Ce n’est pas en accordant des privilèges aux agents de sécurité, y compris l’impunité, que la Tunisie protégera ses libertés chèrement acquises?
Par Noura Borsali *
Le syndicat régional des forces de sécurité de Sfax a supprimé, depuis lundi 31 juillet 2017, sur sa page officielle facebook, son communiqué relatif à l’accord avec le Festival de Sfax qui a répondu, selon le même texte, à toutes ses demandes. Nous avons eu l’occasion d’évoquer cet accord dans notre précédente tribune, publiée par Kapitalis, 1er août 2017.
À ce communiqué officiel, s’est substituée, sur la page en question, une autre publication sous forme de démenti de l’accord par les deux parties (direction du festival et syndicat régional des forces de sécurité) qui, toutes deux, ont nié tout conflit les ayant opposés et affirmé, à cette occasion, leur parfaite entente.
Ces deux positions ont été, en effet, très brièvement exprimées, le mardi 1er août, sur les ondes de Diwan FM, et ce après le démenti publié, la veille, par le syndical national des forces de l’ordre.
Démenti gêné du Festival de Sfax, otage du syndicat régional des forces de sécurité.
Dans son très bref démenti signé par son directeur Lassaad Jamoussi, le festival de Sfax s’est limité simplement à démentir l’information selon laquelle les forces de l’ordre avaient refusé de sécuriser le festival. Mais il s’est bien gardé de démentir l’accord relatif aux 400 billets gratuits et aux indemnités, tel qu’il a été évoqué dans ledit communiqué du syndicat disparu de sa page depuis lundi.
Sur la page officielle du syndicat et au-dessus du communiqué du festival, le syndicat régional de sécurité de Sfax s’en est pris violemment à ce qu’il a appelé «information ou médias de la honte» et «diables» (« اعلام العار » et « شياطين ») et aux «mensonges» (selon l’expression utilisée du syndicat) des journalistes.
Face à ces propos, nous disons que c’est gravissime de s’attaquer aux médias qui n’ont fait que leur travail en résumant le contenu du communiqué du syndicat publié sur sa page officielle.
Pour cela, nous attendons une position claire, nette et rapide du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) sur ces commentaires calomnieux du syndicat régional qui, au bout du compte, discréditent les journalistes, les intimident et constituent une épée de Damoclès sur la liberté d’expression.
Un projet de loi en question
A cette occasion, nous ne pouvons que rappeler le fameux projet de loi, intitulé «Répression des attaques contre les forces armées» (القانون المتعلق بجزر الاعتداء على القوات المسلحة). Ce texte, qui devait être discuté, par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le 13 juillet dernier, après lui avoir été soumis, une première fois par le gouvernement, en avril 2015, et ce à la demande des syndicats de police, a été reporté à une date ultérieure inconnue.
Ce report s’explique par les critiques acerbes exprimées à l’encontre de ce projet par des députés, des Ong de la société civile, des organisations internationales de défense des droits humains telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch…
Le syndicat des forces de sécurité défend le projet de loi qui accorde l’impunité aux policiers.
Amnesty International, dans un communiqué publié le 13 juillet dernier, avait, en effet, considéré dangereux ce projet qui «renforce l’impunité des forces de sécurité en les exonérant de poursuites en cas d’usage d’une force meurtrière injustifiée, et qui pourrait criminaliser les critiques visant le comportement de la police» (c’est nous qui soulignons). Et de ce fait, ce projet de loi serait, toujours selon l’organisation internationale, «une étape dangereuse vers l’institutionnalisation de l’impunité dans le secteur de la sécurité en Tunisie». De plus, elle serait également anticonstitutionnelle puiqu’elle viole les articles relatifs aux libertés dont pourrait s’enorgueillir notre constitution votée en 2014 après d’âpres combats et négociations.
Si ce projet de loi venait un jour à être adopté, les critiques ou les informations diffusées par les médias, aussi justes soient-elles (comme c’est le cas relaté ici), pourraient être «criminalisées», au vu des propos diffamatoires vis-à-vis des journalistes tenus injustement, comme nous venons de le voir, par le syndicat régional des forces de l’ordre de la région de Sfax.
Pour terminer, une question s’impose alors : en cas d’adoption de ce projet de loi, que deviendraient alors la liberté d’expression et d’opinion ainsi que la profession de journaliste ?
Les combats qui seront menés contre ce projet s’annoncent rudes. Car, il s’agit, bel et bien, d’une épée de Damoclès menaçante et inquiétante !
Est-ce ainsi que la Tunisie de l’après 14 janvier 2011 protège ses libertés chèrement acquises?
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