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Et si Chahed taillait dans son gouvernement pléthorique ?

A quoi servent tous ces ministres, sinon qu’à alourdir une administration publique déjà paralysée?  

A l’instar de celui de la Fonction publique, qui vient d’être supprimé aussitôt créé, beaucoup de ministères, en Tunisie, ne servent à rien.

Par Yassine Essid

Youssef Chahed vient d’inaugurer, «à l’insu de son plein gré», une nouvelle méthode de gouvernement. Il vient en effet de prouver qu’aucun ministère n’est indispensable à la marche régulière des affaires publiques.

Au départ, un dirigeant syndicaliste promu au rang de ministre de la république. Deux profils rarement compatibles. Au bout de six mois, Abid Briki renonce à lutter contre des moulins à vents. Il s’avoue vaincu devant les difficultés réelles de gestion d’un lourd portefeuille à travers lequel il croyait pouvoir s’engager dans la lutte pour la raison contre la logique, la vérité contre le mensonge, la justice contre l’arbitraire. Qu’il chercherait à mettre fin à la richesse imméritée et promouvoir le profit raisonnable pour chacun, démolir les cloisons de l’égoïsme pour élever à la place la poursuite de l’intérêt commun. Il rêvait d’achever l’œuvre de sa vie : remplacer l’indifférence par l’entraide mutuelle tout en rendant effectif dans les rangs des agents publics notoirement fainéants et inefficaces l’anathème prononcé contre le genre humain : «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front».

L’inépuisable réserve familiale

Bref, il pensait pouvoir accomplir à lui tout seul, et au mépris de ses convictions les plus intimes, l’établissement d’un ordre social nouveau et moderne dans lequel une rationalité normative valorisant l’individualisme utilitaire (privatisation, suppression drastique du nombre des fonctionnaires, désengagement de l’Etat de nombreux secteurs, etc.) et soucieuse de corrections par des techniques de management viendrait corriger les ratés de l’action publique traditionnelle de l’Etat Keynésien.

C’en était trop pour un seul homme jeté dans la fosse aux lions, lassé d’affronter des adversaires intelligents, des opposants rapides et précis, des ennemis résistants. Il menaça de partir mais à sa grande surprise fut congédié manu militari.

Pour lui trouver un remplaçant, Béji Caïd Essebsi, succombant à sa volonté politique acharnée d’avantager en priorité parents et accointances, est allé puiser dans la réserve familiale qui, comme nous les savons tous, regorge de talents.

C’est donc sur le conseil de son gendre et médecin personnel, car quand il s’agit de votre santé vous ne pouvez pas la confier à n’importe qui, qu’il nomma le neveu de celui-ci: Khalil Ghariani, membre exécutif de l’Utica, l’antithèse même du syndicaliste agité et remonté en permanence, défenseur de la veuve et de l’orphelin, obsédé à faire aboutir les revendications sur l’emploi les régimes et les conditions de travail.

Mais cette nomination, rendue publique avec célérité, sera aussitôt déclinée par l’heureux récipiendaire qui refuse un poste que des centaines d’élus et de dirigeants de partis politiques convoitent pourtant âprement.

Peu importe si M. Ghariani avait fait preuve de lucidité ou s’il a été victime d’un affreux marchandage de l’UGTT. Le fait est qu’aucun remplaçant n’a été sollicité puisque le ministère de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption a été tout simplement supprimé ! Une initiative dont, j’en suis sûr, le Premier ministre n’est pas encore en mesure d’en évaluer la véritable portée. Car au-delà des querelles de personnes, supprimer un ministère est une initiative qui ouvre des horizons nouveaux et constitue à la limite un modèle de bonne gouvernance et de sage économie.

Rien n’empêche, en effet, au nom des raisons invoquées, de dissoudre bien d’autres ministères et de donner congé à leurs titulaires. Si l’on excepte les monopoles régaliens, nécessaires pour que l’Etat continue d’assumer ses missions fondamentales, le maintien d’autres ministères et des autorités qui sont à leur tête serait de l’ordre du superfétatoire d’autant plus que dans ce pays, le droit de prétendre à occuper les emplois publics que l’on est capable de remplir, en n’ayant d’autre concurrence que celle du mérite, n’a presque jamais été respecté.

Des ministères devenus des usines à gaz

Ainsi, la disparition d’un certain nombre de départements ne constituerait nullement une entrave à la marche du gouvernement dans le respect des lois organiques qui déterminent son mode d’existence. Tout le contraire !

Alors que le monde a changé complètement, notre approche de la culture est restée antédiluvienne. Pourtant notre mode de vie a subi des transformations majeures dans tous les domaines de la production intellectuelle et culturelle : éditions imprimées et numérisées, développement des médias et de l’audiovisuel extérieur, croissance exponentielle de l’accès à l’internet, productions artistiques, cinématographiques et télévisuelles, publicité, les jeux vidéos, jusqu’au goût et aux choix du public.

Autant de formes d’expression que nous ne maîtrisons pas mais qui ont pris une importance croissante dans le rayonnement de la culture occidentale, de ses langues et de ses valeurs, que nous subissons et que nous recherchons avec empressement.
Pendant ce temps, l’apprentissage des langues étrangères, véhicule majeur de l’épanouissement de l’esprit, reconnu comme un atout dans la vie économique, à l’accès au marché et à l’emploi, manque à l’appel et les réformes des systèmes d’enseignement ne lui reconnaissent aucune utilité. De plus, par manque de courage et d’imagination, la nature de la gestion de la politique culturelle en Tunisie est restée figée, administrée par un organigramme à tiroirs, désuet, vieux de quelques décennies.

La même ignorance des véritables enjeux et des mutations qu’entraînent la globalisation des échanges et le développement des moyens de transport, frappe chaque jour davantage et de plein fouet l’activité touristique. Pourtant, celle-ci est encore pensée comme une variable indépendante des difficultés structurelles majeures, du délabrement matériel et moral généralisé du pays et de son insécurité.

Alors que la contribution du tourisme à l’emploi, au revenu national et à la balance des paiements est de plus en plus insignifiante, on continue à échafauder des plans et à lancer de coûteuses campagnes de promotion qui ne rapportent rien.

Autant supprimer carrément un ministère devenu une usine à gaz pour en confier la gestion aux opérateurs privés sous la supervision d’un commissaire choisi parmi le bataillon de conseillers bien intentionnés qui entourent le Premier ministre d’un Etat en perdition.

Pour un grand ministère du temps libre

On peut énumérer à l’envi bien d’autres ministères qui ne sont plus nécessaires. Celui de la Coopération internationale en est un. D’ailleurs son actuel titulaire, grand manitou de l’investissement étranger, vient de reconnaître publiquement que la contribution européenne s’est avérée bien en-deçà des promesses du grand rassemblement des décideurs du monde en novembre 2016. Son activité sera, là aussi, confiée à l’entourage bureaucratique par trop complaisant du chef de gouvernement.

D’autres extravagances ne résistent plus à la réalité. Tel ce ministère des Relations avec le parlement, un aréopage sans compétence ni intégrité, cousu de pièces et de morceaux.

Autre absurdité révoltante, ce département ministériel qui s’occupe des Affaires religieuses comme si l’on voulait démontrer par là que toute la puissance vient de dieu par l’organe de son ministre.

Le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance est une autre incongruité qui ne sert qu’à prouver que l’égalité et la parité réelle homme-femme n’est pas encore tout à fait assurée. Dans ce cas pourquoi pas un ministère de la patrie, du berceau et de la tombe, ou du passé et de l’avenir.

Enfin, l’administration des sports, une activité devenue une école d’incivisme, devrait relever plutôt des services de police si l’on en juge par le fanatisme et les violences du public des stades.

Tous ces ministères sont emblématiques de cette surabondance désordonnée qui vient contredire la volonté budgétaire ressassée comme une litanie sur l’inévitable réduction des dépenses publiques et les extravagances d’autres campagnes et d’autres mirifiques résolutions.

Pendant ce temps, on néglige l’institution d’un vrai ministère qui répondrait pourtant largement aux préoccupations quotidiennes d’un vrai gouvernement. On s’y occuperait d’encadrer les longues journées des centaines de milliers de chômeurs, l’oisiveté des bandes des jeunes désœuvrés qui traînent leur ennui dans les méandres des cités, le marasme des chers élèves en rupture de banc, la mélancolie des retraités, la tristesse des femmes seules, la solitude des amis des chiens et des chats. Bref, un grand ministère du temps libre !

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