Se servir de la main de la justice pour faire taire Samia Abbou transformera la députée en victime et affectera davantage l’image du président de la république Béji Caïd Essebsi.
Par Salah El-Gharbi
Après Najet Labidi, militante du Courant démocratique (Attayar), condamné à 6 mois de prison pour diffamation à l’encontre d’un «agent de l’État», voilà que Samia Abbou, députée du même mouvement politique, est sous la menace d’être traînée en justice par un groupe d’avocats pour ses «propos diffamatoires» à l’encontre du président de la république, Béji Caïd Essebsi, qu’elle a traité de «président d’une mafia».
Des postures ridicules et inappropriées
Même si, au Palais de Carthage, on cherche à dédramatiser en se contentant de trouver les propos de Mme Abbou «irresponsables», l’affaire serait, selon Maître Wissem Saidi de Nidaa Tounes, portée devant le tribunal militaire, étant donné que le président est en même temps le chef des forces armées.
Autant on est habitué à l’impertinence et à la surenchère verbale de Mme Abbou, femme politique qui s’adresse à un public friand d’un certain discours peu policé, autant on ne peut que déplorer la réaction des zélateurs nidaistes qui viennent s’emparer de cette affaire pour en faire une cause nationale…
Ainsi, l’excès de la députée d’Ettayar ne saurait justifier des postures ridicules et inappropriées. Même si la présidence peut se sentir éreintée par les propos de Mme Abbou, il n’est pas uniquement des prérogatives de la justice d’aider au rétablissement de l’autorité de l’État et de réparer, de la sorte, les égarements des politiques.
La dégradation de l’autorité de l’État
En effet, au lieu d’accabler l’opposition en l’accusant de transgresser les règles et de bafouiller l’autorité de l’État, on peut se demander si, à mi-mandat, le président – et accessoirement, son entourage immédiat – n’a pas lui-même contribué à la dégradation de son image, et n’a rien fait pour se préserver des attaques de ses adversaires politiques et ce, en multipliant les bévues, les mauvais calculs…
Si, dans son discours de mercredi 10 mai 2017, le chef de l’État a profité de l’occasion pour se présenter comme victime des agressions verbales dont il est la cible depuis des mois, il n’a, pour autant, pas répondu aux nombreuses questions qui taraudent l’esprit des citoyens à propos de ses mauvais choix et ses malencontreuses prises de position politiques, et qui seraient responsables à l’origine de la vulnérabilité de sa position et, par conséquent, de la dégradation de l’autorité de l’État.
Quelle responsabilité a-t-il dans la gestion calamiteuse de la crise de Nidaa, le parti qu’il avait fondé en juin 2012 et qui l’avait porté à la magistrature suprême en décembre 2014, qui continue à gangrener sournoisement la vie politique du pays? Qu’a-t-il fait, durant deux ans et demi de présidence, pour éviter le délitement de la cohésion gouvernementale auquel nous assistons depuis des mois? Deux questions, parmi tant d’autres, qui nous interpellent et que la présidence, embarrassée, cherche à esquiver.
Faire de Samia Abbou une victime
Mercredi dernier, le président Caïd Essebsi a voulu rejouer le rôle de Caïd Essebsi, chef de gouvernement de 2011. Et il a raté son coup. L’histoire n’avance pas à reculons. Il n’était convaincant que pour les convaincus. Il a cherché à servir… du réchauffé avec un plaidoyer en faveur de son projet loi sur la «réconciliation nationale» assez peu convaincant, confus, ce qui ne fait que renforcer le camp des sceptiques sur son opportunité.
D’autant que les arguments économiques présentés par le chef de l’Etat sont très peu crédibles.
D’ailleurs, tout était … décalé, même la seule décision «sensée», qui consiste à confier à l’armée la protection des ressources naturelles du pays, suscite plus d’interrogations qu’elle n’offre de réponses. D’abord, cette décision importante est venue tard. Prise au lendemain des élections, elle aurait eu un sens et nous aurait évité certains écueils, y compris le pitoyable spectacle du sit-in du Kamour, à Tataouine… cela aurait provoqué un électrochoc salutaire et contribué efficacement à réhabiliter l’autorité de l’État.
Et puis, cette fermeté affichée par le président, qui vient à un moment où le climat politique n’a jamais été aussi pollué, est-elle fiable, surtout quand la forte prise en main du père Caïd Essebsi apparaît en contradiction avec l’ambiguïté du fils Caïd Essebsi, directeur exécutif autoproclamé de Nidaa Tounes et héritier putatif du «trône de Carthage», vis-à-vis des événements qui secouent Tataouine?
Condamner Mme Abbou ne saurait que lui rendre service en faisant d’elle une victime. Certes, sa voix porte et nourrit les discussions du café de commerce. Mais, se servir de la main de la justice pour la faire taire serait irresponsable. Des excuses pour les propos outranciers, indignes d’une responsable politique, qu’elle s’est permise de tenir à propos du chef de l’Etat, devraient normalement suffire. Encore faut-il, aussi, qu’elle se résigne à les présenter officiellement…
Il reste, cependant, au président de la république de se départir de son discours victimaire et de chercher à remettre en question ses choix politiques hasardeux afin de sauver son quinquennat et de contribuer au redressement d’un pays qui se retrouve dans un piteux état.
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