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Trump, l’islamisme et la transition libyenne

Donald Trump/Khalifa Haftar/Fayez Sarraj/Aguila Salah.

Trump considère l’islamisme comme une forme d’extrémisme conduisant nécessairement au terrorisme. Et cette vision dicte une nouvelle approche de la situation en Libye.

Par Moncef Djaziri *

Le président Donald Trump a souvent critiqué les engagements américains de 2011 ayant créé le chaos actuel en Libye. Il a aussi dénoncé la politique de son prédécesseur Barak Obama, qui a défendu d’intégration des islamistes dans le pouvoir, position qu’il juge néfaste.

Compte tenu du poids des Etats Unis et de leur rôle dans les affaires du monde, il importe de savoir comment le président américain voit la situation et qu’elle est sa politique dans le bourbier libyen.

Trump et le «Printemps arabe» en Libye

Loin d’avoir résolu les problèmes des pays concernés, le «Printemps arabe», selon Trump, n’a fait qu’aggraver leur désarroi et les a déstabilisés davantage, ce qui est le cas de la Libye.

Le président américain fait sienne les analyses du Washington Institute for Near East Policy(1) considérant que la Libye post-Kadhafi souffre d’une grave instabilité. Loin d’avoir permis au pays d’entrer dans la démocratie, la révolte de 2011 a détruit l’Etat, désorganisé et déstabilisé dangereusement le pays.

Dans ces conditions, la stabilisation de Libye devient le premier objectif des Etats-Unis, comme il l’est pour l’Europe. Il n’est donc plus question d’y promouvoir la démocratie comme l’ont fait les présidents Bush et Obama.

Trump considère que l’expérience démocratique libyenne de 2012 à 2014 n’a eu pour effet que d’accentuer les divisions et nourrir l’extrémisme islamiste, conduisant à une guerre ouverte entre l’Est, l’Ouest et le Sud, sans parler de l’implantation de l’Etat islamique (Daech).

C’est la raison pour laquelle, l’administration de Trump estime urgent de reconstruire l’Etat, de recréer une armée nationale solide et structurée et de mettre en place un gouvernement à même de contrôler le territoire ainsi que les puits pétroliers.

La position de Trump se résume dans ce slogan : mieux vaut un gouvernement fort et stable qu’une démocratie conflictuelle, analyse que plusieurs pays européens partagent de plus en plus.

Lutte contre l’extrémisme et criminalisation des islamistes

Dès l’arrivée de Trump au pouvoir, des voix aux Etats-Unis se sont élevées lui demandant d’adopter une position ferme à l’égard des islamistes. Ainsi l’organisation Justice et Développement du Centre d’Etudes du Moyen Orient et l’Afrique du Nord a-t-elle demandé, fin janvier 2017, au président et au Congrès américains de considérer les Frères musulmans, ainsi que les différents courants salafistes, comme organisations terroristes, et de demander des comptes aux Etats qui les soutiennent. C’est l’enjeu actuel des sanctions imposées au Qatar par l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Emirats arabes unies.

Contrairement à Obama, qui avait joué la carte de l’islamisme modéré, et s’appuyant sur les analyses de Walid Phares(2), Trump considère qu’il n’y a pas de différence de nature entre islamisme et extrémisme religieux et que, tôt ou tard, les «islamistes modérés» se radicaliseront et deviendront des extrémistes. Dans son discours d’investiture du 20 janvier 2017, il s’était d’ailleurs engagé à combattre l’extrémisme islamiste : «Nous renforcerons les vieilles alliances, nous en établirons de nouvelles et nous unirons le monde contre le terrorisme de l’islam radical».

En cohérence avec cette analyse, le Parti républicain a présenté, en février 2017, un projet de loi visant à classer les Frères musulmans en Libye comme organisation terroriste entretenant des liens criminels avec Ansar Charia, ainsi que le Conseil de Choura de Benghazi (CCB).

Par ailleurs, un projet de loi est actuellement à l’étude au sein de la Chambre des Représentants visant à imposer des sanctions aux pays qui soutiennent politiquement et financièrement les Frères musulmans.

Ces projets, dont le premier avait été initié avant l’installation du président Trump, correspondent à une longue évolution de la position des Républicains à l’égard des événements en Libye. Après avoir été d’ardents activistes de la destruction du régime de Kadhafi et défenseurs zélés de l’islamisme, ils se sont rendus compte que l’action américaine en Libye en 2011 a généré une grave instabilité, préjudiciable aux Etats-Unis et aux pays occidentaux.

L’assassinat à Benghazi, en septembre 2012, de l’ambassadeur américain Christopher Stevens et de trois auteurs américains par des membres d’Ansar Charia a été le début dramatique du changement stratégique.

Depuis cette date, les décideurs américains pensent que les islamistes radicaux constituent une vraie menace pour les Etats-Unis.

Une Troïka devra gouverner le pays en attendant des élections

Donald Trump constate que le Maréchal Haftar et l’Armée nationale libyenne de l’Est contrôlent le Croissant pétrolier et une très grande partie du territoire. Partant de là, il considère que les Etats-Unis doivent soutenir l’homme fort de Benghazi. Dans le même temps, il continue à défendre l’Accord politique de 2015 mais qui doit être revu et amendé.

Trump soutient également les républicains modernistes qui constituent une composante non négligeable en Libye.
Dans ce cadre, le National Council on US-Libya Relations a organisé à Washington, en mai 2017, une conférence réunissant des leaders libyens comme le vice-président du Conseil présidentiel Ali Gatrani ainsi que l’ancien Premier ministre du Conseil national de transition (CNT), Mahmoud Jibril.

La solution vers laquelle s’oriente l’administration Trump est de sauver les apparences en défendant l’Accord de 2015, tout en appelant à réformer le Conseil présidentiel. C’est tout l’objet des tractations actuelles entre les Etats-Unis, l’Egypte et, indirectement, la Russie et des pays européens dans le but d’amender l’Accord politique.

Il s’agit de redimensionner le Conseil présidentiel qui pourrait être composé de trois présidents s’alternant pour gouverner le pays pendant une période de transition de deux ans devant conduire à de nouvelles élections.

Dans la phase de transition, une Troïka constituée de l’actuel Premier ministre Faïez Sarraj, du Maréchal Haftar, commandant en chef de l’armée nationale libyenne, et de l’actuel président de la Chambre des représentants de Tobrouk, Aguila Salah, devra gérer le pays, reconstruire une armée solide et un Etat en attendant la mise en place de nouvelles institutions. Il est question aussi de réintroduire Seif Al-Islam Kadhafi dans le jeu politique.

Repli américain et défi russe

L’administration américaine semble vouloir opérer un retrait. La réduction de 37% du budget du Département d’Etat alors que celui de la Défense a été augmenté de 60% sont le signe de cette volonté.

Ce repli a été annoncé en avril 2017 avec la déclaration de Trump selon laquelle, en dehors de la lutte contre l’Etat islamique Daech dans la région, les Etats-Unis n’ont pas l’intention de s’occuper des affaires libyennes.

Cependant et pour des raisons géostratégiques et de sécurité nationale, des parlementaires républicains ont demandé à l’administration Trump que la Libye soit placée sur écran-radar. Ils estiment que la Russie a pris une trop grande place en Libye, et tout en soutenant le Maréchal Haftar, elle exerce une influence accrue à l’Est comme à l’Ouest du pays. Cette prise de position a été relayée par le Général Thomas Waldhauser, chef du Commandant armée américain en Afrique (Africom).

Le soutien américain de plus en plus perceptible au Maréchal Haftar et aux Libyens modernistes indique donc que Trump est tiraillé entre sa volonté de repli et l’impératif de contrecarrer la volonté hégémonique de la Russie dans la région.

La politique libyenne de Trump est en rupture avec ses deux prédécesseurs. La sécurisation, la stabilisation et la relance de l’économie sont désormais prioritaires par rapport à une démocratie conflictuelle pour laquelle la Libye n’est ni préparée ni équipée. Pour le président américain, «l’islamisme démocratique», que défendait Obama, est une contradiction dans les termes car le but des islamistes est d’instaurer tôt ou tard une société islamisée qui est la négation des principes de la démocratie libérale et de l’Etat de droit.

C’est la raison pour laquelle, Trump considère désormais l’islamisme comme une forme d’extrémisme conduisant nécessairement au terrorisme, d’où sa volonté de réduire l’influence politique des Frères musulmans et faire pression sur les pays qui, comme le Qatar et la Turquie, les soutiennent et les financent.

A n’en pas douter, il s’agit là d’un changement profond de la politique américaine dont on commence à peine à entrevoir les conséquences.

*Maître d’enseignement et de recherche de l’Université de Lausanne (Suisse), spécialiste de la Libye et membre du Centre International de Géopolitique et de Prospective Analytique (Paris).

Notes:

1 – « Policy Notes For The Trump Administration », The Washington Institute for Near East Policy, N° 31, January 2017.

2 – Walid Phares, professeur de sciences politiques, chrétien maronite t conseiller du président Trump pour la région Moyen Orient et Afrique du Nord, voir son livre « The Lost Spring : U.S. Policy in the Middle East and Catastrophes to Avoid », 2014.

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