Après le nouveau drame qui a frappé la famille Soltani, les Tunisiens doivent savoir que la guerre contre le terrorisme sera longue mais elle sera gagnée.
Par Bouazzi Lassaâd *
Le terrorisme, qui se classe dans le spectre des menaces asymétriques, se distingue par l’ubiquité, l’imprévisibilité, l’omniprésence, la rapidité dans l’action, la mobilité, la surprise, l’initiative et la brutalité.
Son but, comme l’a bien exprimé le célèbre romancier Dan Brown dans son livre ‘‘Anges et Démons’’, est «tout simplement de provoquer peur et terreur. La peur mine toute confiance dans la classe politique. Elle affaiblit l’ennemi de l’intérieur, elle démoralise le public… Le terrorisme n’est pas l’expression d’une fureur incontournable, c’est une arme politique. Privez un gouvernement de sa façade d’infaillibilité et le peuple perdra confiance en lui».
La tragédie de la famille Soltani, dont deux membres ont été décapités par les terroristes, à Jebel Mghila, Sidi Bouzid, en moins de deux ans, entre dans le cadre de cet objectif : commettre un crime abominable qui sera fortement médiatisé en vu de :
– terroriser la population et la mettre sous stress psychologique pour qu’elle perde confiance dans l’Etat, la poussant ainsi à la révolte et, le cas échéant, l’obliger à coopérer en échange de sa sécurité;
– instaurer un climat d’incertitude et semer le doute sur la capacité de l’armée et des forces de sécurité à protéger les citoyens partout sur le territoire national;
– et, last but not least, démoraliser les unités combattantes en jetant le doute sur la doctrine et la stratégie adoptées.
Les terroristes vivent parmi nous
Pour combattre le terrorisme, le recours à l’armée conventionnelle n’est pas la solution appropriée. En 2013, les montagnes ont été bombardées par l’aviation et pilonnées par l’artillerie lourde sans aucun résultat. Plusieurs forêts du mont Chambi ont été incendiées sans pour autant venir à bout de cette hydre qui menace la stabilité du pays. Il y a deux raisons à cela.
D’abord, les terroristes vivent parmi nous dans les villes. Ils sont bien renseignés sur les mouvements de l’armée et ne rejoignent les montagnes que pour effectuer une attaque surprise avant de regagner les agglomérations et se dissimuler dans la population. Pour le soutien logistique, ils bénéficient des services des cartels de contrebandes et d’une frange de la population locale.
Ensuite, vu le caractère transnational du terrorisme, les terroristes trouvent refuge en Algérie voisine. Dès que l’armée se livre à une opération d’envergure pour les éliminer, ils se replient dans les montagnes de l’autre côté des frontières.
Aussi, pour combattre le terrorisme faut-il agir dans deux directions.
Il faut d’abord tarir ses sources de financement en le séparant des criminalités connexes. Ceci passe forcément par une guerre contre la contrebande et tous les trafics illicites (d’armes et de stupéfiant, rançons, rackets et blanchiment d’argent). Omettre une telle guerre serait une erreur méthodologique car les caractéristiques communes et les similitudes entre les organisations terroristes et les autres organisations criminelles sont grandes. Elles s’expriment à travers les phénomènes suivants:
* la coexistence : le terrorisme et les autres formes de criminalité existent généralement dans le même théâtre. Dans la région de Kasserine, les terroristes et les contrebandiers se partagent les mêmes itinéraires voire les mêmes moyens logistiques;
* la coopération : le terrorisme coopère avec les organisations criminelles pour affaiblir l’Etat et son appareil de sécurité. Leurs actions peuvent se compléter: la sécurité et la liberté de mouvement pour les cartels de contrebande contre renseignement et soutien logistique pour les terroristes;
* la convergence : c’est le cas de l’organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), lorsque les contrebandiers intègrent l’organisation terroriste pour assurer son financement.
Aujourd’hui, le gouvernement a engagé une guerre contre la contrebande et les résultats s’annoncent bonnes : le peuple a retrouvé sa cohésion nationale et le moral des Tunisiens est plus que jamais inébranlable.
Miser sur les forces spéciales
Autre piste à suivre pour mieux combattre le terrorisme : changer de doctrine et procéder par des moyens et des méthodes atypiques. Seules des forces spéciales sont capables de venir à bout de cette vilaine menace. Ceci s’explique par les aptitudes physiques, morales et opérationnelles de ces forces qui forment l’élite de l’armée et des brigades de sécurité.
Cette élite est constituée de jeunes combattants dont la capacité physique dépasse les limites d’une personne normalement constituée. Ce sont des commandos qui se distinguent eux aussi par la mobilité, le bon jugement, la brutalité et la discrétion. Ils agissent en silence avec patience et jouissent d’une grande délégation dans la prise de décision sur le plan opérationnel notamment en ce qui concerne l’engagement de l’ennemi (une exception imposée par l’urgence des opérations). Ils disposent d’armes légères et de technologie d’observation et d’écoute les plus performantes du moment.
Cependant, la réussite de leur mission dépend d’un renseignement sûr et entretenu, c’est-à-dire à jour.
Depuis que les services spéciaux ont retrouvé leur capacité de renseignement, tous les Tunisiens ont remarqué la performance de nos unités qui ont opté pour l’offensive (l’initiative) au lieu de la défensive. L’opération qui s’est soldée par la liquidation de Lokman Abou Sakhr en est un exemple.
Pour nettoyer nos montagnes des groupes terroristes, trois scénarios de lutte sont possibles que nous résumons ci-dessous :
– reconnaissance par moyens aériens (avions et drones équipés de moyens de vision nocturne) et intervention par commandos héliportés.
– reconnaissance et intervention par aéronefs ou drones uniquement, les commandos interviennent ultérieurement pour le nettoyage et l’évaluation des dégâts.
– observation, reconnaissance et intervention par éléments commandos. Ces spécialistes dans la chasse à l’homme (à l’image des SEALS américains chargés de chasser Ben Laden dans les montagnes de Tora Bora) sont largués par hélicoptère dans un milieu hostile et livrés à leur propre sort pour une période déterminée. Ces éléments sont formés pour vivre, durer et se dissimuler dans tout environnement. Il leur est demandé de vivre avec l’ennemi pour le localiser, l’identifier et décider du moment opportun pour le capturer et/ou liquider.
Cette option est la plus appropriée pour la Tunisie. Sa mise en application est assujettie à l’acquisition d’équipements spéciaux qui ne coûtent pas cher pour un pays qui accorde à la menace sa propre valeur.
Depuis 2013, le pouvoir politique n’a cessé de renforcer les capacités de défense du pays; les budgets des ministères de l’Intérieur et de la Défense nationale ont doublé en trois ans.
Avec l’acquisition des hélicoptères Bell OH-58D, le déploiement des unités commandos nouvellement formées et l’activation de l’Agence nationale de renseignement, les scénarios ci-dessus indiqués seront exécutés sans aucune difficulté.
Tous ensemble, nous allons gagner la guerre contre le terrorisme mais soyons patients car le combat sera long.
* Officier retraité de la marine nationale.
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