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L’islamisation rampante menace les libertés en Tunisie

Un faisceau d’indices vont tous dans le sens d’une islamisation rampante et coordonnée de la société tunisienne, face à l’impuissance ou au laxisme complice de l’Etat.

Par Mohamed Ridha Bouguerra *

Sous la pression d’une foule hétéroclite où des fanatiques côtoyaient de gros bras de la mafia locale, les autorités viennent de céder et d’ordonner la fermeture du point de vente de boissons alcoolisées d’un grand magasin distant de près de cinq kilomètres d’El-Jem.

Un imam à Msaken se met, à son tour, à réclamer l’interdiction de la vente d’alcool dans sa bonne ville avec l’espoir d’étendre cette interdiction à tout le pays afin de mettre, de gré ou de force, tous les citoyens en conformité avec de prétendues prescriptions coraniques, selon la gent fanatique et intolérante.

À Djerba, haut lieu touristique s’il en est, c’est un compatriote de confession juive qui a été la cible de l’ire des barbus qui ont fait le siège de son restaurant en plein centre ville à Houmet-Souk sous prétexte qu’on y sert de l’alcool.

Nejib Khalfallah

Néjib Khalfallah agressé à cause du titre d’une pièce de théâtre.

Un chorégraphe et metteur en scène, Néjib Khalfallah, a été, récemment, sauvagement agressé par trois individus armés de barres de fer. Il est important de noter que l’artiste, dont la dernière production a été présentée, dernièrement au 4e Art, a reçu de la part d’un certain imam et par huissier-notaire, svp, une injonction afin que soit retiré le titre en arabe, jugé blasphématoire, de cette pièce. Il n’est pas interdit de penser que l’avertissement sans frais n’a pas tardé à être suivi d’une «correction» selon les règles comme l’entendent certains fanatiques qui semblent assurés de l’impunité puisque leur diktat ne souffre aucune discussion.

Une discothèque a été condamnée à la fermeture à Hammamet car l’appel à la prière a été mixé et intégré à un morceau de musique.

Un projet de loi présenté à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et relatif aux jardins d’enfants a rencontré une opposition farouche de la part des représentants du parti Ennahdha qui ont fini par obtenir gain de cause en inscrivant dans ce projet de loi «l’enracinement de l’identité arabo-musulmane», en lieu et place de l’apprentissage de l’ouverture sur le monde, comme une des tâches dévolues à ce genre d’établissements éducatifs.

Un imam a posté sur sa page Facebook que le passage devant une autorité religieuse reste de rigueur et que cela ne souffre aucune dérogation pour tout non musulman candidat au mariage avec une tunisienne. Cette prise de position est une réponse à la campagne initiée par des membres d’organisations féminines afin de lever toutes restrictions à ce genre d’union pour mettre la Tunisie en conformité avec des accords déjà signés en ce sens et garantir la liberté du mariage ainsi que l’égalité entre l’homme et la femme reconnues par la Constitution.

Islamistes Djerba

Des islamistes veulent fermer un restaurant servant du vin à Djerba. 

Une islamisation rampante et coordonnée

C’est tout? Non, car en matière d’absurdités, nous venons de franchir un pas qu’aucun pays ne nous enviera, certainement, dans la mesure où l’université tunisienne s’est récemment illustrée d’une manière qui ne lui vaudra, et pour longtemps, que risées et sarcasmes bien mérités, hélas!

Il vient de se passer dans une université de notre pays quelque chose de si ahurissant que de nombreux lecteurs ont pris, de prime abord, la nouvelle dont il va être question, pour un poisson d’avril!

Une doctorante, dirigée par un professeur tunisien, a rédigé, en vue de l’obtention du titre de docteur ès sciences, une thèse dans laquelle elle prétend avoir infirmé tout le savoir sur lequel a été bâti depuis des siècles l’astronomie moderne et la thèse de l’héliocentrisme de Galilée, Kepler et Einstein, entre autres, excusez du peu, savoir séculaire selon lequel c’est la Terre qui tourne autour du Soleil et non l’inverse. S’appuyant sur des versets du Coran, notre scientifique en herbe affirme, entre autres «découvertes» que les astres et autres étoiles qui peuplent l’Univers ne servent qu’à lapider les démons qui cherchent à dénaturer la parole divine. Si, si, vous avez bien lu et je n’invente rien.

Il faudrait préciser que l’Université tunisienne stipule qu’un sujet de thèse n’est officiellement inscrit qu’après acceptation par un professeur habilité à diriger des thèses et après examen et accord du président et des membres de la commission des thèses. Cette procédure académique a-t-elle été scrupuleusement suivie et respectée?

Pris un par un, les faits énumérés ci-dessus peuvent juste provoquer l’indignation ou l’indifférence amusée selon les tempéraments mais, pris ensemble, on ne peut nier qu’ils constituent tout un faisceau d’indices qui vont tous dans le sens d’une islamisation rampante et coordonnée de la société tunisienne. Que cela plaise ou non !

 Daw J

Dax J, le DJ britannique condamné à un an de prison à Hammamet à cause d’un mix.

L’Etat incapable de faire appliquer la loi

Aussi, et avant de nous en prendre aux barbus qui prétendent faire la loi dans le pays en attendant de conquérir bientôt le pouvoir, c’est vers les autorités publiques et civiles actuellement en place que l’on devrait, d’abord, nous tourner et demander des comptes.

Nous devrions, en effet, exiger des explications concernant l’application de la loi et le nécessaire respect des règlements en vigueur dans tous les domaines, académiques et autres. C’est à ce prix et à ce prix seulement qu’un État digne de ce nom mérite le respect et que la paix civile s’impose à tous.

Pourquoi, par exemple, force ne devrait-elle pas rester à la loi à partir du moment où un débit d’alcool a reçu les autorisations légales afin d’exercer, au grand jour, ses activités commerciales dûment patentées? Si l’on cède aux fauteurs de trouble à El-Jem comment résister à ceux qui transgressent la loi à Msaken ou ailleurs? Et après El-Jem et Msaken à qui le tour? Car ce qui a «réussi» dans ces deux localités, pourquoi ne sera-t-il pas bientôt réédité à Gafsa ou au Kef, à simple titre d’exemples, pour ne prendre que des villes qui ont vécu des événements similaires en 2013 ou 2014, si mes souvenirs sont bons ?

Il ne s’agit pas ici d’un appel au retour de la dictature honnie dont nous nous sommes si bien débarrassés. Il s’agit, simplement, du respect des lois, de la préservation de la paix civile et, partant, de la pérennité de l’État.

Sans avoir à évoquer le soi-disant et si galvaudé prestige de l’État dont la restauration était la plus sérieuse promesse de certains hommes politiques durant la campagne électorale de 2014 et qui sont aujourd’hui aux commandes du pays, comment ne pas voir devant les reculades de l’exécutif de mauvais exemples et des encouragements donnés à tous ceux qui cherchent à mettre l’État à genoux?

Il importe peu finalement ici que les menées destinées à ébranler les assises de l’État aient des visées politiques et idéologiques, disons-le, religieuses, ou bien qu’elles soient clairement l’œuvre de cercles mafieux de plus en plus puissants au point de gangrener les milieux mêmes du pouvoir, prétendent des voix de plus en plus nombreuses.
Ce qui est, hélas, certain, c’est que la conjonction de ces acteurs politico-mafieux et dont l’action s’étale, impunément et de plus en plus au grand jour, risque fort de nous conduire lentement mais sûrement vers une inéluctable somalisation qui gangrènera tant notre vie politique que celle de tous les jours, avec les mille et un dangers qui en découleront pour tout un chacun.

El-Jem

El-Jem: des intégristes manifestent et font fermer un débit de vente d’alcool.

Nidaa et Ennahdha au service des hors-la-loi

Et cela dans l’indifférence quasi totale des partis politiques dont fort rares sont ceux qui ont condamné les agissements délétères et délictueux, voire criminels, énumérés tout au long de cette chronique. Quand ils ne leur ont pas apporté une caution morale et, davantage encore, politique, comme à El-Jem où Nidaa Tounes et Ennahdha se sont félicités, par communiqués, de la fermeture du point de vente d’alcool contesté bien que les lois du pays aient été bel et bien bafouées en la circonstance.

Dans certaines situations, le silence n’est-il pas une forme évidente de complicité qui n’attend que l’occasion propice pour se manifester publiquement sans vergogne? Si, ni le pouvoir en place ni les partis politiques n’expriment haut et fort leur ferme condamnation chaque fois que la loi est transgressée, comment assurer la paix civile? D’où nous viendra le salut donc? C’est à la société civile, finalement, que revient la lourde charge de se substituer à des formations politiques défaillantes car totalement occupées par une politique politicienne chaque jour plus mesquine et plus déconnectée de la réalité.

Nul doute que le taux inusité de l’abstention lors des prochaines échéances électorales manifestera le discrédit qui frappe la classe politique dans son ensemble.

Mais, au fait, à qui profitera, finalement, l’abstentionnisme?

* Ancien professeur des universités, Docteur Honoris causa de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.

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