L’Algérie aurait pu demeurer une société multiethnique et multiculturelle originale, mais un nationalisme autoritaire et restrictif a fini par s’y imposer.
Par Dr Mounir Hanablia *
Le 5 juillet 1962, l’Algérie accédait à l’indépendance après 8 années d’une guerre dont la France ne reconnaîtrait jamais la réalité, et clôturée par les discussions d’Evian. Celles-ci n’avaient pas été faciles, la principale pierre d’achoppement en avait été le refus français de tout abandon du Sahara, auquel avait fait face une ténacité non moins égale pour le garder de la part des négociateurs algériens, dirigés par le grand militant Krim Belkacem. Mais De Gaulle manquait justement de temps, après le putsch avorté des Généraux Challes, Salan, Jouhaud, Zeller puis les attentats de l’OAS qui menaçaient de tourner à la guerre civile, en France métropolitaine, où l’opinion publique était lasse du conflit Algérien.
Une indépendance au forceps
En fin de compte, moyennant l’établissement de la souveraineté de leur pays, les négociateurs algériens acceptaient une exploitation en commun des ressources en hydrocarbures et en gaz du territoire, ainsi que la poursuite par les Français des essais nucléaires. Ceux-ci devaient se poursuivre dans le plus grand secret jusqu’aux années 70 sous le régime révolutionnaire du très socialiste président Houari Boumediene.
Le Général De Gaulle au cours de l’une de ses visites en Algérie.
Reste à se demander pourquoi les Français, qui étaient 1 million pour la plupart nés en Algérie, sur une population totale de 9 millions, ont-ils choisi de quitter leur pays et leurs maisons pour se réfugier en France? Une question à laquelle il est toujours aussi difficile de répondre tellement les versions divergent.
En réalité, les Français s’étaient habitués à se sentir en sécurité sous la protection de l’armée et de la police françaises. Ils ne s’imaginaient pas du tout être à la merci de ceux qu’ils avaient l’habitude de qualifier de fellaghas. Et les souvenirs entretenus par les communautés véhiculaient tellement de malheurs et de peurs que la confiance en un avenir commun disparaîtrait. Mais il n’y avait pas eu que la guerre; à Oran, immédiatement après les festivités de l’indépendance, on avait rapporté de nombreuses agressions contre les civils européens dont le caractère parfois systématique laissait suspecter une implication planifiée des autorités algériennes, et c’est cela qui aurait en définitive précipité le départ des civils européens.
Pourtant les discours tenus par les officiels algériens, en particulier le président Farès, s’étaient voulus rassurants, mais évidemment les véritables détenteurs du pouvoir devaient se révéler être les patrons de l’Armée de libération nationale (ALN), tenants de l’arabisme et du socialisme, dont les Kabyles feraient plus tard les frais; tous apparemment ne voyaient pas d’un bon œil l’instauration d’une société multiculturelle.
Maquis, contre-maquis et guerres fratricides
A côté des incidents d’Oran, il y avait aussi bien évidemment eu la chasse aux collaborateurs, en particulier les harkis. Là non plus on n’en sait pas beaucoup plus, les harkis avaient été les soldats de ces groupements mobiles d’auto-défense et de protection rurale, c’est-à-dire des villageois armés et financés par la France pour combattre les maquisards du Front de libération nationale (FLN), auxquels on avait versé les rescapés du contre-maquis Mouvement national algérien (MNA) messaliste du «général» Bellounis, plusieurs milliers parmi eux auraient été massacrés parce que De Gaulle n’avait pas voulu les rapatrier en France, c’était d’ailleurs l’un des griefs principaux de tous les officiers français qui s’étaient révoltés contre lui.
On avait bien plus tard retrouvé des charniers ici et là, mais l’Etat algérien ne semblait pas plus soucieux que son homologue français d’en établir l’origine, les années de plomb de la décennie 90 n’arrangeraient pas les choses.
Quant au contre-maquis messaliste, le conflit fratricide entre FLN et MNA avait été la grande guerre civile entre musulmans algériens pendant les années de lutte contre la France, et Messali Hadj, le premier Algérien à réclamer l’indépendance, celui dont le combat politique constituerait la pépinière d’où sortiraient tous les dirigeants de l’indépendance, mourrait en exil complètement renié par sa patrie et par ses disciples.
Naturellement, les Français avaient essayé de profiter de cet antagonisme politique entre les deux mouvements algériens après avoir liquidé le maquis communiste, sans doute avec l’aide du FLN, tout aussi anticommuniste que ses ennemis.
Le MNA défait par le FLN: Messali Hadj mourra en exil en France, sans retourner dans son pays.
Triomphe d’un nationalisme autoritaire et restrictif
L’histoire de ce maquis rouge de l’Ouarsenis est particulière, il s’était constitué contre la volonté du Parti communiste algérien et de son suzerain, le Parti communiste français, sous la direction énergique de l’instituteur de Biskra, Maurice Laban, un ancien des Brigades internationales d’Espagne, et de l’aspirant Henri Maillot, qui avait réussi à dérober quelques camions remplis d’armes.
Finalement, ce maquis, constitué d’Européens et de Musulmans, après quelques accrochages avec l’armée française, avait été encerclé et écrasé par la harka du député français, le bachagha Boualem. Et les rescapés du maquis rouge seraient plus tard intégrés dans le maquis FLN, mais uniquement à titre individuel, et seraient versés dans les missions de ravitaillement ou de sacrifice d’où très peu reviendraient vivants.
De là à dire que le FLN fut un mouvement purement musulman serait contraire à la réalité, de nombreux Français algériens ont apporté une aide substantielle dans la lutte pour l’indépendance, comme les époux Cholet, Jacqueline Guerroudj et sa fille Danielle Mine, ainsi que de nombreux membres de la communauté israélite, dont quelques uns seraient les artificiers de la bataille d’Alger, mais il faut reconnaître que ce sont les communistes qui ont le plus facilement réuni des membres des différentes communautés dans la résistance algérienne anti-française.
Prétendre donc que la guerre d’Algérie fut uniquement un conflit entre musulmans et européens, ce serait méconnaître la réalité. L’Algérie aurait pu demeurer une société multiethnique et multiculturelle originale, mais un nationalisme autoritaire et restrictif finirait par s’y imposer, avec lequel l’Etat français, soucieux d’abord de ses intérêts, allait étroitement collaborer, tout en scellant grâce à une loi appropriée, celle dite d’amnistie, et pour de nombreuses années, tout travail de remise en cause de la mémoire du conflit.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
Donnez votre avis