Accueil » Bons baisers de Youssef Chahed

Bons baisers de Youssef Chahed

Chassés par la porte, les Rcdistes reviennent… par la grande porte-cochère, le vieux système régénérant dans un emballage qui n’est même pas nouveau.

Par Rached Mahbouli *

Youssef Chahed vous envoie ses bons baisers de la Kasbah parce qu’il est très content: il vient d’obtenir, le 12 septembre 2017, au Bardo, la confiance de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour sa nouvelle formation gouvernementale.

Ce blanc-seing délivré sans difficulté au Premier ministre confirme par la même le retour des anciens Rcdistes aux plus hautes charges. Autrement dit, chassés par la porte, ces derniers reviennent… par la grande porte-cochère, quand même. Mais comment cela a-t-il pu se produire, alors que le peuple ne voulait plus entendre parler de ses anciens bourreaux? Retournons en arrière et résumons.

Le RCD n’en finit pas de renaître

La dissolution officielle en 2011 du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de l’ancien dictateur Ben Ali, exigée par les événements révolutionnaires du 14 janvier 2011, a mis fin à l’activité de ce parti. Un immense soulagement fut alors ressenti par l’ensemble de la population, heureuse de se débarrasser de cette hydre tentaculaire que fut pour elle, pendant 23 ans, cette structure étouffante sans foi ni loi, fille et mère de la dictature. Et la paix du pays et des âmes semblait en cours.

Cependant, il n’en fut rien. Dès la dissolution du parti, les Rcdistes n’ont eu de cesse de se regrouper de diverses façons, en créant des partis ou en infiltrant d’autres tels Nidaa Tounes, l’actuel parti majoritaire au pouvoir, et son partenaire Ennahdha, parti des islamistes. Sournoisement, ils se sont reconstitués jusqu’à réapparaître progressivement dans l’ensemble des activités politiques et économiques du pays, profitant d’une atmosphère salutaire de tolérance générale.

Jusque-là, ce retour progressif des petits Satan, l’autre, le grand, étant en fuite en Arabie Saoudite (en fait il est en communication permanente avec beaucoup de monde en Tunisie), apparaissait peu préoccupant, d’autant plus qu’il semblait désiré par certaines formations politiques, économiques et sociales et que les Rcdistes ne ménageaient pas leurs efforts pour faire des coudes et se réinstaller en douceur.

Soudain, le 6 septembre courant, à la faveur d’un remaniement ministériel sans réelle raison, orchestré de main de maître par Bajbouj (diminutif sympathique du président de la république Béji Caïd Essebsi) qui le qualifiait à juste titre comme le combat de la dernière chance, les anciens hauts collabos font leur apparition comme prochains ministrables. Leur passage à l’Assemblée en vue de leur confirmation par les députés fait retenir aux citoyens leurs souffles devant leurs télévisions.

La politique en Tunisie a toujours été une affaire de famille. Pourquoi changer ?

Des zombis au chevet de l’Etat chancelant

La scène du Premier ministre, tel un chef de file, entouré par ces impétrants ex-Rcdistes à l’Assemblée est pathétique. Peu d’observateurs ont été indifférents à ce spectacle insolite autant qu’inattendu, lourd de significations: il préfigure l’installation dans la haute sphère de l’Etat de ceux que le peuple croyait partis à jamais. Un Etat du reste chancelant que les «revenants» seraient fortement suspectés d »avoir affaibli ou du moins d’avoir peu contribué à son essor.

Retour voulu et bien entendu assumé par beaucoup de complices irresponsables: les deux chefs de l’exécutif, le président de l’Assemblée, les deux principaux partis, l’UGTT, l’Utica et bien d’autres parties prenantes. Comme si tous ces acteurs rivalisaient maintenant pour faire renaître de ses cendres, tel un phœnix, le présumé défunt RCD.

Ainsi, par la volonté des uns et des autres, autant que par la passivité du peuple confiant dans ses mandataires, s’apprêtent dorénavant à s’imposer à nous ceux qui ont échoué antérieurement et sur plusieurs décennies à faire notre prospérité et notre bonheur, tout affairés qu’ils étaient à s’occuper des leurs. Il est fort à craindre que ceux que la Révolution, clémente et non violente du 14-Janvier, a évité d’étêter se redressent aujourd’hui avec la force de la légalité pour prendre revanche.

Par suite, pour la plupart des Tunisiens, ce retour serait dorénavant vecteur de grande inquiétude. Car de la submersion, les «anciens» passeront de plus en plus à la subversion. D’autant plus que des événements récents sont de nature à faire redouter de grandes entourloupettes de la part du père et du fils. Le président de la République, vieux renard, lui-même ancien routard du parti unique sous ses deux versions bourguibiste et benaliste, comédien à ses heures, voulant avoir dorénavant les coudées franches pour entreprendre ce bon lui semble, accuse dans une déclaration à la presse, le mercredi 6 septembre, le régime constitutionnel de limiter ses prérogatives.

Le drame des Tunisiens : d’une famille l’autre

De son côté, le fils, Hafedh Caïd Essebsi, imposé par le père-gâteau comme chacun le sait, s’engagerait, selon certaines rumeurs, à briguer un mandat à l’Assemblée, et par suite, pourrait à ne point douter, ramper vers la présidence de cette institution, meilleure voie éventuelle vers la présidence de la République! Qui a dit que les Caïd Essebsi négligeraient leurs intérêts?

Quant au rôle du Saint-esprit, c’est déjà Youssef Chahed qui le remplit avec abnégation depuis son affectation par le père! Et comme Chahed a une parenté avec Caïd Essebsi père et fils, voilà donc les intérêts des Tunisiens entièrement gérés par une seule famille. Pour laquelle, l’éjection de l’ancien Premier ministre Habib Essid, le 27 août 2016, était une nécessité évidente incontournable, car l’entre-soi, chacun le sait, est la meilleure voie de la réussite.

Concluons:

– devant l’échec patent à redresser la situation économique et sociale, l’équipe gouvernementale qui a recours aujourd’hui officiellement aux anciens Rcdistes, amènera assurément le malheur sur le bon peuple;

– devant les appétits voraces grandissants de la famille Caïd Essebsi, son éjection rapide devient une nécessité avant son incrustation. D’autant plus qu’au contact des anciens collabos, cela risque de faire office de ceinture explosive contre le bon peuple de Tunisie qui ne doit pas ménager ses efforts pour lutter contre le terrorisme d’Etat. C’est le salut de la Tunisie qui le commande.

* Documentaliste à la retraite.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!