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Neji Jalloul : Un limogeage synonyme de capitulation

Avec le limogeage de Jalloul, les obscurantistes enterrent définitivement la réforme de l’enseignement. 

Les forces obscures qui ont manigancé et obtenu le limogeage de Neji Jalloul s’opposaient à son projet progressiste de réforme de l’école tunisienne.

Par Mohamed Sadok Lejri *

«La réforme de l’éducation dérange et des courants politiques réfutent son esprit moderniste axé sur les valeurs universelles des droits de l’Homme», disait Neji Jalloul, dans une interview parue, le 12 mars 2017, dans le journal ‘‘La Presse’’.

Les raisons qui se cachent derrière l’éviction du ministre de l’Education sont révélatrices à plus d’un titre. La réforme qui a été engagée par Neji Jalloul ne plaisait pas aux conservateurs et aux «identitaristes» de tout poil, notamment aux panarabistes, islamistes et militants des organisations à la lisière du marxisme et du nationalisme arabe, bref aux chantres de la fameuse «hawiya» (identité).

Le conflit de deux projets de société

Le projet de réforme de l’école tunisienne porté par l’ex-ministre de l’Education leur paraissait trop progressiste et ne correspondait pas à leurs convictions. Ce qu’ils n’osent pas avouer de manière explicite et sans fioritures, c’est que, selon eux, ce projet déclencherait un processus d’occidentalisation des jeunes générations, une occidentalisation pour laquelle ils vouent une haine sans borne.

Certaines déclarations ne laissent planer aucun doute quant aux réelles motivations des pourfendeurs de Neji Jalloul. Il y a de cela deux mois, le 23 février 2017 plus précisément, le secrétaire général adjoint du syndicat de l’enseignement secondaire, Fakhri Smiti, était l’invité de Borhen Bsaïes sur les ondes de Cap FM. Je pense que ce jour-là, Fakhri Smiti a dévoilé le secret maintenu par le non-dit qui sous-tend la haine que vouent certains enseignants à l’ex-ministre de l’Education.

En effet, après avoir évoqué la réforme du contenu du programme scolaire initiée par Neji Jalloul en des termes peu flatteurs, Fakhri Smiti a déclaré texto : «Le problème que nous avons avec le ministre, c’est que nous n’avons pas la même conception de la modernité que lui. Le projet de société auquel nous croyons est différent du sien.»

Le discours qu’a tenu Ammar Amroussia, le député Front Populaire de Gafsa, devant Neji Jalloul, quelques semaines auparavant, au sein de l’hémicycle du Bardo et en pleine période de crise entre le ministre et la centrale syndicale, s’inscrivait dans cette veine de sensibilité nationaliste arabe. Ne cherchez pas trop loin, les choses sont on ne peut plus claires : ce terrible charivari s’inscrivait dans une dynamique de guerre idéologique.

 

Le triomphe de la voyoucratie syndicale

Il faut comprendre que le cadre enseignant a glissé progressivement d’un bord à l’autre. Contrairement à celui qui a marqué la période post-indépendance, lequel était profondément laïc et gauchisant durant les années 1960 et 1970, le cadre enseignant d’aujourd’hui est largement contaminé par le cancer islamo-identitariste. Un dégraissage du secteur éducatif s’impose pour mettre en œuvre le projet de réforme prôné par Neji Jalloul et sauver l’école publique (ou ce qu’il en reste). L’assainissement du système éducatif est un préalable pour qu’une réforme salutaire puisse être mise en œuvre et faire pleinement sentir ses effets. Sinon les Lassâad Yacoubi et Mastouri Gammoudi, secrétaires généraux respectifs des syndicats de l’enseignement secondaire et primaire, s’adonneront toujours à la voyoucratie syndicale et continueront à représenter un danger pour les jeunes générations et l’avenir de ce pays.

En fait, les sieurs susnommés n’étaient pas dans la revendication syndicale, mais instrumentalisaient certaines revendications à des fins personnelles et partisanes. Ils veulent entre autres arabiser et islamiser l’enseignement encore plus qu’il ne l’est déjà.

Si l’on ajoute à cela la suppression des 20% de la moyenne annuelle de l’élève de la classe terminale dans le calcul de sa moyenne du baccalauréat, qui, dans quelques semaines, mettra peut-être à nu l’incompétence des profs, les dispositions qui ont été prises à l’encontre des enseignants qui prolongeaient indéfiniment leur congé de maladie et de ceux qui se contentaient de présenter un certificat de complaisance pour percevoir leur salaire à la fin de chaque mois sans rien faire… Le verre était bien rempli.

Lassaad Yacoub et Mastouri Gammoudi

Lassaad Yacoub et Mastouri Gammoudi: l’UGTT et les gauchistes au service des obscurantistes. 

Enseignants vénaux et enseignants bigots

En effet, bon nombre d’enseignants n’ont pas accepté de voir certains de leurs privilèges (considérés comme acquis) remis en cause : cours particuliers, absences longues et préoccupantes pour cause de «maladie»… Il en est de même pour les fonctionnaires du ministère de l’Education nationale qui profitaient du laxisme de l’administration pour se livrer aux douceurs du farniente sans rendre de compte à personne.

En effet, Neji Jalloul s’est fait un point d’honneur de lutter contre les absences aux justifications douteuses. Il avait toutes les raisons de lutter contre cette oisiveté qui coûte beaucoup d’argent à la collectivité et dans laquelle un trop grand nombre de fonctionnaires tunisiens se complaisent. Son «élimination» était donc devenue une nécessité pour tout ce beau monde.

Revenons un peu aux enseignants soutenant les syndicalistes qui ont juré d’avoir la tête de Jalloul. Ces enseignants-complices auront des comptes sévères à rendre devant l’Histoire, et cela autant que Lassaâd Yacoubi et Mastouri Gammoudi, les Mounkir et Nakir de l’éducation nationale.

Une occasion historique s’était présentée pour réformer le système éducatif tunisien. Espérons que cette occasion manquée nous permettra d’en découvrir une plus belle encore, mais nous sommes en droit de ne pas trop nous illusionner. Cette «genèse avortée» aura probablement pour conséquence une succession de réformettes maladroites et inachevées.

La lutte contre Neji Jalloul était soutenue par une frange non négligeable du corps enseignant car deux principales motivations s’enchevêtraient et se nourrissaient mutuellement : l’une était de nature purement idéologique et l’autre était en rapport avec l’appât du gain. La conjugaison de ces deux motivations a, finalement, débouché sur une alliance objective entre enseignants vénaux et enseignants bigots.

Il faut toujours avoir à l’esprit que deux projets de société s’affrontent. Et c’est à travers l’école, et plus précisément le contenu du programme scolaire, que cet antagonisme prend toute sa signification. C’est pourquoi il fallait défendre Neji Jalloul avec beaucoup plus de ferveur car il ne s’agissait pas d’un simple limogeage, d’un ministre qu’on écarte, c’est beaucoup plus que cela.

Un différend foncièrement idéologique

Les Tunisiens, a fortiori les parents d’élèves, doivent comprendre que le problème n’est pas d’ordre politique, et encore moins lié aux compétences de Neji Jalloul et à sa capacité de jouer en équipe, mais idéologique. C’est pour cette raison que la fracture n’a pas tardé pas à se former entre les syndicalistes et le ministre de l’Education. Il était difficile de faire revenir Yacoubi, Gammoudi et les idéologues qui les attisaient à de meilleurs sentiments.

C’était quasiment impossible de les sortir de leur jusqu’au-boutisme congénital, lequel renvoie à un projet de société bien déterminé et explique leur méfiance vis-à-vis de la réforme engagée par Neji Jalloul.

Ils dénonçaient l’«humiliation» dont ils faisaient l’objet et la capacité d’écoute de l’ex-ministre de l’Education qui, selon eux, laisse à désirer, ils se plaignaient des mauvaises conditions de travail, etc.; mais ce ne sont que des faux-fuyants qui cachent une vérité bien plus évidente. En réalité, ils répondaient aux aspirations de parties dont l’idéologie est conservatrice et fortement imprégnée de culture moyenâgeuse fondée sur une prétendue identité arabo-islamique. Leur différend était foncièrement idéologique.

Quitte à paraître verbeux et redondant, je répète que deux projets de société s’affrontent en Tunisie depuis l’indépendance et c’est à l’école que cet antagonisme se traduit de la manière la plus violente (cf. les attaques dont a fait l’objet Mohamed Charfi au début des années 1990).

C’est une thèse à laquelle j’adhère pleinement et que certains Tunisiens refusent de voir ou récusent énergiquement car elle leur fait peur. Donc, amis laïcs, sortez de votre mutisme et de votre immobilisme car une école où règnent les diktats des identitaristes est une école tenue pour morte.

Je voudrais enfin adresser un message léninien aux laïcs qui ont choisi de rallier le camp de Yaâcoubi et consorts : de grâce, cessez de jouer aux idiots utiles…

* Chercheur universitaire.

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