‘‘La belle et la meute’’, le nouveau film de Kaouther Ben Hania, est l’un des favoris de la compétition officielle des longs-métrages fiction de la 28e édition des JCC.
Par Fawz Ben Ali
Sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la catégorie «Un certain regard», le film tunisien a beaucoup fait parler de lui à sa sortie en France, raflant les meilleures critiques.
La première tunisienne de ce film a eu lieu mercredi soir, 8 novembre 2017, au cinéma Le Colisée, devant une salle archicomble, malgré l’heure tardive de la projection (prévu d’être projeté à 21h15, le film n’est finalement passé qu’à 22h30).
Le public s’est montré très patient et un tonnerre d’applaudissement a auréolé la soirée qui a pris fin bien après minuit.
Kaouther Ben Hania, lauréate du Tanit d’or aux dernières Journées cinématographiques de Carthage (JCC-2016) pour son documentaire ‘‘Zaineb n’aime pas la neige’’, revient encore cette année dans la compétition avec, pour la première fois, un long-métrage fiction.
Le réel dans la fiction
La jeune cinéaste passionnée du genre documentaire a cette fois décidé de s’aventurer dans le monde de la fiction sans pour autant trop s’éloigner de la réalité puisqu’elle s’est inspirée d’un fait divers.
Il s’agit de l’affaire de viol d’une jeune fille par deux policiers, survenue en 2012 à Tunis. Kaouther Ben Hania en a fait la matière première de son nouveau film mais s’en est affranchie pour nous raconter à sa manière les maux de la Tunisie postrévolutionnaire.
Mariem Ferjani, nouveau visage du cinéma tunisien, incarne le rôle de la jeune victime, Mariem.
Le film s’ouvre sur une soirée universitaire où Mariem fait la rencontre d’un jeune homme, Youssef, joué par Ghanem Zrelli. Pris par le besoin de s’éloigner de la foule pour faire plus ample connaissance en se baladant sur la plage, le couple se fait attaquer par des policiers qui violent la jeune fille. Mais ‘‘La belle et la meute’’ est loin d’être un énième film sur le viol.
Il faut dire qu’il n’est pas évident d’aborder le sujet sans tomber dans le cliché et le déjà-vu, car le viol a fait l’objet d’un tas de films dans l’histoire du cinéma mondial et tunisien, dont le plus connu est probablement ‘‘La tendresse du loup’’ (2006) de Jilani Saadi. Mais Kaouther Ben Hania réussit ce double challenge de transposer sur le grand écran un fait divers glaçant et de nous proposer une nouvelle approche au niveau de l’écriture et de la réalisation.
‘‘La belle et la meute’’ nous raconte l’histoire d’une revenante et le besoin vital de se relever après être tombé, un message que nous délivre Mariem qui passe sous nos yeux de l’état d’une victime vulnérable à une citoyenne qui réclame ses droits et sa dignité. Mais est-il simple de revendiquer et d’obtenir ses droits quand on est une femme et qu’on nous sous-entend que si on a été violée c’est qu’on l’a bien cherché?
Le dysfonctionnement des institutions
Dans son thriller, Kaouther Ben Hania a choisi de ne pas filmer la scène de viol pour nous dire que la vraie lutte commence après le drame. Ainsi le film nous plonge dans l’après cauchemar qui s’avère aussi cauchemardesque que le viol lui-même.
Avec un récit limité dans le temps, celui de cette nuit-là, une lumière bleutée et le choix des plans-séquences et de la caméra en errance pour suivre le personnage, la cinéaste donne une dimension encore plus réaliste à son film et nous fait vivre tout le désarroi de la victime dans ce long voyage au bout de la nuit.
Première cible des policiers, des politiciens et des islamistes, la femme est le cœur de ce film avec sa faiblesse, ses doutes, sa colère et sa grande force parfois insoupçonnée. Après la peur et la frustration, Mariem réagit comme tout citoyen doit le faire, elle refuse de garder le silence face à l’injustice.
Le film ne se résume pas à son aspect féministe, il n’est pas non plus un simple fait divers transposé au cinéma. ‘‘La belle et la meute’’ se veut politique, humain et très actuel sur cette transition démocratique encore fragile où les institutions de l’Etat ont encore du mal à se détacher des pratiques de l’ancien régime qui font qu’on ne traite souvent pas le citoyen comme tel. Alors quand cette jeune fille décide de mettre sa douleur de côté et de porter plainte le jour-même, elle se trouve confrontée à un sérieux dysfonctionnement aussi bien dans les institutions médicales que policières.
C’est l’histoire d’un Etat policier qui peine à évoluer vers un Etat de droit et où les représentants du pouvoir se permettent tous les excès sans impunité.
Kaouther Ben Hania est sortie de sa zone de confort avec ‘‘La belle et la meute’’, c’est-à-dire du genre documentaire et du monde burlesque qui caractérisent sa filmographie, pour explorer la fiction tout en restant aussi réaliste, juste et perspicace derrière sa caméra.
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