La frappe américaine contre la Syrie est un coup de maître du président Trump, mais elle ne change pas profondément la stratégie des Etats-Unis au Moyen-Orient.
Par Roland Lombardi *
Dans la nuit du 6 au 7 avril 2017, le président Trump ordonna, unilatéralement, sans mandat onusien et donc en complète violation du droit international, aux forces américaines de mener des représailles contre l’armée du régime syrien suite à une attaque neurotoxique sur des civils, survenue le mardi 4 avril, à Khan Cheikhoun, et faisant plus de 80 victimes.
Avec ces frappes américaines «surprises», beaucoup de ceux, en Europe et ailleurs, qui avaient salué la victoire de Trump l’iconoclaste, ont été déçus et lui reprochent à présent d’avoir trahi ses positions de 2013 lorsqu’il s’était alors opposé avec force à toute ingérence et intervention occidentale après la tragique et précédente attaque chimique de la Ghouta, ou plus récemment, il y a encore quelques jours, lorsqu’il avait déclaré qu’Assad n’était pas la priorité.
Pour ma part, au contraire, je trouve que le président américain tient encore une fois une de ses promesses de campagne.
En effet, en novembre 2016, lors de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine, j’avais rappelé que le sulfureux candidat avait promis qu’en politique étrangère, il serait «imprévisible». J’avais alors souligné qu’«(…) en relations internationales, c’est un immense avantage car vos interlocuteurs, même les plus durs, vous craignent et sont alors paralysés et donc plus enclins aux concessions».
La révélation du Commander in Chief
Ainsi, grâce à sa première action internationale d’envergure, Donald Trump démontre son imprévisibilité annoncée mais aussi une certaine efficacité.
Si le nouveau locataire de la Maison Blanche a été choqué, comme nous tous, par les images d’enfants inanimés ou de pauvres hères suffoquant après le raid chimique de mardi dernier, il n’en reste pas moins que l’ordre de son action militaire fut motivé par l’émotion, certes, mais une émotion parfaitement maîtrisée et somme toute très calculée.
Car avec ce triste événement, Trump a toutefois saisi une opportunité qui pouvait s’avérer être un formidable gain géopolitique, diplomatique mais aussi politique.
En décidant de lancer 59 missiles Tomahawk (600.000 dollars l’unité) sur la base d’Al-Chaayrate d’où aurait été lancée l’attaque chimique, le président américain fait d’abord un acte de politique intérieure.
Assurément, tout en faisant plaisir au complexe militaro-industriel américain (ce qui est toujours important aux Etats-Unis) et en se démarquant d’un Obama considéré comme un mou et un indécis, il fait aussi taire tous ceux, en interne, qui le traitaient de fou et d’incompétent.
En une nuit, en effet, Trump est devenu le Commander in Chief et a lavé tous les soupçons de connivence avec les Russes qui l’accablent depuis des mois. Les médias américains, très hostiles depuis le début de son mandat, mais aussi ses opposants démocrates et les faucons républicains comme Mc Cain et Graham, ont approuvé ces frappes en Syrie.
De plus, son opinion publique, dans sa quasi-totalité, le soutient désormais. Peut-être que ce nouveau contexte l’aidera donc à finaliser ses réformes si décriées jusqu’ici…
Sur le plan international, Trump a démontré, de manière spectaculaire, non pas qu’il reprenait la main au Moyen-Orient mais qu’il revenait dans le jeu et qu’il fallait dorénavant compter avec lui.
Notons que c’est lors de la visite du président chinois à Washington, qu’il a pris sa décision. De ce fait, il donne une image de fermeté et rappelle à tous, que les Etats-Unis peuvent encore frapper quand et où ils le souhaitent. On ne fait pas meilleur message adressé par exemple à la Corée du Nord ou encore à tous ceux qui croyaient à un effacement américain.
De leur côté, toutes les chancelleries occidentales ont salué l’initiative américaine. On l’a vu, et c’est assez cocasse, Trump est dorénavant en odeur de sainteté auprès de tous les anti-russes et anti-Assad primaires ainsi que tous les va-t-en-guerre (toujours avec les larmes et le sang des autres bien sûr).
Enfin, l’Arabie saoudite a soutenu immédiatement l’action américaine. Les groupes rebelles syriens (dominés majoritairement par les jihadistes et les islamistes) comme l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech) d’ailleurs, ont été littéralement exaltés par les frappes sur cette base du régime de Damas.
Pas de changement de la stratégie américaine
Toutefois, tout ce beau monde ne devrait pas se réjouir trop vite car à mon sens, le coup spectaculaire de Trump, aussi positif qu’il soit sur le plan tactique, comme on l’a vu, n’entraînera pas d’escalade et ne changera pas en profondeur la stratégie régionale de la nouvelle administration américaine.
Pour preuve, comme le font les Israéliens lorsqu’ils bombardent en Syrie le Hezbollah ou des armes destinées à la milice chiite libanaise, l’état-major américain a préalablement informé les Russes de la décision de frapper en Syrie. La base visée par les Tomahawk (dont la précision est d’un à cinq mètres) a donc été soigneusement évacuée par le personnel et le matériel russe. Et effectivement, s’il y a eu une dizaine de morts parmi les militaires syriens, seuls quelques avions et hangars ont été touchés et détruits.
Les radars et les installations utilisés par les Russes ainsi que la piste, quant à eux, ont été épargnés et des avions ont même pu d’ailleurs décoller à nouveau, dès vendredi matin, afin d’aller bombarder des positions de Daech…
Certes, Moscou a émis de vives protestations à l’Onu. C’est de bonne guerre… si on peut dire. L’éventuelle coopération entre Russes et Américains sur les dossiers syrien et irakien semble pour l’heure au point mort. Mais la fin de ce projet évoqué par Trump lui-même n’est pas encore irréversible.
Cette semaine, le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson (l’ancien Pdg d’ExxonMobile et ami de Poutine), se rend en Russie. Les discussions seront peut-être animées mais le chef de la diplomatie américaine, au-delà des éléments de langages diplomatiques destinés aux médias, devrait réaffirmer les priorités des Etats-Unis en Syrie et dans la région à savoir la destruction de Daech, la lutte contre islam radical et à plus long terme la stabilité de la région.
En définitive, les tirs américains sont un avertissement clair et net à Bachar El-Assad (dont les vrais experts de Washington ont depuis reconnu son rôle incontournable). En dépit d’une situation sur le terrain et d’un contexte international qui lui étaient pourtant jusqu’ici favorables, si le maître de Damas est réellement coupable (il n’y a pas encore eu d’enquête internationale prouvant les responsabilités du régime, de certains de ses ultras ou même des «rebelles») de l’attaque chimique sur Khan Cheikhoun, il est évident qu’il y réfléchira à deux fois à l’avenir. D’ailleurs, les Russes, c’est certain, l’y aideront !
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les Etats-Unis ont toujours pour objectif de se tourner vers l’Asie et pour cela, un retour à la paix au Moyen-Orient est inéluctable. D’autant plus que les grandes sociétés américaines lorgnent également, sans l’avouer, l’immense marché iranien…
Enfin, n’oublions pas que Trump est bien entouré. Ses visiteurs du soir sont le général Petraeus et Henry Kissinger. De plus, son conseiller à la sécurité nationale, le général Mc Master, et son Secrétaire à la Défense, le général Mattis, sont des militaires d’expérience respectés et surtout, sont considérés comme de véritables intellectuel-soldats qui connaissent parfaitement la région et ses subtilités. N’étant pas des idéologues, ils savent pertinemment quels sont les enjeux et les vrais dangers dans cette partie du monde.
Finalement, les dernières frappes américaines en Syrie, aussi surprenantes qu’elles ont pu paraître, ne sont pas l’introduction à un revirement stratégique notable des Etats-Unis au Moyen-Orient. Le véritable coup de maître de Trump risque alors d’en décevoir plus d’un… et pas ceux que l’on croit…
* Membre du Groupe d’analyse JFC Conseil.
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