Remanier le gouvernement pour satisfaire les uns et les autres en sacrifiant, dans la plupart des cas, les critères de compétence et d’expertise, n’améliorera en rien l’état du pays.
Par Noura Borsali *
Compte tenu de l’état de crise que vit le pays, on se serait attendu à un gouvernement rétréci qui serait un gouvernement de crise. Mais l’annonce de la composition du nouveau gouvernement fut autre : 43 ministres (28) et secrétaires d’Etat (15)* auquel il faudra ajouter les ministres conseillers de Carthage et de la Kasbah. Ce gouvernement a été baptisé, par Youssef Chahed, «gouvernement de guerre» contre la corruption, le chômage etc.
Quel bilan du gouvernement de 2016 ?
Une question s’impose alors : qu’est-ce qui a empêché le gouvernement précédent dirigé par le même chef Youssef Chahed de mener cette guerre qu’il avait pourtant annoncée devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), voilà un an déjà?
Il serait utile de rappeler que le chef du gouvernement a présenté, l’an dernier, à l’occasion de l’investiture de sa première formation, les grandes lignes de son programme. Qu’est-il advenu de ces 12 mois de gouvernement? Quel bilan en a-t-on tiré pour que soit décidé un remaniement ministériel touchant bien de ministères? Et sur quel programme le nouveau gouvernement a-t-il été choisi? Quelle stratégie propose-t-il pour sortir le pays d’une crise qui s’approfondit de jour en jour?
Changer quelques ministres, cela équivaudrait à faire endosser, à ces derniers, la responsabilité d’un échec au profit d’autres ministres qui ont pourtant brillé par leur incompétence mais qui figurent toujours dans la nouvelle composition annoncée le mercredi 6 septembre 2017.
S’il y a échec d’une politique, c’est celle du pouvoir en place et des partis politiques qui peinent, à défaut d’une vision claire et d’une volonté politique de vrai changement, à engager de grandes réformes qui sortiraient le pays du marasme dans lequel il s’engouffre de plus en plus.
Sacrée «union nationale»
Le constat est là : le remaniement ministériel est plutôt dicté par les partis politiques et obéit, encore une fois, au choix du système des quotas partisans. Seule semble exister une volonté de partager le pouvoir entre les formations politiques au nom de cette sacrée «union nationale» (remake de la politique bourguibienne) et en application du document de Carthage trop général et superficiel.
Par ailleurs, l’attention de bien de Tunisiens et Tunisiennes a porté sur la réduction du nombre de femmes ministres dans la nouvelle composition du gouvernement qui n’a retenu que deux femmes ministres et trois secrétaires d’Etat. Cela est d’autant plus surprenant que le président de la république avait annoncé, la 13 août dernier, des mesures réaffirmant le principe d’égalité entre les citoyens et les citoyennes tunisiennes bien stipulé dans la Constitution de 2014. Un recul qui en dit long sur cette prétendue volonté de réaliser l’égalité en question.
Nidaa, Ennahdha et RCD renforcés
Quant à la composition du gouvernement, on ne peut pas ne pas relever le renforcement des deux partis en tête du pays Nidaa Tounes et Ennahdha auxquels ont été accordés davantage de portefeuilles, la première entrée au gouvernement du parti Machrou, l’extension de Afek, le maintien d’El-Massar, d’Al-Joumhouri et d’El-Moubadara…
Le renforcement des deux premiers partis du pays ne présage pas d’une mise en place d’une nouvelle coalition pour les prochaines échéances électorales comme l’ont laissé entendre certains nouveaux discours officiels débités récemment.
Le principe de «tawafeq» (consensus) semble toujours l’emporter comme mode incontesté de gouvernement du pays. D’où la difficulté, à ce niveau, d’entrevoir une nouvelle composition du paysage politique à la veille des échéances électorales en vue.
Il est également à noter que le nouveau gouvernement compte de plus en plus, de ministres et responsables notoires du pouvoir de Ben Ali. Le cas le plus significatif est celui du nouveau ministre de l’Education nationale, Hatem Ben Salem, qui occupa, dans le dernier gouvernement de Ben Ali, le même poste de 2008 jusqu’à la veille de la révolution sans avoir fait, selon certains observateurs, de grandes réalisations dans le domaine de l’éducation. Selon un défenseur de droits humains installé précédemment à Genève, Hatem Ben Salem fut, dans ses discours et prises de positions du temps où il était Représentant permanent de la Tunisie à Genève, «un défenseur acharné de Ben Ali et de ses réalisations spectaculaires et avant-gardistes dans le domaine des droits de l’homme et de la démocratie».
Hichem Ben Ahmed, quant à lui, nommé secrétaire d’Etat du Commerce, fut membre du bureau national des étudiants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et, à la veille du 14 janvier, gouverneur de Mahdia. Ce renforcement du RCD et des défenseurs de Ben Ali a été commenté, dans les réseaux sociaux, comme «un prochain retour de Ben Ali».
Une question demeure : sur quelle base et selon quels programmes relatifs à leurs ministères respectifs ont-ils été intégrés dans ce nouveau gouvernement? Serait-ce une manière plus ferme de retourner à la case départ comme si rien ne s’était passé dans le pays?
En guise de conclusion
Remanier le gouvernement pour satisfaire les uns et les autres en sacrifiant, dans la plupart des cas, les critères de compétence et d’expertise, n’améliorera en rien l’état du pays. La Tunisie a besoin de compétences confirmées et d’une stratégie claire qui la sortiraient de cette crise, loin des manipulations politiciennes et en encourageant l’innovation et la créativité.
Désormais, la voie politique choisie jusque-là ne pourra, à notre sens, qu’enfoncer davantage le pays dans la crise qui pèse déjà lourd sur le quotidien des Tunisiens.
* Universitaire et écrivaine.
** Le gouvernement 1 de Youssef Chahed d’août 2016 comptait 40 ministres et secrétaires d’Etat.
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