Manifestation pro-Chahed et contre la corruption, ce vendredi soir, 26 mai 2017, à la Kasbah.
Au moment où le gouvernement tunisien reprend la main en lançant la guerre contre la corruption, certaines parties tentent d’attiser de nouveau les tensions sociales.
Par Jamel Dridi
Ce qui se joue actuellement en Tunisie est d’une extrême importance. Car, au-delà de l’opération anti-corruption, il faut éviter une déstabilisation ourdie à partir du sud tunisien. Cela passe par un soutien du gouvernement Youssef Chahed face à la manipulation politico-médiatique qui semble le viser.
Sauf pour l’œil averti, qui connaît les jeux d’influence que peuvent servir les médias, la campagne d’hostilité au gouvernement tunisien, qui est en train de se mettre en place, notamment dans les médias européens, est à peine perceptible.
De Tataouine à la guerre contre la corruption
En effet, depuis deux jours et de manière très réactive, des articles sont publiés dans ces médias qui critiquent, ouvertement ou de manière sibylline, l’opération anticorruption menée par le gouvernement tunisien.
Cette démarche est d’autant plus mystérieuse et surprenante que cette opération est plébiscitée par une grande majorité de Tunisiens, qu’ils soient en Tunisie ou à l’étranger.
Des articles de désinformation nous expliquent que cette opération masquerait, en réalité, une opposition régionaliste, qu’elle cacherait une volonté d’empêcher les contrebandiers et les corrompus du sud de devenir aussi riches que ceux du nord, ou bien qu’il s’agirait d’un combat entre clans mafieux, ou encore d’une diversion pour masquer les tensions sociales à Tataouine.
Bien évidemment que toutes ces analyses doivent être aussi examinées et prises en compte, et qu’il ne faut pas être naïf face à un gouvernement qui, en difficulté, tente politiquement de reprendre la main.
Mais au-delà de cet aspect, ne doit-on pas se réjouir d’un début de lutte contre la corruption en Tunisie ? Pourquoi ces articles ne parlent-ils pas de la satisfaction quasi généralisée des Tunisiens qui ont en assez des voleurs et veulent plus de valeurs?
La bonne question à propos de ces articles si bien intentionnés est la suivante : Pourquoi ces médias se sentent-ils soudainement gênés par l’action anticorruption du gouvernement tunisien? Quelle est leur grille d’analyse et les sources dont ils nourrissent leurs analyses?
Il faut prendre un peu plus de recul pour comprendre le petit jeu médiatique, qui n’en est qu’à ses débuts et face auquel les Tunisiens doivent se montrer très vigilants.
Il n’a échappé à personne que les mêmes médias qui critiquent l’action du gouvernement Chahed reviennent, bizarrement et systématiquement, sur les récentes émeutes de Tataouine, où, depuis plusieurs jours, la situation est plutôt calme. C’est pour le moins étonnant de la part de journalistes qui s’intéressent généralement aux sujets chauds du jour; et ce sujet est, en l’occurrence, en Tunisie, la guerre déclarée à la corruption et à la contrebande.
Comme au cours des deux derniers, dans les jours à venir (vous verrez), alors même que la situation à Tataouine s’est calmée, les sujets sur «la révolte qui gronde» dans le sud tunisien vont se multiplier dans les médias européens, toujours bien intentionnés et bien informés.
Deux chaînes télévisées européennes de premier plan (belge et française) sont en train de préparer dans l’urgence des reportages sur Tataouine pour montrer en substance que le sud tunisien «est délaissé et qu’il a raison de se révolter», question de rallumer un feu qui s’est éteint trop rapidement au goût de certains.
Qui cherche à déstabiliser la Tunisie ?
Ici, encore une fois attention, l’auteur de ces lignes ne dit pas qu’il n’y a pas de problème de pauvreté et de chômage à Tataouine. Au contraire, cette région comme d’autres, a connu un retard de développement économique énorme qu’il est urgent de corriger. D’ailleurs, elle est, historiquement, le maillon faible de la Tunisie, le point d’appui pour tous ceux qui, au cours de l’histoire, ont voulu déstabiliser ce pays.
Mais l’auteur souligne qu’entre parler d’un problème de type purement économique (le sous-développement, le chômage, la pauvreté…), et favoriser la rébellion sociale dans une jeune démocratie, il y a un pas qu’il convient de ne pas faire, surtout quand on sait que cette région est limitrophe d’un pays instable sinon en guerre, la Libye.
En d’autres termes, l’information ne doit pas se transformer en vecteur de déstabilisation de l’Etat tunisien, qui, malgré tout, a réussi jusque-là à sauver l’essentiel, l’unité du pays et sa stabilité, et qui cherche, aujourd’hui, à mettre en route les réformes nécessaires et à redresser une économie en berne.
Oui, le but final est tellement grave, sérieux et important qu’il faut vraiment que les Tunisiens restent unis et vigilants face au jeu de la manipulation médiatique.
Nous parlions plus haut de recul géopolitique. Revenons-y. Hélas, la succession quotidienne d’événements tragiques à travers le monde fait souvent oublier les desseins néfastes des certains architectes de l’ombre qui ont entrepris, depuis plusieurs années, de déstabiliser le monde arabe afin qu’il revienne à l’âge de pierre, pour être mieux dominé et ses richesses pillées plus facilement. Et il semble maintenant que le tour de Maghreb soit venu, en raison du contexte politique intérieur en Algérie et en Libye, les deux pays les plus riches en ressources pétrolières et gazières.
D’ailleurs, le plan visant à déstabiliser l’Algérie est déjà dans une phase avancée d’exécution avec l’anarchie qui règne, aujourd’hui, dans le sud de la Libye, et qui est clairement entretenue parce qu’elle arrange plusieurs parties ou, plutôt, puissances.
Tout le monde l’a en effet bien compris. Si en apparence, l’Onu œuvre pour la stabilisation de la Libye, certaines puissances s’emploient, en sous-main, à entretenir le conflit inter-libyen en vendant, à chaque camp, armes et conseils, pour tous les neutraliser. Dans ce scénario de pourrissement, aucun camp ne doit, en effet, gagner ou perdre, tous devant être, au final, perdants. Cette vieille stratégie du diviser pour régner a malheureusement toujours marché à merveille dans le monde arabe.
Et dans le no man’s land de cet improbable Etat libyen, on permet à des groupes terroristes – sous l’étiquette de Daech ou autres – et dont on connait bien sûr les vrais promoteurs, de s’installer et de se développer, en l’absence d’un consensus politique et d’un Etat central digne de ce nom.
Et c’est ainsi que l’on s’apprête à passer à la phase 2 du plan de déstabilisation régionale.
En effet, pour permettre à ces mercenaires – groupes terroristes libyens, bien organisés et bien équipés – d’ouvrir un corridor qui va jusqu’à l’Algérie, via le sud tunisien, entre-temps mis hors de contrôle d’un Etat tunisien affaibli.
La stabilité du Maghreb passe par celle de la Tunisie
Dans ce grand jeu, dont l’éclatement de l’Algérie est le principal objectif, la Tunisie n’est qu’un maillon faible et un corridor stratégique, qui subira, au passage, de terribles conséquences.
Le moment est donc grave. La Tunisie est à un moment stratégique charnière. Les loups sont aux frontières. Car n’ayant plus rien à gagner du «chantier syrien», le «chantier maghrébin» risque d’être ouvert et plus rapidement qu’on ne le pense. La chauffe médiatique de ces derniers jours autour Tataouine s’inscrit dans cette visée déstabilisatrice de toute l’Afrique du Nord.
Alors, oui, il faut soutenir la Tunisie. Oui, il faut soutenir un Etat démocratique et l’aider à devenir fort. Oui, il faut soutenir le gouvernement Chahed dans sa lutte contre la corruption et la contrebande, pour l’aider à restaurer l’autorité de l’Etat et à imposer son contrôle sur la totalité de son territoire. Oui, l’Algérie doit soutenir davantage, militairement et économiquement, la Tunisie, car sa sécurité dépend, aujourd’hui plus que jamais, de celle de la Tunisie.
Sur un autre plan, le gouvernement Chahed doit œuvrer pour développer économiquement toutes les régions de l’intérieur parce que c’est son rôle et parce qu’à un moment ou à un autre, cette question pourrait frapper de nouveau à sa porte. Il doit s’occuper, surtout, des régions frontalières du sud et de l’ouest, longtemps défavorisées, qui sont le maillon faible qui risque d’être utilisé par les déstabilisateurs agissant de l’extérieur.
Aujourd’hui, au moment où le tourisme repart, où la croissance reprend, où les entrées en devises remontent lentement mais sûrement, la Tunisie semble plus déterminée que jamais à rester debout quoi qu’il arrive et les Tunisiens, au-delà de leurs divergences internes, restent unis pour déjouer tous les complots.
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