L’Arabie saoudite, au lieu de s’obstiner à nourrir une hostilité à l’égard de l’Iran du seul fait religieux, devrait entretenir des relations apaisées avec son puissant voisin.
Par Dr Mounir Hanablia *
D’abord sur le plan extérieur, depuis 3 ans, la guerre au Yémen n’en finit pas chaque jour d’apporter son lot d’horreurs pour les populations civiles, sans que ne se dessine l’espoir d’une victoire militaire contre les milices chiites Houthi, soutenues par l’Iran. Récemment ce pays a été soumis à un embargo aéronaval, aggravant encore plus la menace d’une catastrophe humanitaire sans précédent.
A l’instar de l’Egypte dans les années 60, le Royaume est désormais empêtré dans une guerre dont il ne voit pas l’issue, et qui commence à peser sérieusement sur son économie. Ses alliés ne se trouvent pas dans une posture favorable, et les destructions occasionnées par les bombardements lui valent désormais, de la part des Yéménites, et plus qu’avant, une hostilité qui ne pourra être que durable. Mais la sale guerre a pris la semaine dernière un nouveau tournant inquiétant pour le Royaume, avec le missile lancé du Yémen vers la capitale Riyad, et dont la responsabilité est imputée au Hezbollah libanais, et à l’Iran.
Le Croissant chiite menace la péninsule d’Arabie
Depuis lors une escalade verbale tout à fait inhabituelle a fait place à la prudente diplomatie qui, il n’y a pas si longtemps encore, caractérisait la politique extérieure du Royaume. Il faut reconnaître que, depuis l’intervention Américaine en 2003 et l’installation d’un régime chiite sectaire en Irak, la prudence n’est plus de mise, les Saoudiens n’ont pas hésité à y soutenir les groupes armés salafistes jihadistes qui ont fini par constituer le tristement célèbre Etat islamique (Daêch), et à attaquer le régime syrien dans le but de le renverser. Mais avec l’entrée de la Russie dans la guerre et le refus de la coalition internationale d’envoyer des troupes au sol, l’Etat islamique est désormais menacé d’écrasement. Le régime de Bachar El Assad a finalement tenu le choc, au point de devenir incontournable dans toute future paix et il s’agit là d’une première défaite majeure pour les Saoudiens.
Le Croissant chiite enserre désormais le nord de la péninsule d’Arabie, depuis l’Iran jusqu’au Liban, avec en prime une blessure béante sur son flanc sud.
Face à cette situation délicate, la moindre des précautions eût été de s’assurer de la solidarité des alliés partenaires du Conseil de la coopération du Golfe (CCG), en entretenant des rapports cordiaux avec eux. Tel n’est pas le cas, le Royaume s’est lancé dans une politique d’hostilité déclarée contre le Qatar, accusé d’entretenir de bonnes relations avec l’Iran… et le Hezbollah. C’est tout juste s’il na pas envoyé son armée l’occuper.
Le couronnement de cette politique frénétique et mal inspirée a été toutefois et sans conteste l’affaire Saad El Hariri, le Premier ministre libanais, annonçant sa démission de son poste, depuis la capitale Riadh, où il avait été convoqué, et usant, pour se justifier, d’arguments… saoudiens, incriminant le Hezbollah et l’Iran dans l’attaque au missile contre Riad.
Si l’intention du nouvel homme fort, le Prince Mohammed Ben Salmane, surnommé MBS , était de provoquer au Liban une crise politique majeure aboutissant à la marginalisation de ses ennemis, sinon peut-être à une guerre dans laquelle s’impliquerait l’Etat d’Israël, pour leur porter le coup fatal, on peut dire que c’est le contraire qui s’est produit : les Libanais se sont estimés outragés par l’ingérence manifeste dans leurs affaires et ont exigé comme un seul homme le retour de leur Premier ministre, selon eux retenu contre son gré.
La diffusion d’une interview télévisée de Saad El Hariri ne les a pas fait changer d’avis, ils y ont vu un homme fatigué, hagard, et même ainsi que l’a révélé une séquence télévisée, surveillé, qui peinait à trouver les justifications nécessaires, et qui ne faisait que répéter une chose, la nécessité pour son pays de ne pas être entraîné dans les affaires des autres Etats, et dans les conflits les opposant.
Assurément l’hypothèse de la détention d’El Hariri n’a pas manqué d’arguments, en particulier la visite éclair du président français Macron en Arabie, et les déclarations du secrétaire américain Mathis appelant au respect de la souveraineté des Etats de la région.
La soi-disant réforme entreprise par le prince MBS
Plus que des erreurs issus de l’inexpérience, l’Arabie paie simplement aujourd’hui les fruits d’une politique que seule une vision étriquée de l’islam a imposée, celle de vrais croyants dont le devoir est de combattre les hérésies, en particulier selon et eux la plus dangereuse parmi toutes, la chiite.
On a parlé de prémices de changements fondamentaux dans le Royaume sous la houlette de ce jeune prince, bientôt roi selon les hypothèses les plus vraisemblables. On a évoqué les droits des femmes, bientôt celui de conduire des voitures, la nouvelle liberté concédée sur les réseaux sociaux, la lutte contre la corruption, l’arrestation des ulémas faisant l’apologie du jihad. S’agit-il vraiment d’un changement majeur de la société qui s’annonce ?
Le fait est également que le pays n’a plus les moyens d’assurer la prospérité de sa population, comme il le faisait auparavant, et de fournir des emplois à la plupart dans la fonction publique. Mais il ne faut pas oublier non plus que la principale menace interne pour l’Etat est venue, depuis l’attaque de la grande mosquée de La Mecque en 1979, puis la fondation d’Al-Qaïda, des salafistes jihadistes, regroupés aujourd’hui au sein de l’Etat islamique, et qui se présente lui-même comme le représentant du véritable islam contre les princes saoudiens, jugés matérialistes, et apostats.
Au siècle précédent, le fondateur de l’actuelle dynastie, Abdelaziz Ibn Saoud, avait déjà dû se résoudre à se débarrasser de ses soldats les plus fanatiques, les Ikhwan, avec l’aide de l’aviation anglaise.
Le pouvoir actuel de la dynastie est fondé sur la collaboration des ulémas, nécessaire au maintien de l’obéissance du peuple. Celle-ci n’est acquise que grâce à la latitude qui leur est concédée d’appliquer la charia selon leur propre vision moyenâgeuse, et de s’immiscer dans tous les domaines de la vie sociale du pays. Toute modernisation véritable du pays ne pourrait donc que remettre en cause les fondements mêmes de l’Etat, et risquerait d’entraîner un basculement des ulémas au bénéfice des opposants au régime les plus fanatiques et les plus réactionnaires, ceux de l’Etat islamique. Et l’Etat en Arabie Saoudite n’a jamais eu l’habitude de répondre aux attaques dont il est l’objet par une libéralisation, mais au contraire, par un durcissement, tel avait été le cas après l’attaque de la Mecque, les assaillants avaient été exécutés mais les cinémas avaient dû fermer leurs portes, et la musique interdite de l’espace public.
Il faut donc se demander si la soi-disant réforme entreprise par le prince MBS ne soit qu’un feu de paille opportunément allumé pour obtenir le soutien d’une frange importante de la population, dans sa marche vers le pouvoir.
Est-ce que MBS sera le grand fossoyeur du wahhabisme ? Il est permis d’en douter au vu de sa politique étrangère sectaire, de la guerre qu’il mène contre les civils au Yémen, et de ses tentatives d’entraîner l’Amérique et Israël dans une guerre contre l’Iran.
Un véritable réformateur commence généralement par désengager son pays des guerres que d’autres ont commencées, par négocier, et par établir les bases d’une nouvelle coexistence pour aboutir à la paix.
Or, même forte de sa production pétrolière, la politique saoudienne de confrontation avec l’Iran, basée sur des considérations idéologiques beaucoup plus que des réalités géostratégiques, n’a pas eu les résultats escomptés.
L’Iran est un grand pays qui a toujours constitué depuis 2500 ans une puissance de premier plan dans toute la région, y compris en Asie Centrale où sa culture et sa langue ont rayonné jusqu’à l’Inde et le Turkestan Chinois. Au XXe siècle il a souvent été capable de dicter sa politique et de préserver ses intérêts dans la région en dépit des interventions étrangères. Les dirigeants saoudiens, au lieu de s’obstiner à nourrir leur hostilité à son égard du seul fait religieux, devraient donc prendre exemple sur leur petit voisin du Qatar qui, quoique abritant le commandement du Centcom Américain, entretient des relations apaisées avec son voisin du Golfe.
Cela exige évidemment une capacité de remise en cause dont il est douteux que des princes arabes, autoritaires, et orgueilleux, soient capables. Sans cela l’Arabie Saoudite demeurera le pays pourvoyeur de l’idéologie terroriste dans le monde, et un Etat dont le régime politique a besoin de religions et de sectes ennemies pour justifier sa survie aux yeux de sa propre population.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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