apportés par la Cnam, jusqu’à 8 mois, pour rembourser les actes; les médecins envisagent de s’en déconventionner purement et simplement.
La troisième décision découle de la précédente, le déconventionnement de la Cnam sera accompagné d’un surenchérissement sur les honoraires médicaux décidé par l’Ordre des médecins, de pas moins de 50% afin de couvrir les hausses d’impôts exceptionnelles décidées par la loi de finances.
Des décisions dont naturellement la population, déjà durement éprouvée par la crise économique, fera les frais. Mais le corps médical dans son ensemble, il faut le souligner, autant hospitalier que libéral, refuse désormais à juste titre d’être diabolisé, criminalisé, de subir injustement les foudres de la justice, et a finalement décidé de prendre toutes les mesures qu’il jugera nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts autant moraux que matériels.
Last but not least, une grève générale des cabinets médicaux et des actes non urgents dans les cliniques, a été décidée, le mercredi 8 février, avec un sit-in prévu devant la présidence du gouvernement, afin de lui présenter l’ensemble des revendications professionnelles, et en premier lieu la libération des collègues détenus. Une affaire qui ne fait que commencer…
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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