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Boujenah à Carthage : En rire pour ne pas en pleurer

Malgré l’appel au boycott, les fans de Michel Boujenah sont venus nombreux, dans la soirée du mercredi 19 juillet 2017, au Musée de Carthage.

Par Zohra Abid

Le public a beaucoup aimé le dernier spectacle de l’humoriste français d’origine tunisienne, « Ma vie rêvée« , largement inspiré de son parcours d’homme et d’artiste. Et qui parle de paix, d’amour et de tolérance et dénonce le repli sur soi et le rejet de l’autre.

A la fin de son spectacle, l’artiste était visiblement heureux et ému jusqu’aux larmes en recevant un bouquet de fleurs offert par la direction du 53e Festival international de Carthage.

Des fans conquis et des détracteurs en colère

Dans une déclaration aux médias au sortir du Musée de Carthage, qui était sous très haute surveillance, l’humoriste a dit avec son inimitable accent juif tunisien: «Ce soir, j’ai failli craquer sur scène plusieurs fois, ce n’est pas une représentation comme les autres. Vous savez, je ne viens pas souvent, je suis allé aux Etats-Unis et un peu partout. Mais ici, ce n’est pas pareil, le vent me ramène en Tunisie et le vent, parfois gênant, m’a beaucoup aimé ce soir et il me poussait vers vous».

Tout en rappelant son attachement à son pays natal, où il s’est produit pour la 2e fois, la première remontant à 1980, en plein air, au Théâtre du Belvédère, Michel Boujenah (64 ans) a souligné sa fierté d’être aujourd’hui en Tunisie, «un pays qui n’a pas de pétrole et dont la grande fortune sont les Tunisiens».

Alors les personnes opposées à sa venue en Tunisie, conduites par le dirigeant syndicaliste Lassaad Yacoubi, le vilipendaient, à l’extérieur de l’enceinte du Musée de Carthage, traitaient ses fans de traîtres et les accusaient d’avoir tourné le dos à la cause palestinienne, l’humoriste, qui avait tenu un jour des déclarations favorables à l’Etat d’Israël et à son armée, a tenu à éviter les polémiques et à se contenter de faire ce pour lequel il était venu: présenter un spectacle qui plaît, émeut, fait rire et pleurer.

Il a ainsi déroulé un long récit, relatant des épisodes de son enfance peuplée de souvenirs, doux, tendres ou douloureux, définitivement gravés dans sa mémoire. Il a rappelé, à ce qui l’ont oublié, comment, dans les années 1950-1960, les Tunisiens de diverses confessions, musulmans, juifs et chrétiens, se côtoyaient dans une heureuse cohabitation.

C’est avec des mots simples, drôles et imprégnés d’une tendre poésie que Boujenah a déroulé son récit de vie, faisant rire parfois jusqu’aux larmes un public qui était venu pour cela et qui n’a pas ménagé ses applaudissements à l’artiste.

La Tunisie est aux Tunisiens

Michel Boujenah a parlé de son pays natal, de ses souvenirs d’enfant de 10 ans, avant l’exil de «tout le monde», des volets bleus de sa maison, du Ramadan, de Noël, du Mouled, de Pâques, de la fête la Madone et de celle de la Pessah, mais aussi du beach-volley et de la mer poissonneuse.

Sa « Vie rêvée » est un spectacle truffé de confidences, de bruits et de chuchotements, sans oublier les discussions métaphysiques avec sa petite maman, qui lui posait des questions innocentes sur le paradis et l’enfer, la vie et la mort…

Des souvenirs si lointains, mais si proches aussi, et qui parlent à tous les hommes, par-delà la géographie, l’histoire, la culture ou la religion.

«Je viens ici chercher ce petit garçon qui n’a pas compris pourquoi tout le monde est parti, ce petit garçon qui vit dans cette maison aux volets bleus fermés pour l’éternité», lançait Boujenah, qui enchaîne en parlant de son camarde Moncef, qui l’attendait «tous les matins devant la grande poubelle pour aller ensemble à l’école».

Message d’amour et de paix

Boujenah a voulu que sa « Vie rêvée » soit avant tout un message d’amour, de paix et de réconciliation avec soi-même (sa mémoire, son histoire et son parcours d’homme) et avec l’autre. Pour lui, l’histoire, avec un grand H, a marché au-dessus de cet enfant et l’a un peu piétiné, mais, au final, toutes les enfances sont aussi joyeuses que douloureuses. Elles sont tout sauf merveilleuses, dit-il.

L’allusion, ici, au départ des juifs de Tunisie vers la France ou vers Israël dans les années 1960, est limpide, mais l’humoriste ne s’attarde pas outre mesure sur la douleur et trouve toujours dans le rire un moyen de libération. Et de soulagement. Pour lui et pour son public.

Rappelons que les Juifs tunisiens étaient près 120.000, dans les années 1950, nombre qui s’est réduit, aujourd’hui, à 1500 ou 2000, vivant pour la plupart dans l’île de Djerba.

«Chez moi, on ne meurt pas dans un musée, chez moi, on ne meurt pas au Bardo, sur une plage à Sousse ou au Bataclan, chez moi, c’est tranquille, chez moi, on ne meurt pas. On ne meurt pas malgré ce qu’ils disent. Il faut du temps, il faut un peu de volonté, il faut seulement faire la paix. Lorsque je suis en France, je dis il faudrait retourner là-bas, mais ce soir, je ne peux pas dire ça puisque je suis là-bas», a lancé Boujenah au public, qui, ce soir-là, était sur un nuage de nostalgie, entre rêve et rêve.

 

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