Le jeûne de ramadan est une obligation religieuse mais, liberté de croyance et de culte oblige, il ne doit pas devenir une contrainte sociale.
Par Hamma Hanachi
Dimanche 11 juin 2017, 14heures, à Tunis. Il fallait être militant, activiste et motivé pour quitter son chez soi et se diriger vers le centre-ville pour assister au sit-in annoncé par un collectif de défense des libertés.
Sous un soleil brûlant, quelques dizaines de citoyens, une cinquantaine de personnes, pas davantage, ont quand même affronté la chaleur et marqué leur présence devant le ministère du Tourisme et de l’Artisanat.
Dépassements répressifs des autorités
Le sujet revient tous les ans, des jeûneurs passionnés de ramadan contre des «esprits libres» qui soutiennent les non-jeûneurs («fattara») et, à chaque fois, on entend parler d’agressions verbales, suivis parfois de dépassements répressifs de la part des autorités.
Face à cet état de fait, des jeunes «rebelles» ont fondé en 2013 un collectif appelé #Fater qui a pour objectif d’aider les non-jeûneurs à trouver des lieux, des cafés, des «fast food» ou des restaurants ouverts pendant les horaires du jeûne pour pouvoir manger et boire.
Cette communauté a pris de la graine, du moins médiatiquement, et ses rangs ont grossi, chaque mois de ramadan, au moindre écho d’une agression contre les non-jeûneurs, ils organisent une contre-attaque pour sensibiliser l’opinion publique.
Sous un soleil brûlant, quelques dizaines de citoyens n’entendent pas se faire imposer leurs choix.
A la fin du mois de mai, un ancien marchand de légumes devenu un prédicateur zélote islamiste, nommé Adel Almi, flanqué de ses fidèles et d’un huissier notaire, a mis le feu aux poudres partant en croisade pour harceler les cafetiers et leur demander de fermer leurs commerces.
L’affaire, on l’imagine, a fait exploser les réseaux sociaux et heurté les acteurs de la société civile, les militants associatifs et les défenseurs des libertés individuelles. Dans les jours qui suivirent, 4 jeunes non-jeûneurs ont été arrêtés, à Bizerte, et jugés pour un mois de prison. C’en était de trop, le vase a débordé.
A l’appel du collectif «Mouch Bessif» (Sans contrainte), des activistes de la société civile se sont donné rendez-vous devant le ministère du Tourisme (le choix du lieu n’est pas fortuit, car que serait le tourisme d’un pays ont les cafés et les restaurants seraient fermés pendant tout le mois de ramadan ?) pour manifester leur colère contre les dépassements relatifs à la non-observation du jeûne.
Le choix du siège du ministère du Tourisme pour manifester n’est pas fortuit.
Les jeunes manifestants ont brandi des calicots dénonçant l’arbitraire exercé contre les non-jeûneurs et le collectif «Mouch Bessif» en tête de ce sit-in est fortement présent.
Sur les pas de Bouguiba
Devant des caméras locales et étrangères (Fr 24, RTL), les indignés apparemment décidés à en découdre avec ce qu’ils subissent comme pression sociale ont crié des slogans rappelant leur droit (article 6 de la constitution qui garantit la liberté de croyance et de rite) à boire et manger. Quelques-uns parmi ces jeunes jaloux de leur liberté ont franchi le pas et, devant des policiers médusés et des caméras curieuses, ont levé leur bouteille buvant des gorgées d’eau à même le goulot. Rappelant un geste similaire de l’ancien président de la république, Habib Bourguiba, au début des années 1960, qui, lors un discours public, pendant ramadan, avait porté ostensiblement un verre à la bouche et bu une gorgée d’eau, et dit : «Le vrai jihad est contre le sous-développement. Si le jeûne réduit votre productivité, alors ne jeûnez pas !» Le geste avait alors fait des gorges chaudes dans les cercles religieux. Mais sous son règne, jusqu’en 1987, jamais un café ou un restaurant n’a été contraint à fermer pendant ramadan.
Kamel Jellouli, 75 ans, soutient le droit des jeunes à ne pas jeûner pendant ramadan.
Kamel Jellouli, 75 ans, vieux routier de la contestation, qui vécut sous Bourguiba, le drapeau sur le dos, nous confie: «J’observe le jeûne depuis mon enfance et j’approuve les slogans brandis ici et défends de mes forces cette jeunesse qui veut jouir entièrement de sa liberté… Après tout, ils sont dans leur droit et ne font rien d’illégal, on ne va pas les obliger à jeûner, autrement dit, ‘‘Mouch bessif’’».
Et il n’est pas le seul dans ce cas, un médecin, la soixantaine passée, approuve sous couvert d’anonymat: «Je fais le jeûne aussi et je suis soutenir le sit-in. Il faut être idiot, ignorant et hypocrite pour forcer quelqu’un à jeûner».
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