Michel Boujenah Mohamed Zineabidine
Le communiqué du ministère des Affaires culturelles à propos de l’affaire de la programmation de Michel Boujenah au Festival de Carthage est démagogique et pernicieux.
Par Noura Borsali *
A la suite de la polémique suscitée par la participation programmée de Michel Boujenah au Festival international de Carthage 2017 et à l’appel de l’UGTT, la centrale syndicale, et de biens de citoyens tunisiens à l’annulation du spectacle de l’artiste franco-tunisien, le ministère des Affaires culturelles tunisien a réagi en publiant, ce matin, mercredi 5 juillet 2017, un communiqué pour répondre aux critiques exprimées.
Qui a parlé de juifs et de non-juifs ?
Le texte, dans son introduction, n’a pas manqué de rappeler les origines juives de Michel Boujenah (?). Et fort, note-t-il, des valeurs défendues par les événements de décembre 2010 et du 11 janvier 2011, qui ont appelé à une rupture avec les méthodes des gouvernements antérieurs, il souligne l’attachement du ministère à «la démocratie participative» et à sa non-ingérence dans les programmes choisis par des comités «indépendants». Il y annonce une consultation de la société civile à propos du spectacle prévu de Michel Boujenah tout en réaffirmant son soutien à la cause palestinienne et en rappelant les accords culturels existant entre les deux Etats tunisiens et palestiniens. Le tout, écrit-on, dans le respect de «l’intérêt national qui prime sur tous les autres intérêts».
Ce communiqué, pour être foncièrement démagogique et pernicieux, appelle, sans conteste, des remarques et des réserves.
D’abord, l’évocation de l’origine religieuse, en l’occurrence juive, de l’artiste est, le moins que l’on puisse dire, bizarre et dangereuse. Car ni la polémique suscitée par la présence de Boujenah au Festival international de Carthage ni les positions de ceux qui s’y opposent n’ont fait allusion, un seul moment, à son origine juive.
Le débat s’est bien situé au niveau des positions politiques de Boujenah vis-à-vis des Palestiniens et de son soutien apporté à l’armée israélienne à un moment de conflit crucial opposant les Palestiniens et les Israéliens. Ses propos ont été publiés et largement diffusés sur la toile.
En évoquant les origines juives de l’artiste, le ministère a commis ici une dérive dangereuse et pernicieuse parce qu’elle situe, maladroitement, le problème dans un conflit juifs et non-juifs ou musulmans. Il transforme la polémique en une polémique religieuse et raciste, et ce en éludant sciemment les considérations politiques défendues par les détracteurs de Michel Boujenah.
L’essentiel pour le ministère est de ne pas évoquer Israël et le sionisme mais de placer, répétons-le, la question sur le plan identitaire et religieux. C’est tout simplement GRAVISSIME. Oui Gravissime parce que, d’une part, la question, telle que posée dans le communiqué, dénature les critiques de citoyens tunisiens et que, d’autre part, elle altère l’image de la Tunisie déjà ternie par les actes terroristes et contribue, de ce fait, à en éloigner les potentiels visiteurs (touristes). Et plus grave encore, elle verse de l’eau dans le moulin de ceux qui, sous d’autres cieux, n’ont cesse de propager l’idée sur l’intolérance de nos sociétés.
La «démocratie participative» de Zinelabidine
Par ailleurs, le ministère souligne, dans son communiqué, son adhésion à «la démocratie participative» qui aboutit, note-t-il, à une consultation préalable de la société civile avant toute prise de décision. Il a affirmé, en conséquence, sa non-ingérence dans les programmes des festivals établis, selon lui, par des comités tout à fait indépendants.
Ces propos ne reflètent aucunement la réalité des faits et appellent des interrogations. Quand le ministère a-t-il usé de sa «démocratie participative» pour fixer les programmes du Festival international de Carthage?
La société civile a-t-elle été consultée sur les choix et surtout sur les prix élevés des spectacles, comme il le prétend?
Dire que les choix se font en toute indépendance est un leurre. Pour preuves : le choix des membres du comité du festival, dont certains appartiennent au staff du ministre, et aussi les conflits qui ont opposé les deux derniers directeurs du festival, Amel Moussa et Mokhtar Rassaa, au ministre Mohamed Zinelabidine confirment bel et bien une ingérence du ministère dans le choix de la programmation, et en dehors de toute consultation de la société civile.
Peut-être que ce communiqué ne constitue-t-il, en réalité, qu’un excès de zèle dont le ministère des Affaires culturelles aurait pu se passer.
* Enseignante et écrivaine.
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